10 novembre 2005


CHAPITRE VIII


Samuel Goldberg se resservit un verre de Sherry.
Non pas qu’il aimait particulièrement boire, surtout qu’il était en service en ce moment, mais il pensait que ce moyen pouvait être efficace pour faire passer la pilule que la jeune femme qui se tenait en face de lui tentait de lui faire avaler.
Le salon dans lequel ils se trouvaient tous les trois; Esméralda, Lebeau et lui, était décoré avec beaucoup de goût, dans le plus pur style fin du 18ème siècle.
Il était situé au second étage d’un restaurant de la rue du Bain aux Plantes, en plein coeur de la Petite France, dans l’ancienne maison des Tanneurs.
De la fenêtre, on pouvait percevoir le bruit que faisait l’Ill en passant par l’écluse toute proche. Sur le quai, de l’autre côté se trouvait l’hôtel Le Régent...
Esméralda était confortablement calée au fond de son fauteuil, les deux mains jointes enserrant ses jambes, et le menton posé sur ses genoux; elle observait le lieutenant de police avec un regard amusé.
Elle venait de lui révéler qui ils étaient, elle, Cornélius et Lebeau ; et le moins que l’on pouvait en dire, c’était que la surprise pouvait se lire sur son visage aussi aisément que dans un livre ouvert.
- Encore un verre, lieutenant ? Proposa une Esméralda amusée par la confusion du policier.
Goldberg refusa d’un geste de la main.
- Non...vous voulez m’achever, ou quoi ?
Puis il se tourna vers Lebeau, qui se tenait debout face à la fenêtre, visiblement soucieux.
- Alors comme ça vous vivez vraiment...depuis deux siècles ?
- 215 ans, très exactement, répondit évasivement le cajun. Je sais que c’est dur à croire, mais il en est ainsi; et nous n’y pouvons rien. Aucun d’entre nous n’a demandé à devenir ce que nous sommes devenus, car nous sommes condamnés à nous battre jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un.
Goldberg se gratta la tête. Un dilemme se présentait à lui, et son embarras fut senti par Esméralda. Aussitôt son regard se porta vers Lebeau, qui vint se placer juste derrière le fauteuil de Goldberg:
- Maintenant, Sam, c’est l’instant de vérité...je sais ce qui se passe dans votre tête: ou vous arrêtez le chef de la Guilde des Voleurs, démantelant ainsi tout un réseau mondial pendant au moins deux jours, le temps pour les miens de prendre les dispositions nécessaires à brouiller à nouveau les pistes, ou vous devenez son complice. Je sais que les choses ne sont pas faciles, je suis le premier à l’admettre... mais comprenez bien que vous ne pouvez empêcher ce qui est en marche, en ce moment. Aucun humain ne peut freiner la marche des choses. L’heure de la rencontre entre Cuchùlainn et Reinhardt ne va plus tarder à présent; et elle ne doit en aucun cas impliquer d’autres victimes humaines. Pensez à vos collègues qui sont tombés sous les coups de Rodrigues, dans votre commissariat... le choix vous appartient, à vous et à vous seul, Sam...
Le lieutenant se pencha en avant, méditatif.
Il ne savait vraiment pas sur quel pied danser, et il chercha une réponse dans les yeux d’Esméralda. Celle-ci lui prit la main:
- Si vous choisissez de vous opposer à notre projet, lui confia-t-elle, c’est votre droit le plus absolu, et nous le comprendrions aisément... nous avons confiance en vous, cependant : on vous a amené ici, et vous êtes libre de vous en aller quand bon vous semblera. Vous n’êtes ni otage ni prisonnier.
Elle croisa le regard de son chef et vit qu’elle obtenait son soutien. Elle poursuivit donc:
- Mais il ne faut pas hésiter à nous le dire...nous ne pouvons courir le risque de vous laisser entre deux camps et de vous voir surgir à l’improviste pour nous arrêter.
- Comprenez-moi, fit Goldberg à l’attention des deux voleurs; ce que je viens d’apprendre bouleverse mes croyances, mes convictions les plus profondes ! J’étais à mille lieux d’imaginer ne serait-ce que l'existence de votre combat pour le Prix, et tout ce qui en découle! Le simple fait de l'imaginer me paraissait de l'ordre de la démence! Vous rendez-vous compte qu’avec votre existence vous mettez celle de Dieu au simple rang d’imagination ? Et si Dieu vous ressemble, pourquoi serait-il si violent ? Je ne sais plus que penser...
Il fut interrompu par l'entrée de Cornélius.
Le géant croisa son regard sans un mot et il se dirigea vers le bar où il se servit un pur malt.
- Vous arrêter ne vous aidera pas, surtout pas votre ami, si j’ai bien compris...mais pourquoi tenez-vous tant à l’aider ? Si vous êtes Immortel comme lui, sa mort vous arrange, non ? A moins que quelque chose ne m'ait échappé dans vos explications...
- J’aime Cuchùlainn, il est mon ami; c’est une raison suffisante pour ne pas désirer sa mort. Aucune subtilité ne vous a échappé. Nous savons bien qu'un seul d'entre nous survivra. Mais nous avons choisi de retarder au maximum cette échéance fatale.
- Mais, et le Prix ? Tous les Immortels vivant sur Terre doivent rêver de le posséder, non ?
- Le Prix ?...le Prix viendra à celui qui aura su le mériter, et ce mérite, à mon sens, ne passe pas par la trahison. Vous pouvez prendre la mort de Mitchell en exemple; c’est moi qui l’ai tué, parce qu’il avait trahi ses compagnons Immortels. Si on choisit de se lier malgré notre condition et les désagréments qu’elle comprend, on s’en tient là, un point c’est tout. J'avais une femme, elle est morte en 1901. Je savais très bien qu'elle disparaîtrait sans doute avant moi, mais j'ai choisi de vivre comme les mortels, sans me soucier du Prix. Encore aujourd’hui une femme chère à mon coeur me donne envie de me retirer et de passer le reste de notre existence ensemble. Seuls certains fanatiques sont cause des massacres perpétrés entre Immortels.
Goldberg se leva et se tourna vers la fenêtre.
Restés en retrait, Esméralda, blottie dans les bras puissants de Cornélius cherchait le regard de son Chef; ce dernier ne donnait aucun signe de nervosité ou d’impatience. Au contraire, il affichait une sérénité assez inhabituelle pour ce genre de circonstance. Elle comprit alors pourquoi lui seul pouvait diriger la Guilde. Il fallait des qualités extraordinaires de contrôle et de maîtrise de soi qu'il semblait maîtriser à la perfection.
Finalement le policier tendit la main à Lebeau:
- Je marche avec vous...ne me demandez pas pourquoi, je serai incapable de vous répondre ! Mais je crois que votre combat est juste, même s’il parait en contradiction avec la justice des hommes ! Et sans vouloir vous vexer, vous n’êtes pas des hommes.
Esméralda sourit et embrassa Cornélius, heureuse du dénouement de leur discussion. Rémy accepta la poignée de main:
- Vous avez fait le bon choix, Sam...
- Mais je serai obligé de rester avec vous tout le temps, maintenant...en me rangeant de votre côté, je deviens une sorte hors-la-loi!
La jeune voleuse rangea la bouteille de Sherry dans un buffet et répondit à Goldberg:
- On vit très bien ce genre de situation, vous savez; regardez moi ! Je ne me suis jamais aussi bien sentie que dans la peau d’une hors-la-loi...vous me direz, c’est facile pour moi: je n’ai jamais été autre chose qu’une voleuse, de par ma naissance, alors...
- Ne craignez rien; je me porte garant de votre intégrité dans cette histoire, répondit Lebeau au lieutenant. Personne ne saura jamais que vous avez pris part aux événements qui vont suivre, je vous le promets.
- Je sais que je peux avoir confiance en vous, Rémy...
Cornélius s'avança à son tour, tendant une main calleuse que le policier serra avec la même conviction.
- Maintenant que vous savez, dit-il, nous vous aiderons dans les difficultés que vous rencontrerez avec votre hiérarchie.
- Merci, Cornélius...et merci à vous, Lebeau.
- En ce moment, je m’appelle Bollinger.
- Très bien... Oh bon sang, je n’arrive pas à me faire à l’idée que vous pourriez être mon fils, et que vous avez l’âge de mes ancêtres !
- N’y pensez plus, répondit le cajun. A présent, reposez-vous un peu...Esméralda et moi devons organiser le vol de cette nuit. Nous ne serons pas absents très longtemps, ne vous inquiétez pas et essayez de dormir un peu; vous aurez besoin de toutes vos forces, cette nuit.
- Si ça ne vous dérange pas, je préfèrerais rentrer chez moi, afin d’essayer de faire le point et de prendre une bonne douche ! J’ai besoin de retrouver mes repères, après tous ces événements...
- A votre guise, Sam, lui répondit Lebeau en le raccompagnant à la porte.
- J'insiste pour vous raccompagner chez vous, lui proposa Cornélius. Il faut que je retourne à mon travail, expliquer mon absence injustifiée.
- Comptez sur mon aide, lui retourna Goldberg.
Lorsqu’ils se trouvèrent tous les deux sur le pas de la porte, Lebeau salua le lieutenant.
- J’ai juste une question encore...j’espère que vous ne la trouverez pas indiscrète!
- Je vous écoute.
- Quand vous avez...comment dire...absorbé tout ces rayons, ces trucs de lumière et d'électricité cette nuit, qu’avez-vous ressenti, à ce moment-là ?
Lebeau regarda les touristes déambuler dans les rues de la Petite France avant de répondre:
- Une immense tristesse...Luis était un ami, avant qu’il ne rencontre Reinhardt...maintenant si vous voulez parler physiquement, c’est indescriptible. La douleur doit être prédominante, et elle s’efface très vite pour l’assimilation du Quickening. Je ne peux pas vous en dire d’avantage, vu que c’est à chaque fois une expérience unique et différente.
Goldberg se contenta de cette réponse.
- Je vous dis à ce soir, lieutenant ?
- Vous pouvez compter sur moi.
Sur ce, il lui tendit une main que le cajun s’empressa de serrer. Goldberg sourit:
- C’est pourtant vrai que vous êtes différent de nous...
- Pourquoi ?
- Parce qu’il faut vraiment être Immortel pour accepter de serrer la main d’un flic!


Esméralda achevait les préparatifs pour l’expédition nocturne qui allait suivre.
Elle avait troqué son jean et son tee-shirt bleu contre un juste au corps noir, tenu à la taille par une ceinture de soie bleu nuit.
Elle chaussait des mocassins japonais, et avait endossée un bombers noir sans reflets. Ses cheveux étaient lâchés, et un bandeau de cuir noir lui barrait le front, retenant sa frange. Sur cette couronne était fixée une dague en argent, symbole de son accession à la Guilde. Ce bijou lui avait été offert par Lebeau et depuis elle ne s'en séparait quasiment jamais quand elle partait en mission.
Tout en finissant de remplir son sac à dos de cordes, passes et divers autres objets utiles lors d’un cambriolage, elle répétait une ultime fois à son chef de Guilde comment elle avait réussi à persuader Reinhardt de sa bonne foi en matière d’archéologie.
- Il a tout de suite cru à mon histoire de Musée de Londres. L’accent y a été pour beaucoup; il s’est ensuite confié à moi en ce qui concerne sa découverte. Il ne m’a pas montré l’épée, malheureusement; elle se trouve déjà dans son salon. Je sais qu’il ne l’a pas enfermée dans une cache quelconque, mais que son orgueil l’a poussé à l’accrocher au-dessus de sa cheminée. Il faut que tu réussisses à le tenir éloigné de chez lui au moins une demi-heure; sinon je ne te promets pas de pouvoir la sortir à temps! Je ne suis au courant de rien en ce qui concerne son éventuel système de sécurité.
Lebeau avait écouté très attentivement sa jeune élève.
Il était assis dans un des fauteuils du salon; torse nu, il portait une sorte de collant noir. Il terminait un MonteCristo, un verre de Bourbon dans la main gauche.
Les yeux fermés, il se concentrait sur son opération de tout à l'heure.
Il tira une bouffée de son cigare et s’adressa à la jeune femme:
- Jamais dans ma longue vie je n’ai rencontré d’adversaire aussi dangereux et aussi machiavélique. Il est capable de tout, à tout instant.
Il se leva et se dirigea vers le divan où étaient posées ses affaires. Il enfila un juste au corps noir, et par-dessus une sorte de côte de maille en kevlar fuchsia et bleue.
- Ca va faire vingt ans que je n’avais pas enfilé ces vêtements; j’espère que je ne me suis pas trop rouillé avec l’âge !
- C’est comme la bicyclette...
Rémy enfila ensuite ses gants noirs, et endossa son pardessus brun.
- D’autres membres de la Guilde sont dans les parages ?
La jeune femme acheva de fermer les deux sacs:
- Personne du Cercle Intérieur, en tous cas…
Lebeau consulta le cadran de sa montre avant de la retirer de son poignet. Le moment était venu de passer à l’action…
Esméralda s'approcha de lui.
- Rémy...où vas-tu ?
Lebeau la dévisagea en souriant :
- J'ai un travail urgent à faire...
- Ce soir ?
- Oui, ce soir. Ecoute, je n'aipas le temps de t'expliquer, mais il faut que j'agisse seul et au plus vite. Je ne sais pas du tout comment les choses vont tourner, mais un grain de sable est venu enrayer la formidable machinerie de mon plan, et ça m'agasse.
La jeune femme comprit à son ton qu'elle n'obtiendrait plus rien de lui ce soir. Aussi acheva-t-elle de se préparer en silence...



La nuit était calme et tranquille, et une légère brise soufflait dans les sapins et les arbres.
Florence jeta deux nouvelles bûches dans les flammes du petit feu de camp allumé à l’entrée de la grotte des Druides. A côté d’elle se tenait Morrigann, allongée sur son sac de couchage, le menton reposant sur ses deux mains croisées.
La forge de la nouvelle épée de son fiancé était à présent terminée. En six heures de temps, il avait redonné vie à un morceau de fer sans âme ; et par la communion du fer et du sang, le miracle s’était reproduit.
- Tu sais où il est parti ? Demanda Florence à son amie.
- Plus loin, dans la montagne, répondit Morrigann sans détacher son regard des flammes qui léchaient le bois mort. Il doit à présent accomplir un très vieux rite qui consiste à offrir son œuvre à la Déesse Mère.
- Pourquoi ?
- Cuchùlainn a forgé une épée, un instrument de mort… il souhaite que par cet offrande elle soit reconnue comme arme de justice et non de guerre.
Florence se leva:
- Et Rémy qui n’est toujours pas rentré...il m’avait dit que normalement il serait de retour pour ce soir, et il est déjà minuit moins vingt. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de grave…
Morrigann se redressa et fit craquer sa nuque endolorie :
- Rassure-toi, je connais bien Lebeau; il est très prudent. Il sait que Reinhardt est dangereux et qu’il doit s’en méfier. D’ailleurs, il n’a que très peu de chance de le rencontrer…sauf si c’est ce qu’il cherche vraiment.
Mais Florence savait que son chef de Guilde était parti affronter l’Immortel qui avait dérobé l’épée sacrée de Cuchùlainn. Certes elle avait juré le secret...tout était confus en elle: il lui fallait faire un choix au plus vite; sinon Lebeau risquait de mourir.
Elle se tourna vers Morrigann, prête à lâcher le morceau. Cette dernière s’en rendit compte et se leva à son tour :
- Quoi ?
- Il faut qu’on prévienne Cuchùlainn: Rémy est parti affronter Reinhardt pour tenter de lui reprendre Tir Inna M’Béo ! J’avais promis de ne rien lui dire, mais maintenant j’ai peur pour lui. Oh, je m’en veux de ne pas te l’avoir dit plus tôt, mais comprends-moi...
Morrigann poussa un profond soupir :
- Et c’est maintenant que tu me dis ça … bon, on rentre au Couvent ! J’espère que Cuchùlainn s’y trouve encore et qu’il ne s’est pas déjà rendu en forêt pour accomplir le rite…

Les deux jeunes femmes arrivèrent en vue des portes du couvent vingt minutes plus tard. Elles étaient en nage, et au bord de l’épuisement, mais aucune d’elles ne tenaient à se reposer avant d’avoir trouvé Cuchùlainn. Florence avait buté plusieurs fois sur des racines et des rochers instables ; sa cheville gauche lui faisait mal mais elle préféra ne rien dire. Elle craignait la réaction de Morrigann.
La grande porte cochère qui fermait l’accès au couvent était fermée à clé. Morrigann fouilla dans son sac à la recherche du trousseau que lui avait remis Lebeau avant son départ. Elle mit la main dessus et introduisit la clé de bronze dans la serrure.
- Prie pour qu’il n’y ait pas de linteau de l’autre côté…
Par chance, la porte s’ouvrit sans prblème, et les deux femmes pénétrèrent dans la Cour des pèlerins.
Les tilleuls centenaires pour la plupart, dessinaient leurs silhouettes imposantes sur le rideau de la nuit étoilée, tels des gardiens de la sérénité de l’endroit sacré.
L’église se dessinait au fond à droite, et les filles empruntèrent le petit passage qui conduisait au cloître et par lequel il était possible d’accéder au tombeau de Sainte Odile et à la chapelle où repose la patronne d’Alsace.
Juste à côté se trouvait le gisant d’Adalric, son père, Duc d’Obernai.
Elles entrèrent dans le couloir et tombèrent sur la porte vitrée qui les séparait de la chapelle où devait s’être retiré Cuchùlainn.
Elles le trouvèrent à genoux au pied du sarcophage de grès, l’épée posée à ses pieds.
Elle était magnifique, sa lame resplendissait sous les flammes des bougies disposées autour d’elle. Il semblait qu’on pouvait presque l’entendre respirer, tant la lueur dansante des flammes lui donnaient l’air vivante.
Cuchùlainn, lui, était en prière, les yeux clos, il invoquait les âmes de ses défunts maîtres.
Il avait apporté diverses offrandes qu’il s’était empressé de déposer sur les autels de la chapelle; à présent il se préparait pour son combat à venir.
Morrigann s’approcha de lui.
Florence, par respect, se tenait à l’écart, préférant que ce soit sa fiancée qui lui annonça la nouvelle. Son coeur cognait dans sa poitrine, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle culpabilisait de ce qui arrivait ; elle ne pouvait s’ôter de la tête qu’elle aurait dû rompre son serment plus tôt.
Elle sortit en hâte et erra sur l’esplanade à la recherche d’un réconfort qui ne viendrait pas...elle devina l’une des deux chapelles qui se dressaient devant elle et entra dans la première.
Là, elle s’effondra sur le sol et sanglota. Si jamais il arrivait quelque chose de fâcheux à son mentor, elle s’en voudrait à vie. Elle pria Dieu en silence de le protéger contre Reinhardt.
Plongée dans son désespoir, elle ne remarqua même pas que quelqu’un se tenait derrière elle, dans l’encadrement de la porte. Sa voix la fit sursauter, et elle échappa un cri.
- Florence...
Elle reconnut Cuchùlainn et vint se jeter dans ses bras.
- Je...je te demande pardon pour tout ce qui arrive! J’avais promis à Rémy de ne rien te dire, mais je sais qu’il est parti te voler l’épée que tu avais enterrée dans la crypte de la Cathédrale !
Cuchùlainn la serra contre lui en la calmant:
- Tu n’es pour rien dans ce qui arrive; tu sais aussi bien que moi qu’il serait parti quand même et ni toi ni moi n’aurions pu y changer quoi que ce soit...vois-tu je crois que je t'en aurais voulu si tu ne m'avais rien dit de tout ça. Maintenant c’est fait, et c’est sans doute mieux ainsi.
Il la prit par l’épaule et sortant une pièce de monnaie de l’une de ses poches, il la glissa dans la fente de l’appareil chargé d’éclairer la chapelle.
- Un jour que nous nous promenions ici, Lebeau m’a emmené dans cette chapelle. Elle se nomme la chapelle des Larmes, car la légende prétend que Sainte Odile est venue pleurer pour le salut de son père durant des jours et des nuit, et que ses larmes ont creusées la pierre que tu vois ici...ce n’est pas un hasard si tu es venues te réfugier ici, à ton tour; les prières qui sont sincères et qui sont formulées dans cette chapelle se réalisent, crois-moi.
Florence essuya ses yeux du revers de sa manche et regarda Cuchùlainn.
Il avait l’air extraordinairement serein malgré la situation. Son visage semblait marqué par une détermination nouvelle.
Elle lui demanda si il était en colère:
- Bien sûr, répondit-il; mais Conchobar, mon Maître, m’enseigna jadis que la colère était le pire ennemi de la concentration; or j’aurai besoin de toute ma concentration pour venir à bout de Reinhardt. Il est très fort, lui aussi, et la vengeance guide ses actes. Un jour il commettra une erreur, et ce sera à moi d’en profiter. Maintenant, je vais te demander de veiller sur Morrigann; je veux que tu la protèges pendant mon absence. Tu as loué une chambre ici, non ? Alors tu vas y rester avec elle jusqu’à mon...notre retour, à Lebeau et à moi. Vous ne serez en sécurité qu’ici, sur un sol sacré. Je serai quant à moi plus tranquille si je te savais auprès de ma bien-aimée...
- Tu me demandes de veiller sur une Immortelle…
- Elle a traversé plusieurs vies humaines, mais elle demeure fragile et vulnérable. Le sortilège qui la protège ne lui assure pas l’invulnérabilité…promets-moi de veiller sur elle ; sinon, veillez l’une sur l’autre !
- Je te le promets.
Cuchùlainn lui sourit et Florence retrouva le sourire à son tour. La minuterie cessa et la chapelle fut à nouveau plongée dans l’obscurité.
- Sortons, dit Florence. Morrigann doit s’inquiéter de nous savoir partis depuis ce temps.
- Va la rejoindre et allez vous coucher. Moi, je retourne à la grotte pour ranger ses affaires et les miennes, puis je descendrai à mon tour pour en finir une fois pour toute avec Reinhardt. Mais auparavant je dois encore me rendre dans la montagne. Il faut que le rite s'accomplisse...
Florence sortit de la chapelle, puis elle se retourna vers Cuchùlainn qui s’apprêtait à longer la falaise par le chemin qui donnait accès à la cour des pèlerins sans passer par le cloître:
- Tu ne lui dis pas au revoir ?
- Fais-le pour moi...et dis-lui que je reviendrai la chercher.
Florence le suivit du regard jusqu’à ce qu’il se mêle à la pénombre. Puis elle sentit l’air frais de la nuit à travers ses vêtements, et elle rentra auprès de Morrigann qui l’attendait dans la chapelle.

Cuchulainn était à présent nu dans la forêt, à genoux devant un arbre centenaire. Derrière lui, le rocher du Canapé dessinait son ombre sur le corps tendu du guerrier Celte.
L'épée nouvellement forgée était déposée sur le rocher, posée sur un drap de lin.
Le celte n’était pas seul ; tout autour de lui, tenant des torches allumées, de petites formes immobiles et muettes l’assistaient dans sa méditation.
Pour la première fois depuis des siècles, il avait réussi à entrer en communion avec le Petit Peuple, gardien de la forêt et des secrets du temps jadis. Ces êtres sans visage ni forme, tantôt nains, tantôt esprits avaient ressenti son appel, et il s s’étaient montrés au grand jour.
Il n’y eut pas un mot échangé, car ils pouvaient lire dans le cœur des hommes.
A présent ils se tenaient près de lui, éclairant de leurs torches la scène où allait se dérouler le rituel ; éparpillés dans les buissons et les bosquets…
Soudain Cuchùlainn ouvrit les yeux et lança au ciel une incantation reprise en cœur par le Petit Peuple. Il psalmodia ensuite de vieilles prières Celtes. A cet instant précis un vent tourbillonnant se leva, enveloppant l’endroit où il se trouvait. Des éclairs zébrèrent le ciel, et le tonnerre gronda.
Les flammes des torches vacillèrent, mais ne moururent pas.
Cuchùlainn debout au centre de ce maëlstrom levait les bras au ciel, en invoquant la Déesse de la Terre d'accepter son offrande sacrée.
Le vent souffla en rafales d'une violence inouïe, et il perdit l’équilibre un court instant. Mais ses jambes tinrent bon et il se redressa, le torse bombé vers le ciel. Dans un ultime râle, il serra les poings et tendit les mains vers le rocher où reposait son épée.
A cet instant précis un éclair vint la foudroyer, et un halo d'énergie pure l'enveloppa tel un linceul de lumière.
Cette fois-ci la déflagration qui accompagna la chute de la foudre le renversa sur la mousse. Lorsqu’il se releva, une femme vêtue de noir et portant une couronne de baies cramoisies et de fleurs séchées se tenait devant lui, l’épée déposée dans ses bras.
Cuchùlainn était bien incapable de dire si il s’agissait d’une illusion ou si la Déesse s’était matérialisée sous ses yeux.
Lentement elle avança vers lui, sans mot dire, et lui tendit l’arme scintillante.
Le Celte s'en empara et l'énergie dégagée par le fer pénétra tout son corps. Il caressa la lame et s'ouvrit la paume de la main droite, laissant un mince filet de sang couler le long de l'épée lumineuse.
Puis il se retourna en direction de l'arbre centenaire, et d'un bond il se rua sur lui, l'épée fermement maintenue entre ses deux mains.
Il la brandit bien haut et fendit le tronc en deux parties égales, qui tombèrent chacune d'un côté. Un nouvel éclair vint s'abattre, mais sur l'arbre cette fois-ci, le faisant s'embraser avec l'aide du vent. La terre se mit à trembler légèrement et une pluie fine succéda à l'orage sec.
En quelques instants le feu fut éteint, et le calme revint progressivement sur le secteur du rocher du canapé.
Cuchùlainn, trempé, regarda sa main cicatrisée, puis son épée. L’eau, la Terre, l’Air et le Feu…les quatre éléments venaient de la reconnaître comme une des leurs.
Il chercha du regard la femme et le petit peuple, mais il n’y avait plus personne sur le plateau. Trempé et grelottant, il souriait : les Dieux avaient accepté son offrande.
Il pouvait désormais affronter Reinhardt.
Il était prêt.




La voiture s’arrêta devant la demeure de Reinhardt.
Esméralda consulta sa montre: le cadran lumineux indiquait une heure et trente cinq minutes. Elle avait déposé Lebeau un quart d’heure plus tôt devant le magasin de la rue du Vieux Marché Aux Poissons, et maintenant il ne lui restait plus qu’un quart d’heure pour s’emparer de l’épée sacrée de Cuchùlainn.
Elle descendit de la voiture et s’approcha de la grille de la porte d’entrée: bien sûr, elle ne s’ouvrait que par code.
La jeune femme sortit aussitôt de son sac à dos un électrorossignol et le pointa en direction du clavier à code.
Quelques secondes plus tard, le code se chiffra automatiquement, et la porte s’ouvrit.
Arrivée dans le jardin, elle sortit de son sac trois beaux morceaux de boeuf qu’elle lança devant elle, à gauche et à droite. Puis elle se terra dans un buisson contre le mur de l’entrée. Il ne fallut pas plus de trente seconde pour voir surgir trois pittbulls aux colliers cloutés brillant dans la nuit.
Esméralda frissonna en les voyant déchiqueter la viande, et respira plus calmement lorsqu’ils s’assoupirent sous l’effet du somnifère qu’elle y avait injecté.
Sortant de sa cachette, elle courut vers les chiens et examina l’un d’eux: on leur avait coupé le larynx, les empêchant ainsi d’aboyer, et devenant du même coup des armes mortelles parfaitement silencieuses.
Esméralda gravit les quelques marches du perron et s’immobilisa devant la porte d’entrée de la maison.
La serrure était cette fois-ci assez banale. De son sac, elle tira une petite fiole et une pipette. Elle plongea la pipette dans le flacon avec beaucoup de soin, et aspergea le creux entre la porte et son cadre. L’acide agit en quelques instants, faisant fondre le loquet. Puis elle poussa alors la porte doucement, évitant de la faire grincer de peur que d’autres chiens ne montent la garde à l’intérieur.
Mais l’intérieur de la maison semblait silencieux et désert.
Avant d’entrer, elle chercha un éventuel boîtier de commande d’une autre alarme, mais elle ne distinguait rien dans la pénombre.
La jeune voleuse alluma sa lampe torche, le temps de trouver ses lunettes infrarouge.
- Pourvu que son truc ne soit pas une alarme muette…
Elle fouilla à nouveau dans son sac et sortit un appareil semblable à un portable qu’elle alluma sur le côté. Le détecteur balaya le hall et lui rendit son verdict : aucun dispositif anti-intrusion n’avait été détecté.
- ‘faut pas avoir confiance dans ses chiens, Walter…pensa-t-elle en rangeant le détecteur dans son sac.
Puis elle progressa dans le noir jusqu’au salon. Les portes vitrées en chêne étaient fermées, et au travers des vitres elle pouvait distinguer une faible lueur dans l’âtre, qui indiquait que du bois achevait de se consumer.
Elle tourna la poignée de la porte et se ravisa aussitôt. Un flash lui revint en mémoire: lors de son tout premier test avec le demi-frère de Lebeau, Lièvre, elle s’était fait piégée pour n’avoir pas vérifié la possibilité d’existence d’un troisième système d’alarme autonome. Elle se souvint aussi ne pas avoir vérifié si des caméras surveillaient ses faits et gestes.
- Bah, se dit-elle, le temps que les flics arrivent, je serai déjà loin !
Esméralda sortit de son sac un petit sachet de farine et un soufflet sarbacane. Plaçant le bout du soufflet dans la serrure, elle envoya la farine dans la pièce. Elle sentit la sueur lui tremper le cou lorsqu’elle aperçut de faibles filets de lumière rouge, révélées par la farine.
Il y avait bien un système de protection supplémentaire.
La jeune femme consulta sa montre: plus que huit minutes.
Elle se colla contre la vitre et chercha à déceler l’émetteur de ses rayons. Quand enfin elle le repéra, elle se rendit compte qu’il était inaccessible de l’endroit où elle se trouvait. Ressortir et tenter de pénétrer par une des fenêtres prendrait trop de temps.
- Merde… merde, merde et merde !
Elle s’assit quelques secondes et réfléchit. Puis elle réexamina les faisceaux lumineux: ils étaient assez espacés pour qu’elle puisse tenter de passer entre eux, à la manière d’une contorsionniste. Elle prit la décision de tenter le coup. Ouvrant la porte, elle se repéra par rapport aux meubles, et compta trois rangées de faisceaux lumineux.
- Maintenant, ma vieille, ‘s’agit de pas rater ton coup…
Prenant son élan, elle plongea sous le premier, prit appui sur ses mains et se propulsa au-dessus du second avant de se cambrer complètement pour replonger sous le troisième. La manoeuvre se termina par une pirouette sur le tapis persan où se dressait une armure médiévale qu'elle faillit heurter à quelques centimètres près!
Elle souffla un grand coup et s’épongea le front. Puis elle se redressa et chercha la cheminée.
Elle se trouvait à l'autre bout de la pièce; la jeune femme la traversa sur la pointe des pieds avec une extrême prudence.
Enfin elle la vit.
Elle était immense. Ses deux lames parallèles en forme de diapason brillaient faiblement à la lueur de l'âtre dans lequel se consumait encore une bûche ; comme si elle venait juste d’être forgée. Le pommeau était lui aussi impressionnant, tout comme la garde et le manche.
Reinhardt l’avait fixée au mur sur un support de bois verni. Le tout reposait dans une cache de verre.
Esméralda s’approcha de la cheminée et monta sur le rebord de l’âtre.
Elle observa avec attention la cache de verre et remarqua un petit fil d'argent qui longeait une des parois. Elle sortit alors de son sac un domino et une pince, ainsi qu'une bobine de fil de cuivre. Avec minutie, elle fixa un diamant au bout d'un compas et traça un cercle qu'elle retira à l'aide d'une ventouse. Introduisant ses deux mains,elle commença son travail d'orfèvre:il fallait placer le fil de cuivre d'un bout à l'autre du fil d'argent pour pouvoir le couper et y fixer un domino pour relier le fil de cuivre, donnant ainsi une longueur d'environ deux mètres au fil de sécurité. Ainsi pourrait-elle ouvrit la cache sans rien déclencher.
Quelques minutes plus tard, elle ouvrit la cache de verre et retira le panneau mobile qu'elle posa devant la cheminée.
L'opération avait été un franc succès.
Elle tenta de s’emparer de l’épée par la lame, mais elle était tellement aiguisée qu’elle lui coupa le gant.
La jeune femme eut le bon réflexe de retirer sa main à temps. Sa seconde tentative eut une fin plus heureuse, puisqu’elle parvint à saisir l’épée par la garde. Mais elle avait sous-estimé son poids, et elle tomba lourdement sur le tapis avec l’épée. Elle ne se releva pas tout de suite, craignant que le bruit de sa chute n’ait donné l’alerte. Mais quelques instants plus tard, elle se dirigea vers la sortie, après avoir emballé l’épée dans la nappe qui se trouvait sur la table.

Mais un nouveau problème se posait: comment refranchir le système de sécurité avec la lame sur le dos ? Elle s’accroupit et vérifia si il lui était possible de la faire glisser sur le sol. La place y était. Elle lança alors l’épée sous les rangées de faisceaux et réédita sa manoeuvre précédente.
Mais alors qu’elle se réceptionna dans le couloir, elle remarqua que l’épée était restée à mi-chemin, sous les faisceaux.
Elle se coucha alors à plat ventre et tendit le bras pour s’en saisir.
Mais le poids de l’épée l’obligeât à lever son bras, ce qui eut pour effet de couper un des faisceaux lumineux.
A cet instant, une lourde grille tomba devant la porte du salon Et une sirène se mit à hurler dans la maison.


Lebeau pénétra dans la Cathédrale.
Contrairement à Cuchùlainn, il ne s’était pas fait pincer au moment où il fracturait la porte latérale de l’édifice. Son épée bien cachée sous un pan de son manteau, il s’avança dans la nef de la Cathédrale.
Il avait regretté de ne pouvoir s'emparer lui-même de l'épée, mais sa présence ici était nécessaire pour tenir Reinhardt loin de chez lui ; Esméralda avait besoin de temps, et lui seul pouvait lui en donner.
Sans doute à cette heure-ci devait-elle déjà avoir terminé son boulot…peut-être était-elle déjà en route pour le lieu de rendez-vous qu'ils avaient fixés dans leur plan de marche.
- Esméralda…
Esméralda...Il l'avait rencontré pour la première fois il y a plus de cent ans, en 1834, très précisément...

...les rues de la Nouvelle-Orléans grouillaient de monde, et partout les boutiques faisaient recette.
Assis à la terrasse du balcon de l'appartement de son ami Bernard Labranche, Lebeau buvait une tasse de thé en compagnie de Bernard et de sa jeune épouse Marie.
Les deux hommes discutaient d'un prochain coup à monter pour des voleurs de la Guilde.
- Réfléchis, Rémy : si nous mettons la main sur ces bijoux maintenant, nous parviendrons peut-être à les revendre à Darceneau avant son départ pour New-York. Là il les fera sans aucun doute fructifier en les revendant le triple de ce que nous lui avons payé. Qu'en penses-tu ?
- L'idée n'est pas mauvaise, cousin, mais je me demandais si la tâche n'était pas trop ardue pour le jeune Villon.
- Marc Villon a seize ans, Rémy. Cette nuit , Jean Martin sera officiellement son chaperon pour son vol d'intronisation. Quel risque court-il, à ton avis ? Les Sicaires ?
Bernard lança un regard en direction de celle qui partageait sa vie, car c’était de son jeune frère qu’ils discutaient depuis quelques minutes maintenant.
Mais Rémy, qui jetait un oeil sur la foule ne l'écoutait plus: son attention avait été attirée par une jeune femme qui se livrait à un exercice d'acrobatie devant la foule de badauds venus en spectateurs de ce numéro improvisée.
- Je t’ai posé une question, il me semble…
- Observe la grâce et la finesse de cette fille, Bernard...
Tous les trois se penchèrent par-dessus le balcon.
- Elle évolue avec une agilité exceptionnelle, fit remarquer Marie. Elle me fait penser à Michèle, la même grâce émane de chacun de ses gestes.
- Oui, un peu...
Les trois voleurs profitèrent du spectacle donné par la saltimbanque.
Son style, très proche de son public physiquement, le faisait frissonner par moment lorsque le contact devenait un heurt, une bousculade frémissante.
L’audace jusqu’ici innocente fit place à l’intrépidité et à la vivacité quand tout à coup la jeune acrobate se mit a exécuter un exercice de pirouettes entre les rangées du public.
Marie sourit :
- Belle technique, jeune fille…
C'est à ce moment-là qu'une voix s'écria:
- Au voleur! Ma bourse !
Trop tard pour tenter de rattraper la jeune voleuse: suite à une série de pirouette, elle bondit sur un fiacre qui passait non loin de là, déposant au passage un baiser furtif sur le front du cocher ébahi, en atteignit le toit et s'élança sur un balcon.
Du premier étage, elle envoya un autre baiser, à ses victimes celui-là, puis disparut après avoir grimpé le long de la colonne de cuivre qui soutenait le toit.
- Tu as vu ça ? Demanda Bernard à sa femme. Quelle rapidité...
- Oui, on dirait tout à fait Michèle Martin.
- En tout cas, elle les a laissé sur place, tous ! Regardez leurs têtes: on dirait qu’ils ont vu le démon!
- Je reconnais qu'elle a du talent, remarqua Rémy. L'un d'entre-vous la connaît ? Toi, Marie ?
- Son visage ne m’est pas familier, répondit la jeune femme en rassemblant les trois tasses à café sur un plateau d'argent. Demande voir à mon cher mari si au court de ses négociations sur le marché il ne l’a pas déjà croisée au détour d’une ruelle sombre et sordide…
- Jamais vue, fit Bernard en se levant. Je vais chercher du Bourbon. Il commence à faire chaud, ici. Quant à toi, femme, cesse de m’attribuer des pensées qui ne seront jamais miennes !
Il la gratifia d’une tape amicale sur la fesse et la regarda s’éloigner dans l’appartement assombri par les volets fermés.

Le lendemain, Rémy se promenait dans Bourbon Street, laissant son esprit vagabonder. Soudain, alors qu'il regardait la devanture d'une vitrine d'un magasin de vêtements à l'angle de Charles Street, il sentit une légère bousculade. Il se retourna et vit une femme blonde qui s'excusa de sa maladresse. Il la salua et la regarda disparaître dans la foule.
Un sourire illumina son visage.
Le poisson avait mordu à l'hameçon.

La jeune voleuse se tenait assise à côté d'une gargouille de l'église Notre Dame des Voleurs Perdus, et comptait son butin de la journée.
Le soleil se couchait à l'horizon, et le vent qui se levait la fit frissonner. Légèrement vêtue, elle ne portait sur ses solides épaules qu’une tunique d’esclave volée elle aussi chez ses parents adoptifs.
Ses cheveux blonds lui revenaient sans cesse dans le visage; aussi les attacha-t-elle en un chignon bâclé au sommet de son crâne, puis elle se pencha sur son baluchon où s’entassaient montre gousset et autres bracelets.
Lorsqu'elle ouvrit le portefeuille de cet aristocrate qui l'avait poliment saluée, elle ne pu réprimer un sourire en repensant à la naïveté de cet imbécile.
- Il doit tellement aimer les femmes, se dit-elle qu’il doit être à mille lieux de s’imaginer combien nous pouvons être dangereuses et rusées. Le plumer fut un jeu d’enfant, presque trop facile pour mon talent.
Mais son expression changea du tout au tout quand elle constata qu'il était vide !
Elle le tourna et le retourna, abasourdie par l’absence d’un contenu qu’elle avait imaginé opulent, fouillant tous les compartiments, et tomba finalement sur une feuille pliée en quatre.
Elle la déplia et lut à haute voix son contenu:

- Leçon numéro un: discrétion et habileté sont toujours de rigueur lorsqu’on se sert chez une tierce personne non consentante.

- Ce sont là deux points essentiels dans notre métier, ma chère...
Sa voix la fit sursauter.
L'homme à qui elle avait volé le portefeuille en question se tenait debout derrière elle. Elle ne l'avait pas entendu arriver, et ne s'était pas tenue sur ses gardes, pensant être en sécurité dans ce lieu que seuls les oiseaux et quelques rares chats sauvages avaient l‘habitude de fréquenter avec elle.
- Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle à l'inconnu en se relevant d'un bond, les poings crispés.
- Du calme, jeune fille, Répondit l'inconnu en allumant un cigare avec une allumette frottée sur la pierre de l’épaule d’une gargouille au visage diaboliquement déformé. Si j'ai réussi à retrouver ta trace, ce n’est pas dit que n'importe qui en ferait autant. La discrétion n'est pas ton fort, à ce que je puis constater.
- Comment avez-vous...
- Tu es en plein coeur du vieux Carré, chère, la coupa-t-il, le regard soudain sévère; et c'est le fief de ma Guilde. Je n'apprécie pas vraiment qu'une inconnue, aussi jolie soit-elle, vienne chasser sur mon territoire. Quel est ton nom ?
- Mon nom ? Et le vôtre ?
- C’est moi qui t’ai posé la question en premier, lui sourit-il, visiblement amusé par le ton agressif qu’elle employait, en proie à une certaine angoisse.
- Les gens qui m'ont trouvé m'ont appelé Esméralda.
L’homme fronça les sourcils :
- Les gens qui t'on trouvé, dis-tu ? Tu es donc orpheline ?
Comme moi, pensait-il...le destin réunit-il donc les êtres seuls pour ne former qu'une seule et unique famille ?
- Non. Je n’en sais rien...peut-être...je ne me souviens de rien avant d'arriver dans cette ville. Ce sont de riches planteurs qui me trouvèrent au bord d'un chemin, la tête ensanglantée. Il semblerait que j'aie été tabassée à mort par une bande d'assassins et laissée là pour morte. Mais ma mémoire flanche...au fait, je me demande pourquoi je vous confie tout ça: je ne vous connais même pas !
- Je m'appelle Rémy Lebeau.
- Je ne vous connais toujours pas, répliqua-t-elle avec un brin d’ironie dans la voix. Un nom, il n’y a rien de plus facile à balancer.
- Qu’est-ce qu’un nom, après tout ? Si la fleur qu’on appelle la rose portait un autre nom, ne sentirait-elle pas aussi bon ?
En voyant l’air surpris de la jeune femme, il expira une bouffée de son cigare avant d’éclairer sa lanterne:
- Shakespeare...Roméo et Juliette.
- Ah. Et c’est votre nom, ça, Shakespeare ?
Il rit franchement.
- Non, bien sûr que non.
- Bref, je ne vous connais toujours pas.
- Le contraire m'aurait étonné. C’aurait été surprenant que par le passé tu aies déjà entendu parler de moi. Mais là n’est pas le problème, pour le moment. Une autre chose me préoccupe à ton sujet, jeune fille: dis-moi...n'as-tu rien senti dans ton corps lorsque je suis arrivé ? Une sorte d’oppression...
La jeune fille éclata de rire:
- Vous plaisantez? Qu’est-ce que vous croyez, que je vais tomber amoureuse de vous dès le premier regard? Vous ne vous mouchez pas du coude, vous alors!
Mais Lebeau gardait son air grave et sérieux :
- Il ne s’agit pas de ça, désolé. Non, je veux parler d’un sentiment d’angoisse, comme une sorte d'oppression ?
La jeune femme ouvrit de grands yeux.
- Oui, quelque chose comme ça…mais je n’y ai guère prêté d’attention particulière. Je crois me souvenir que j’ai déjà ressenti cette angoisse au contact d’une personne, un ami, peut-être… pardonnez-moi,mais tout est flou encore… Est-ce si important que ça ?
- Et comment, petite…mais il se fait tard. Accepteras-tu de m’accompagner pour un dîner ? J’ai pas mal de choses à te raconter…et ça risque de prendre un peu de temps.

Mais tout à coup la douleur de l’Accélération l’arracha à ses pensées.
La voix de Reinhardt raisonna dans la Cathédrale obscurcie:
- Comment, c’est toi, Lebeau ? Que me veux-tu, pourquoi ce rendez-vous ?
Lebeau se retourna et vit l’archéologue debout au milieu de la nef.
- Bonsoir, Walter. Je suis heureux de constater que tu as répondu présent à mon invitation. Ca me touche beaucoup.
Mais l’Allemand ne semblait pas enclin à plaisanter ce soir.
- Je suis attendu au restaurant par une jeune femme, et à cause de ton coup de téléphone, je serai probablement en retard. Alors fais vite ! Dis ce que tu as à me dire, et ...
Mais il ne termina pas sa phrase.
- Tu disais, Walter ?
- ...à moins que tu ne veuilles en finir avec la vie ce soir…
Lebeau sourit; il commença à arpenter le transept lentement:
- Je suis venu m’assurer que tu respecterais bien le caractère sacré de ce lieu, rien de plus.
- Nous ne pouvons combattre sur un sol sacré, tu le sais très bien, s’impatienta Reinhardt. Que veux-tu de plus ? Si c'est pour vérifier cette évidence que tu m’as dérangé, j'aime autant te dire que tu vas le payer très cher !
- Je te l’ai dit : je voulais juste m’assurer que...
- Arrête ton cirque, cria Reinhardt. Je viens de te dire que je respecterais cet endroit !
- Faux !
Rémy se tenait maintenant juste en face de lui, à quelques mètres de distance, le doigt tendu vers l'Immortel, accusateur:
- Tu as violé cet endroit, poursuivit le cajun. La crypte a été pillée par tes soins ! J’en ai la preuve formelle; alors comment puis-je te croire lorsque tu dis que tu éprouves un semblant de respect pour ce lieu sacré ?
Cette fois, Reinhardt semblait en colère.
- Espèce de salaud, murmura-t-il à l’adresse de Lebeau; c’est toi qui a envoyé la femme ce matin pour me piéger et me séduire...
-...et je peux te dire qu’on a tout le temps avant que tu ne la revoies, parce que t’es vraiment pas son genre; donc fissa pour le restaurant. Désolé, mon vieux !
Reinhardt tira son épée qui dormait dans son étui sur une chaise de la Cathédrale et s’avança vers Lebeau:
- Puisque j’ai brisé la Règle sacrée selon toi, tu ne verras aucune objection à ce que j’achève ce que j’aurais dû terminer depuis longtemps déjà ?
Mais le plus vieux des deux Immortels ne semblait pas décidé à se battre dans la Cathédrale:
- Doucement, Walter, dit-il à l’adresse de son adversaire; on ne va quand même pas en venir aux mains !
- Tu m’as frustré de ma vengeance en aidant Cuchùlainn à échapper à une mort certaine et programmée! Ta présence dans cette ville a été contrariante pour moi dès le début. Mais tu vas néanmoins m’accorder une faveur pour te faire pardonner de tous ces tracas: tu vas me dire où il se cache, avant de mourir ! Je sais que tu connais l'endroit de sa retraite…je sais également que tu es très malin et que seul, je ne parviendrai pas à le savoir...
Rémy sortit son épée à son tour.
- Pas question que je te dise quoi que ce soit, Reinhardt ! Ta vengeance est sans fondement, puisque la mort de Charlotte était inévitable. Et en ce qui concerne tes petits...tracas, tu m’en vois navré pour toi.
Reinhardt s’immobilisa:
- Qu’entends-tu par là, que veux-tu dire par sa mort était inévitable ?
- Il fallait qu’elle meurt, poursuivit Lebeau, parce qu’elle avait volé Cuchùlainn. Et même si il n’avait pas tenu à la justice, il l’aurait tuée quand même. Sinon ça aurait été moi, ou un autre...elle était Immortelle, Walter, donc condamnée à mourir un jour de la main de l'un d'entre nous. Notre combat était le sien, à part entière. Et aussi vile qu’ait pu être cette femme, elle n’échappait pas à la fatalité de son sort.
Reinhardt s’empourpra et sa main se crispa sur le manche de son épée:
- Tu es en train de salir sa mémoire ! Je t’ordonne de te taire !
- Pourquoi ? Parce que tu refuses d’admettre la vérité ? Charlotte Guest était une profiteuse, une vipère ! Elle fut ta femme après avoir été ma maîtresse, Reinhardt ! Si tu veux tout savoir, elle a même failli me tuer pour prendre ma place à la tête de la Guilde des voleurs. Elle était la pire d’entre nous! C’est sa mort qui a fait de toi ce que tu es devenu aujourd’hui! Regarde-toi...donnerais-tu ta vie actuelle contre une vie normale, je suis sûr que oui. Ces souffrances, personne ne les a demandées... pas même Charlotte. Et comme il ne peut en rester qu'un, sa mort...
- Oui...oui, je le sais, maugréa-t-il, la bave au bord des lèvres; et je sais aussi que ce ne sera pas toi le dernier d’entre nous! Charlotte représentait ce que la vie pouvait offrir de mieux à un homme. Vous l'avez tuée par vos discours et votre morale stupide ! Moi seul suis digne du Prix. Il ne serait resté que nous deux, et jamais je ne l’aurai tuée ! Je l’aurais protégé contre vous tous, jusqu’à la fin...
La colère faisait trembler ses lèvres.
- Cuchùlainn devra payer, comme toi aujourd'hui car tu es devenu complice de son meurtre…
Ayant dit ces mots, il se rua sur Lebeau en poussant un cri.
Le cajun évita l’assaut en se dérobant et l’épée de Reinhardt vint fendre un chandelier de cuivre qui tomba lourdement sur le sol.
- Tu refuses le combat ? Soit, fit Reinhardt. Mais dans ce cas, accepte au moins que je te tranche la tête !
Le chef des voleurs recula face à l’allemand déchaîné.
Il voulait éviter l’affrontement, et c’est pour ça qu’il lui avait donné rendez-vous dans la Cathédrale.
Mais il ne pensait pas que Reinhardt irait jusqu’à violer un sol sacré pour assouvir sa vengeance. Aussi du -t-il se résoudre à contre-attaquer.
Les lames se croisèrent et le combat fit rage. Physiquement, Lebeau dominait son vis-à-vis, mais la rage décuplait les forces de l’allemand.
- Tu vas regretter de t’être mêlé de mes affaires, alors que tu n’y avais pas été invité!
- Ce sont mes affaires aussi, quand il s’agit de la vie d’un ami !
- Un ami ! Et que feras-tu au jour de la Rencontre ? De toutes les façons, tu n’auras bientôt plus à t’en préoccuper...
- C’est toi qui me poses cette question ? Toi qui était prêt à conserver Charlotte à tes côtés jusqu’à cet instant ?
- Silence et bats-toi mieux que ça ! C’est trop facile, on dirait que tu n’es pas à l’aise.
- Tu me forces à combattre dans un lieu sacré...pour la seconde fois de ma vie j'enfreins la Règle. Le premier qui me poussa à cette extrémité l'a payé de sa vie. Voyons si tu feras exception à la règle, en sortant victorieux de notre affrontement...
Lebeau para une attaque de son adversaire, et réussit à lui envoyer un coup dans le bras droit, ce qui eut pour effet de le faire reculer.
Le sang coulait de la plaie, et Reinhardt regarda le voleur. La haine dévorait son visage et le rendait méconnaissable.
- Tu vas regretter ça, je te le jure !
Mais au moment où il allait fondre sur le cajun, une voix se fit entendre derrière lui:
- Mains en l’air et plus un geste, Reinhardt !

L’allemand sursauta et se retourna : Goldberg le tenait en joue avec son arme de service.
A côté de lui, Cornélius, son épée à la main considéra la scène avec mépris.
- Eh bien, Lebeau, on dirait qu’on arrive à temps…à quelques minutes près c’en était fini de toi.
Lebeau tomba à genoux et murmura:
- Juste à temps. Merci, ô Déesse, pour votre aide!
Puis, à l’adresse de Cornélius:
- Tu veux prendre ma place, peut-être ?
Cornélius le dédaigna :
- Ce sont tes affaires, Lebeau. Démerde-toi.
Il considéra le Lieutenant de police du regard:
- Vous vouliez un flagrant délit, vous l’avez...on fait pas mieux comme cadeau.
Goldberg s’avançait vers Reinhardt qui avait baissé ses bras. Il tenait toujours aussi fermement son épée.
Ses traits déformés par la rage et la colère lui donnaient l’aspect d’un dément. Le mince filet de bave dégoulinant de la commissure droite de ses lèvres et ses yeux exorbités achevaient de lui donner cet aspect inquiétant:
- Tiens, tiens ! Un mortel qui veut chasser de l’Immortel ! Ainsi tu avais tout prévu, cria-t-il en se tournant vers le cajun...et si ça se trouve, en ce moment même, ta copine est en train de me voler...
La pupille se contracta et un léger tremblement le secoua soudain.
Il pâlit et se mit à murmurer en Allemand de façon inaudible pour son entourage.
- Comment ai-je pu tomber dans un piège si grotesque ? Tu m’as berné depuis le début...sale chien de voleur...
Puis à haute voix:
- Sale chien de voleur !!
Il se rendit compte alors du stratagème monté par Lebeau et combien sa haine l’avait aveuglée, au point de tomber dans ce piège grossier. Il poussa un hurlement terrible et se tourna vers le cajun:
- Ainsi tu avais tout prévu, tout calculé ! J’aurais dû me méfier de ta ruse de renard, espèce de chien galeux…tu n’as pas le droit de me voler ma vengeance, tu m’entends ?! Jamais vous ne gagnerez! Ni toi ni cet abruti de flic! Cette épée est le chemin direct vers Cuchùlainn! C’est par elle que je parviendrai à le retrouver et à lui faire payer ce qu’il me doit, toutes ces années de solitude et de souffrance. Je ne te laisserai pas l’occasion de me voler ça aussi ! Elle doit rester en ma possession! Il faut que j’empêche ta salope de me la voler...
Sur ces mots il avança vers Goldberg, lame en avant.
- Ne bougez plus ou je vous jure que je vous descends.
Mais Cornélius s'interposa.
- La salope en question est ma femme, Reinhardt. Maintenant, je vais te tuer : tu as osé combattre sur un sol sacré, brisant la Tradition. Désormais plus personne ne sera à l’abri nulle part, par ta faute…tout ça pour une femme !
La bâtarde du grand blond frappait deux fois plus fort que l'épée de l'allemand. Mais ce dernier esquivait plus vite les assauts portés avec lenteur par son vis-à-vis, compte tenu du poids de l'épée de Cornélius.
Il parvint donc à se jouer de l'Immortel en faisant tomber sur lui un chandelier de bronze qui manqua d’assommer le grand blond.
Ce dernier s'effondra, laissant Reinhardt foncer sur Goldberg.
- Patience, je m’occupe de toi tout de suite, lui dit-il en crachant sur sa nuque. Tout d’abord, réglons le sort de ce flic qui se croit plus fort et plus malin que tout le monde…
Il brandit son épée et fondit sur Goldberg tel un aigle sur sa proie.
Le policier tira deux coups de feu, mais trop tard.
Ils raisonnèrent dans la nef et le choeur, amplifié par un formidable écho assourdissant. Les vitraux tremblèrent mais tinrent bon.
Tandis que tous étaient occupés à se protéger les tympans, Reinhardt profita de la confusion pour s’approcher suffisamment de Goldberg et lui trancha la gorge d'un revers de la main.
Lebeau poussa un cri:
- Non !! Goldberg !
Le lieutenant tomba à genoux devant l’allemand, les yeux convulsés d’horreur et tentant de stopper le flot de sang qui jaillissait de sa gorge par petits jets, éclaboussant le dallage de la cathédrale.
- Et en voilà un de moins, ricana Reinhardt en regardant le corps agité par les derniers soubresauts d’une vie qui le quittait à jamais. Auf viedersehen, Lieutenant. Maintenant, l’épée...souffla-t-il en se dirigeant vers la sortie
Lebeau se précipita vers le policier qui gisait à terre, oubliant Reinhardt qui lui se dirigeait vers la porte cochère qui donnait sur le parking de la place du château.
Le lieutenant fixa le cajun, des larmes dans les yeux.
- R...Rémy...
- Non, ne parlez pas, je vais vous appeler une ambulance ! Mais ne cherchez pas à parler, votre gorge est…
Il aurait voulu lui cacher la gravité de son état, mais le regard du policier lui ordonnait de ne pas essayer de lui mentir. Aussi ne dit-il plus rien.
- Pas la peine...promettez-moi...
- Quoi ? Que voulez-vous ?
Le lieutenant peinait pour articuler:
- Tue-le...pour moi...
Goldberg cracha un dernier filet de sang et sa tête tomba sur le côté.
Lebeau ferma les yeux du lieutenant.
- Encore un innocent qui tombe…
Il venait de perdre un ami, un de plus.

Cornélius, qui venait de reprendre ses esprits, se leva et prit appui sur une des colonnes du transept.
Cherchant Lebeau des yeux, il découvrit le spectacle de Goldberg gisant au milieu d’une mare de sang.
Il s'approcha lentement des deux hommes, se frottant le crâne.
- J'ai été stupide de m'attaquer ainsi à Reinhardt sans aucune stratégie, murmura-t-il en fixant la blessure de Goldberg. C'est ma faute s'il est mort. Je te demande de me pardonner…
Les poings serrés, il renversa un chandelier et répandit les bougies sur le sol; certaines flammes ne vacillèrent pas et d’autres moururent noyées dans la cire.
- Ne te reproche rien, ami, murmura Lebeau en soulevant le cadavre du policier. Il savait ce qui l’attendait, mais j’aurais voulu le préserver de tout ça…sa mort ne restera pas impunie, sois-en convaincu.
Et, lui adressant un regard vide:
- Il sera pour toi, si on arrive à le coincer encore ce soir.
Cornélius demeura sombre:
- Il a réussi à s’enfuir. Nous devons le rattraper avant qu’il ne rencontre Esméralda!
- Un moment…
- On a pas un moment ! Lui cria le géant en courant vers la sortie.
Mais Lebeau n’écoutait plus. Il transporta le corps de Goldberg au pied d’un autel d’une des chapelles latérales, se signa maladroitement et couru vers la sortie rejoindre Cornélius…



Esméralda essayait une nouvelle fois d’atteindre la garde de l’épée au travers de la grille.
Ses doigts n’avaient cessé de l’effleurer au cours de ses précédentes tentatives.
Le temps la stressait, plutôt le manque de temps, et elle ne parvenait pas à coordonner ses mouvements. Il lui fallait retrouver de sa sérénité avant qu’il ne soit trop tard. Mais pouvait-elle encore s’accorder de trop précieuses minutes à retrouver sa concentration ?
Soudain un bip se fit entendre.
Il provenait de sa ceinture. Elle sortit le téléphone cellulaire et répondit d’une voix feutrée:
- Oui...
La voix de Cornélius hurlait dans le combiné:
- Esméralda !
- Tu sais, ce n’est vraiment pas le moment de me déranger, mon chéri...
- Où es-tu ? Tu as réussi ?
La jeune femme s’essuya le front du revers de sa manche avant de répondre:
- Presque...encore deux petites minutes et je lève le camp.
- Dégage au plus vite ! Reinhardt a découvert le plan de Lebeau et il est en route pour t’épingler ! Il a tué Goldberg, et il est prêt à tout pour se venger.
- C’est pas possible, articula-t-elle d’une voix tremblante; Rémy devait s’en occuper...
Cornélius prit un ton qui se voulait plus rassurant:
- Ne t’en fais pas, on est sur ses talons. Tu as l’épée ?
- Oui, je l’ai, mentit la jeune femme. Je serai dans la rue dans deux minutes. Ne vous inquiétez pas pour moi. Je filerai au lieu prévu et le plan se terminera sans accrocs.
La voix de Lebeau succéda à celle de Cornélius dans le combiné:
- Si tu l’as, tu reprends ta voiture et tu dégages au plus vite, tu m’as bien compris ? Oublie ce qu’on avait prévu : il est trop rusé pour ne pas découvrir ça en plus du reste.
- Je file où avec l’épée ? C’est qu’elle pèse une tonne, cette lame ! Je crains de ne pas avoir la force de la monter jusqu’à notre cachette de l’avenue des Vosges…il me faut trouver un autre endroit.
- Dans ce cas, tu fonces vers la Petite France. Je t’attendrai à la maison mère, tu passes me prendre et je te dépose chez toi avec ta caisse. Je monterai jusqu’à la grotte pour la rendre à Cuchùlainn !
- Très bien...
La jeune femme rangea le portable dans sa ceinture et se remit au travail.
Après quelques efforts de contorsion et de dextérité, elle parvint enfin à saisir la garde confortablement et tira la lourde épée à elle.
Heureuse d’y être parvenue, elle la serra contre elle.
- Enfin je te tiens, ma belle...tu vas voir, toi et moi, on va super bien s’entendre.
Puis elle se leva et couru vers la sortie…

Les chiens dormaient toujours dans le parc.
Elle arriva jusqu’à la grille et sortit sur le trottoir. Sa voiture était garée juste devant elle; au moment où elle déposa l’épée sur le siège arrière, le rugissement d’un moteur se fit entendre à l’angle de la rue opposée à celle où elle se trouvait:
- Putain, il est déjà là…
Elle sauta par-dessus la portière et s’installa au volant de la décapotable.
Rapidement elle tourna la clé de contact et fit rugir le moteur du petit cabriolet, démarra et fila en direction de la Petite France, comme le lui avait ordonné Lebeau quelques instants auparavant....


Reinhardt découvrit ses chiens endormis sur sa pelouse.
Il songea à la somme qu’il avait dépensée en pure perte pour s’assurer de la meilleure protection possible avec ces deux molosses, et voilà qu’une femme parvenait à les neutraliser avec un simple morceau de viande froide empoisonnée !
Ivre de rage, il leur trancha la tête à l’aide de son épée et leur frappa les flancs à coup de talon. Puis il pénétra chez lui par la porte laissée ouverte par Esméralda dans sa fuite. Fonçant dans le corridor de l’entrée, il ne prit même pas la peine de débrancher le système d’alarme qui continuait de hurler dans ses oreilles.
Il tomba sur la grille baissée devant son salon et comprit qu’il était arrivé trop tard. Il entra dans une colère démente et brisa tout son mobilier à coup d'épée, éparpillant les morceaux dans tout le salon.
Il quitta alors sa maison, retraversa son jardin et se retrouva sur le trottoir.
Il remonta dans sa voiture et composa le numéro de la chambre de Rodrigues sur son portable.
Un temps, puis une jeune femme décrocha:
-Allô ? Qui est à l’appareil ?
- Passe-moi Rodrigues, poufiasse ! Hurla t-il dans le combiné.
- Qui ça ? Demanda la jeune femme d’un ton vulgaire.
- Passe-le moi !
- Le précédent client est parti, monsieur, et je vous prierais de ne pas être grossier ! Qui êtes-vous, d’abord pour me parler sur ce ton ?
Reinhardt coupa la communication.
- Comment ça, parti ? Qu’est-ce qu’il me fabrique encore, celui-là ? Personne ne lui a ordonné de partir, que je sache !
Il postillonnait de colère.
- Si jamais tu cherches à me doubler, toi aussi, je te garantis une mort rapide...
Il démarra et fonça sur le boulevard de l’Orangerie.
- Où peu-tu être, Portugais de mes deux ? Et si...
Il composa alors un second numéro de téléphone, se fiant à son intuition.
Après trois tonalités, il tomba sur le médecin de garde de la morgue de l’hôpital de Hautepierre dont la voix indiquait qu’il avait dû être réveillé tout comme la femme de l’hôtel.
- Allô, oui...je voudrais un renseignement; demanda Reinhardt en s'efforçant de conserver son calme. Je suis de la brigade criminelle…oui, vous a-t-on amené un dénommé Luis Rodrigues, cet après-midi ?...Oui, j’attends... allô ? Oui, il s’agit d’un collègue de travail...Oui ? Et il est mort, dites-vous ?...comment ? Décapité ? Quelle horreur! Je vois...l'oeuvre d'un déséquilibré, sans doute…Je vous remercie...
Reinhardt était trop énervé pour feindre plus longtemps le dégoût et la tristesse. Il raccrocha en serrant les dents:
- Bravo, Lebeau, bien joué là encore! Tu t’es débarrassé de Luis, mais tu ne gagneras pas contre moi! Je vais trouver ton ami et le tuer; ainsi ma victoire sera complète ! Je sais où il se cache ; il n’y a qu’un endroit où tu as pu l’amener…j’aurais du y songer plus tôt.
Après quelques minutes de conduite à tombeau ouvert, la voiture entra sur l’autoroute, et Reinhardt prit la direction de Molsheim-Obernai.
La route du mont Sainte-Odile s'ouvrait devant lui.
- J’arrive, Cuchùlainn !



Esméralda gara sa voiture le long du quai Finkwiller, et se précipita dans la cabine téléphonique qui se trouvait juste à côté de la caserne des pompiers de la ville.
Lebeau lui avait donné comme consigne d’éplucher l’annuaire qui s’y trouvait en cas de changements concertés ou non, dans le déroulement de l’opération de récupération de l’épée.
Elle transpirait à grosses gouttes, plus par nervosité qu’à cause de la chaleur de cette nuit.
Elle avait sans cesse regardé à travers son rétroviseur de peur que Reinhardt ne la poursuive. Une fois elle s’était crue suivie, mais lorsqu’elle remarqua que les passagers de la voiture dans son rétroviseur étaient trois, elle avait poussé un soupir de soulagement.
Entrant comme une furie dans la cabine, elle ouvrit l’annuaire téléphonique et se mit à le parcourir frénétiquement.
Quand enfin elle tomba sur la page qu’elle cherchait, elle esquissa un sourire.
Des instructions lui avaient été griffonnées au marqueur, et la jeune femme reconnut la patte de son chef de Guilde:
"Consignes à appliquer en cas de changement de programme de dernière minute: porter l’épée à Frédéric Maisongrande, au couvent du mont Sainte Odile. Si il ne s’y trouve pas, prendre le mur païen en direction du Maënnelstein »
Le message portait la signature de Lebeau.
Comme elle en avait l’habitude maintenant, elle arracha la page et sortit son briquet pour la faire disparaître. Elle contempla la fine feuille se consumer à ses pieds, l’écrasa pour en étouffer la flamme et une fois la feuille en cendres, elle quitta les lieux.


Cuchùlainn quittait Obernai et s’apprêtait à s’engager sur la petite nationale le conduisant à Strasbourg.
La nuit était tombée depuis quelques heures déjà, et la Jaguar entra dans le village de Bischoffsheim, dernière étape avant la bretelle qui le conduirait sur l’autoroute pour Strasbourg.
Sa nouvelle épée était posée sur le siège arrière de la voiture, et il pouvait de temps en temps apercevoir une lueur reflétée par la lame lorsque les feux d’un camion venaient à le croiser.
Il demeurait calme, assez maître de lui malgré la colère et la rage qui bouillonnaient dans sa tête.
Une angoisse s’était emparée de lui au moment de quitter la montagne sacrée et de passer les barrages disposés par les acolytes de Lebeau pour interdire tout accès par la route au mont Sainte Odile; la peur de ne plus revoir Morrigann avait été plus forte que celle de perdre la vie, et cela signifiait pour lui que cette seule motivation suffirait peut-être à l’aider à terrasser son ennemi.
Son ennemi...Walter Reinhardt...l’un des plus farouches Immortels qui lui ait été donné d’affronter. Un ennemi motivé non seulement par le Prix, mais aussi animé par un esprit de vengeance plus fort encore...
Cependant, Cuchùlainn n’était pas disposé à lui pardonner ses actes pour autant: il lui avait volé Tir Inna M’Béo, et il devait réparer cette offense en lui faisant payer son crime de sa vie.
C’était comme ça. C’était sa règle…

La Jaguar prit le giratoire à la sortie du village et Cuchùlainn s’engagea sur la voie rapide le conduisant à Strasbourg.
Mais soudain, alors qu’il se préparait à accélérer avant de se déporter sur sa gauche et de quitter la bretelle d’accès, il remarqua une forme allongée au loin en travers de la chaussée.
Freinant d’un coup de patin brusque, il ne parvint cependant pas à éviter ce qu’il identifia comme étant une voiture; il la percuta de plein fouet et envoya sa Jaguar dans le bas côté.
Un buisson vint freiner la course sans contrôle de la voiture et celle-ci s’immobilisa brutalement, envoyant son chauffeur à travers le pare-brise s’écraser dans un champ de maïs.

Lorsqu’il revint à lui, quelques instants plus tard, Cuchùlainn frissonna.
Mais ce n’était pas le froid qui l’avait sorti de sa transe. Encore moins la peur de la solitude ou son isolement sur une route où étrangement ne circulaient ce soir aucune voiture...
Non, il fut surpris de constater que son angoisse provenait du plus profond de son être, il comprit alors qu’il ressentait en ce moment même l’accélération.
Un Immortel se trouvait près de lui...
Alors tout se passa très vite.
Persuadé que Reinhardt était derrière cet accident, il se releva d’un bond et couru à la voiture pour chercher son épée restée sur le siège arrière.
Il transpirait à grosses gouttes, et d’un revers de sa main il essuya ses tempes où le sang des plaies cicatrisées de son front se mêlait à la sueur. Il trébucha sur une pierre et poussa un juron en vieux Gaélique avant de se rétablir. Le temps pressait, il ne pouvait se permettre de se fouler encore une cheville !
Remontant le talus jusqu’à la voiture, sur la courte distance qui le séparait de son épée, il angoissait: si Reinhardt était déjà arrivé à la voiture, tout était fini...cette pensée lui donna un coup de fouet, et il sentit ses jambes reprendre de la vigueur.
Il arriva enfin à sa voiture; l’avant était en miette et toutes les vitres avaient volé en éclats. Il plongea sa main à la recherche de son épée à travers la portière arrière; mais sa main ne rencontra que des débris de verre sur les coussins.

C’est alors qu’une voix venant de l’autoroute le fit sursauter.
- C’est ça que tu cherches, dis-moi ?
Il se tourna vers une silhouette qui brandissait bien haut son épée, dont la lame brillait, éclairée par un lampadaire.
La fumée qui se dégageait de la carcasse ayant provoqué l’accident l’empêchait de distinguer les traits de l’Immortel qui se tenait devant lui. Reinhardt ou Rodrigues, peut lui importait dans le fond, puisque tous les deux en voulaient à sa vie.
- Approche, et qu’on en finisse, lui cria Cuchùlainn, les poings serrés contre ses cuisses, rageant de n’avoir pas été plus rapide à revenir à lui.
Mais en guise de réponse, la silhouette ricana.
- Es-tu si pressé de quitter ce monde ? N’as-tu pas encore quelques belles années à vivre en compagnie de ta charmante fiancée, l’autrichien ?
L’autrichien!
Une seule personne au monde connaissait ce surnom.
Il détestait ce surnom ! Et cette personne le savait bien. Aussi, pour le taquiner l’appelait-elle sans cesse par ce sobriquet ridicule.
Oui, ce ne pouvait être que...
- Lebeau ! Rémy, c’est toi ?
- Bien sûr que c'est lui, mon pauvre ami! Lui répondit une autre voix, une voix qui n’appartenait pour l’instant à aucune autre silhouette visible.
- Cette voix...Cornélius ? Mes amis !
L’homme dévala le talus et s’approcha de Cuchùlainn; il pu enfin distinguer les traits du cajun. Il se jeta dans ses bras, plus par soulagement que par épuisement. Lebeau le serra contre sa poitrine. Cornélius vint achever le trio en embrassant son vieux compagnon d'arme.
Le cajun desserra son étreinte et considéra le celte de pied en cape:
- Je craignais d’arriver trop tard; mais puisque tu es là, c’est que tout espoir n’est pas perdu!
Cuchùlainn dévisagea à son tour son compagnon:
- Que m’est-il arrivé ? Il y avait cette voiture, et puis boum !
- C’est de ma faute, commença Lebeau alors que les deux hommes entamaient l’ascension du talus; Cornélius soutenant Cuchùlainn le temps qu’il recouvre toutes ses forces. Quand j’ai appris le vol de ton épée, je me suis empressé de la récupérer. D’ailleurs, en ce moment, notre chère Esméralda, est en route pour le couvent où elle espère pouvoir te la remettre en main propre...mais vu que tu es là, elle ne trouvera personne…
- Tu as réussi à récupérer mon épée ?
- Oui; après quoi, avec Cornélius, je me suis mis en route pour te rejoindre et te mettre en garde. Reinhardt ne va sans doute pas tarder à monter te chercher pour t’affronter...il a fini par découvrir où je te cachais...mais comme j’ignorais tout de tes projets, et incapable de dire si tu allais ou non rejoindre Strasbourg ou non, je me suis permis de condamner l’autoroute avec ma voiture. Un coup de chance que tu sois passé par là !
Cuchùlainn ouvrit de grands yeux:
- Ta voiture ? J’ai percuté ta voiture ?
- Oui, enfin...quand je dis ma voiture...j’ai volé ce break et avec l’aide de Cornélius on l’a couché sur la voie. On pensait te stopper, pas provoquer cette chute toute folle !
- Mais...imagine qu’un autre que moi soit passé par là !
- Impossible, sourit Cornélius; j’ai condamné tous les accès à l’autoroute au moyen de panneaux volés par Lebeau à une entreprise de travaux publics; seule la bretelle de Bischoffsheim était accessible en voiture, mais pour ça il fallait descendre du massif du mont Sainte-Odile...et personne ne pouvait venir de là, la route étant fermée plus haut par les barrages de la DDE
Cuchùlainn ouvrit de grands yeux :
- Vous aviez vraiment tout prévu…c’est machiavélique!
Lebeau sourit
- C’est mon métier...
Ils venaient d’arriver devant l’épave de la voiture volée par le cajun lorsque le portable du chef des Voleurs sonna dans la poche de son trench coat. Il sortit l’appareil et l’approcha de son oreille:
- J’écoute.
La voix qui lui répondit le fit sourire: c’était Esméralda.
- J’ai l’épée; j’ai bien reçu ton dernier message et comme convenu je me dirige vers Obernai.
Cornélius demanda à son ami à qui il parlait au téléphone:
- Esméralda est en route, répondit-il en posant la main sur le combiné.
- Elle a réussi ?
Lebeau fit signe du pouce que tout se passait pour le mieux à Cuchùlainn et à Cornélius, puis il reprit le fil de sa conversation:
- Tu es en route pour Obernai ? Bon. Tu t’arrêteras quand tu apercevras une colonne de fumée au niveau de la sortie pour toi; on t’attendra sur le bas-côté ! Je suis avec Cuchùlainn, j’ai réussi à l’empêcher de rejoindre Strasbourg...
Rémy coupa la conversation et se tourna vers son ami:
- Cher Cornélius, ta douce ne va pas tarder à nous rejoindre, avec ton épée, mon frère, termina-t-il en se tournant vers Cuchùlainn...mais au fait, j’ai deux questions à te poser: d’où vient cette épée-là; et comment se fait-il que tu aies quitté le couvent en laissant Morrigann et Florence ?
- Florence est venue me raconter ce que tu lui avais révélé au sujet de Reinhardt...mais c’est de ma faute, ne l’en blâme pas: c’est moi qui ait insisté pour qu’elle parle. Alors je me suis mis à l’ouvrage, plus déterminé que jamais, forgeant une nouvelle lame...
Il la brandit et la caressa avec amour:
- La voici; dit-il en la présentant à ses deux amis.
Lebeau considéra l’épée :
- J’ai eu tout le loisir de l’admirer quand tu pionçais dans l’herbe tout à l’heure...elle est superbe !
- J’ai retrouvé les secrets du Fer et du Feu, leur mariage ne s’est pas fait tout de suite, crois-moi ! Il m’a fallu du temps avant d’obtenir cette merveille.
- Je te crois...
Cuchùlainn s’approcha de Cornélius:
- Maintenant, je suis très inquiet pour Morrigann: si Reinhardt venait à les trouver, elle et Florence, je n’ose imaginer la scène...je m’en veux d’avoir quitté la montagne ! Le sortilège de Morrigann faiblit avec le temps.
- Moi aussi je suis pas tranquille...Esméralda ne va plus tarder, à présent...tiens, écoute !
Le vrombissement d’un moteur de voiture se fit entendre, et les deux compagnons traversèrent la double voie pour se rendre du côté où la voleuse était censée les embarquer.
Lebeau, resté en arrière, prit au passage son épée dans le coffre du break cabossé et rejoignit Cuchùlainn.
Au bout de quelques secondes, ils purent enfin distinguer deux phares les éblouissant; mais la voiture ne semblait pas ralentir.
- Elle ne nous a sans doute pas vu, hasarda Cornélius. Je vais mettre ma lame face à ses phares pour l’éblouir et la forcer à ralentir.
Soudain, Cuchùlainn prit le bras de Lebeau:
- Ce n’est pas Esméralda…
- Quoi ?
- Couchez-vous.
Mais déjà le celte s’était approché de Cornélius et le fit se coucher à plat ventre.
- Bon sang, Cornélius...tu ne sens rien ?
La voiture passa à quelques mètres d’eux, et elle disparut vers la montagne. Cornélius se releva:
- J’ai ressenti quelque chose quand elle est passée...
Son regard se porta sur son compagnon, son visage était blême:
- C’était lui, j’en suis sûr ! Il se dirige vers la montagne ! Oh, mon Dieu!
- Laisse Dieu où il est, lui répliqua Lebeau, et calme-toi. Rien ne nous dit que ce que nous avons ressenti était bel et bien l’Accélération.
- Je suis formel, répliqua Cornélius. C’était Reinhardt.
Cuchùlainn s’était assis, abattu:
- C’est ma faute si il leur arrive malheur...jamais je n’aurais dû quitter la montagne.
Mais Lebeau s’était relevé et il lui attrapa le bras:
- Tais-toi et regarde !
Une voiture faisant des appels de phares arriva sur la voie, et elle ralentit en apercevant la colonne de fumée.
Esméralda s’arrêta et agita le bras vers Lebeau:
- Je me suis fait doubler par une voiture, il y a cinq minutes ! J’ai peur que ce soit...
Le cajun sauta à côté de la jeune femme dans la voiture, tandis que Cuchùlainn prit place à l’arrière. Cornélius embrassa avec fougue son autre moitié avant de prendre le volant.
- Repose-toi, poussin, et laisse faire l'expert...on a une poursuite au programme et ça c’est mon rayon!
- Tu as été géniale, ma chère, la félicita Lebeau. Et pour répondre à ta question, c’était bien Reinhardt qui vient de passer ! Maintenant il s’agit de foncer au Sainte-Odile, car s’il arrive malheur à Florence et à Morrigann...
Cuchùlainn sentit son coeur battre la chamade: à côté de lui reposait Tir Inna M’Béo, son épée, sa toute première épée, le fruit de toute une enfance...
Une larme coula le long de sa joue lorsqu’il empoigna le manche de sa lourde et vieille compagne. Il avait rêvé d’elle bien des nuits, et ses souvenirs ne l’avaient jamais trahis. Elle n’avait pas changée; la rouille et les outrages du temps ne l’avaient pas touchée...elle donnait l’impression de sortir de la forge.
Lebeau aperçut son compagnon à travers le rétroviseur, et il se retourna:
- Alors c’est elle, Tir Inna M’Béo...elle est fascinante, du moins en apparence.
- Cette épée est différente des autres...tu auras l'occasion de le voir si nous arrivons à temps. Fonce, Cornélius!
- Surtout arrange-toi pour ne pas esquinter ma bagnole, implora Esméralda.
Cuchùlainn serra son épée dans ses deux mains.
Désormais son esprit était entièrement obnubilé par l’image de Reinhardt s’en prenant à Morrigann. Il sentit la rage se réveiller en lui.
Il était prêt, maintenant.
Une tâche de lumière se détachait de la voûte céleste, silhouette du couvent endormi au sommet d’une montagne, et la voiture filait en sa direction…






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