10 novembre 2005

CHAPITRE VII

Le feu se remit à brûler sur les charbons laissés par la combustion du chêne, et Cuchùlainn se remit au travail.
Morrigann et Florence étaient assise devant la grotte des Druides, observant le maître forgeron à la tâche, sans mot dire.
La jeune voleuse pouvait sentir l’inquiétude qui s’était emparé de Morrigann. Mais son visage ne laissait rien transparaître. Il s’était fermé à tout ce qui n’était pas Cuchùlainn, et elle vivait chacun de ses gestes avec une intensité qui trahissait son état.
Cuchùlainn avait changé.
Son attitude n’était plus la même, et il abordait sa tâche sous un angle nouveau.
Maintenant il avait un présent à offrir au feu; sa haine et sa colère, deux sentiments qui pour une raison qu’il ignorait, avaient été occultés durant ses premières tentatives.
Ils étaient mauvais et l’apanage des faibles, pensait-il ; mais ils pouvaient tout aussi bien redonner force et espoir. Pourquoi ne pas tenter l’alchimie une fois encore ?
Cette fois-ci, le feu accepta l’offrande et se plia à la volonté du Celte. Lentement, avec minutie et patience il posa son morceau de fer entre les charbons ardents, le sortant pour le frapper sur son enclume ; lui donnant enfin une forme ressemblant à une lame d’épée.
L’opération fut répétée une bonne cinquantaine de fois, Cuchùlainn exigeant de lui-même la perfection.
Certes, il savait qu’il ne forgerait plus de lame comme Tir Inna M’ Béo, cependant il désirait que de l’union du fer et du feu puisse naître l’épée la plus robuste jamais forgée par l’homme.
Plus rien n’existait autour de lui.
Le temps n’avait plus de prise sur son travail, et l’espace ne comptait plus. Seules l’épée et la forge monopolisaient son attention.
Le feu avait changé, lui aussi: de cruel et incontrôlable, il était devenu docile et maîtrisable, à tel point que Morrigann se demanda si son fiancé ne possédait pas d’autres pouvoirs que ceux dont il lui avait déjà parlé.
Le marteau raisonna encore toute la journée dans la montagne. Cuchùlainn, le Fils de Crom, le Grand Maître forgeron, était de retour à la vie…


Lebeau arrêta sa BMW devant l’immeuble de l’avenue des Vosges où il avait déposé ses deux compagnons une semaine auparavant.
Il avait passé la nuit à attendre en vain.
C'est pourquoi au petit matin il s’était décidé à venir jusqu'ici, au risque d'y attirer Reinhardt ou Rodrigues.
Au dernier étage de l’immeuble un appartement en duplex leur servait à la fois de garde-meuble et de salle de vente pour une certaine catégorie d’acheteurs.
La Guilde des Voleurs, dont il était le chef, sévissait dans toute l’Europe occidentale, et Strasbourg offrait une plaque tournante idéale pour ses affaires.
Lebeau se tint un long moment les yeux fermés, cherchant à ressentir une présence d’Immortel dans les environs. Mais rien ne semblait le menacer.
Aussi descendit-il de voiture, et entra dans l’immeuble.

Il entra dans l’ascenseur et saisit sur le clavier le code à huit chiffres qui le conduisit au duplex. Lorsqu’il ouvrit la porte, il eut un choc: l’appartement avait été saccagé et visité, probablement par des cambrioleurs.
Mais en parcourant les décombres des statues grecques, les tableaux lacérés, les meubles déshabillés et d’autres objets de grande valeur, il remarqua que l’on s’était « contenté » de casser sans rien emporter. Même parmi les tableaux qui furent lacérés au couteau, aucune ne manquait. Des oeuvres de Picasso et de Rubens, authentiques volés dans des musées et remplacés par des copies.
Serrant les poings, Lebeau gravit les marches de l’escalier le conduisant à l’étage où se trouvaient le bureau et ses affaires.
Tout avait été balayé de sur le bureau, les papiers et actes de vente déchirés et piétinés. De toute évidence, ceux qui avaient fait ça n’étaient pas des sicaires, ses ennemis de toujours:eux auraient pris des objets de valeur, se transformant pour un instant en voleurs...
Non, ceux qui avaient perpétré cet acte de pur vandalisme l’avait fait délibérément dans le seul but de détruire. Mais détruire quoi ? Les objets stockés ici, où les propriétaires du duplex ? Personne ne connaissait l’adresse, mis à part les acheteurs étrangers, mais qui ne connaissaient pas assez la ville pour resituer l’endroit. Qui donc, alors ?
La sonnerie du téléphone le fit sursauter.
Le socle du portable se trouvait juste à ses pieds, sous une liasse de dossiers éparpillés. Il se mit à la recherche du portable, quand une idée lui traversa l’esprit: le téléphone et son support de recharge de batterie avaient été séparés lors de la fouille de l’appartement. Cela voulait donc dire que les malfaiteurs devaient avoir agi assez récemment, pour que le portable ait encore suffisamment d’autonomie !
Il ne fallait donc pas qu’il décroche, car ce coup de fil pouvait très bien être un piège destiné à vérifier s’il était revenu à son repaire. Il trouva donc le portable, mais le laissa sonner. C’est alors que le répondeur automatique se mit en route, laissant entendre la voix de Malik indiquant l’absence des propriétaires en ce moment.
Lebeau transpirait:le répondeur allait-il tout faire foirer, ou au contraire allait-il le mettre sur la piste de ses cambrioleurs ? Le premier signal sonore retentit, suivi par l’enroulement de la bande magnétique jusqu’à la fin du précédent message, puis ce fut le signal pour le correspondant:
« - Rémy, ici Choco...c’est le troisième et dernier message qu’on te laisse: l’appart a été mis à sac. Malik a failli surprendre les types qui ont fait ça : il les a vu sortir de l’immeuble peu avant son arrivée; il parait que l’un des deux est assez grand, plutôt large d’épaule, genre hispanique. J'ai pensé à Rodrigues. Lièvre est reparti pour la Nouvelle-Orléans cette nuit. Nous on est sur Colmar, au Siège de la Guilde, en sécurité. Mais on va pas tarder à décaniller aussi maintenant que notre boulot est terminé ; à moins que t’aies encore besoin de nos ser...
Lebeau décrocha le combiné et tira l’antenne:
- Choco ? C’est Rémy.
La voix semblait lointaine à l’autre bout du fil.
- Salut, patron! Tu as vu dans quel état ils ont mis l’appart?
- J’ai vu, le coupa Lebeau en s’asseyant dans son fauteuil de cuir où il remarqua des traces de couteau sur le dossier et sur les accoudoirs. Ils n’ont rien épargné. Mais je peux te dire que c’est pas un coup des Sicaires! Je crois qu'ils ont cherché à m’atteindre personnellement dans cette affaire: rien n'a été volé. Si comme tu le penses c'est bien Rodrigues, c'est pour me montrer que même ici je ne suis plus en sécurité
- On bosse sur une commande pour le comte Zueber : il veut l’original de "la mort de Saint-Sébastien" par Michel-Ange...
Lebeau grimaça :
- Le Louvre… j’aime pas trop ce genre de travail.
- On décolle cet après-midi avec Malik et Baptiste Martin. Après quoi on rentre à la Maison pour la livraison et la paye. Ah ! J’allais oublier : Tante a appelé aussi. Elle demande quand tu comptes rentrer à la Nouvelle-Orléans.
Lebeau sourit en pensant à sa vieille Tante Mattie. Puis il se re-concentra sur le vol au musée du Louvre :
- Mets aussi Lièvre et Feu-Follet sur le coup, moi je pourrai pas en être...
Il connaissait la passion de son demi-frère pour Michel-Ange. Et son jeune cousin de seize ans surnommé par ses propres parents Feu-Follet en raison de son incroyable rapidité, formait avec Lièvre le meilleur duo de voleurs que la Guilde puisse avoir dans ses rangs.
Choco prit note des consignes de son patron.
- On ne te garde pas une place ?
- navré, pas ce coup-ci…
- Reinhardt ?
Mais Choco n’attendait pas de réponse, il la connaissait .
- Il a déterré l’épée de Cuchùlainn, un vieil ami…je suis là pour la récupérer.
Il entendit Malik parler derrière Choco. Ce dernier reprit:
- Tu vas agir en personne, sur ce coup ? Oh, tu peux pas savoir ce que j’donnerai pour te voir à l’oeuvre, mon vieux !
Lebeau se sentit flatté par les propos de Choco. Il est vrai qu’il n’avait plus volé personnellement depuis une vingtaine d'années, se contentant de former des élèves comme Florence ou Esméralda. De temps en temps de petits larcins pour son propre compte lui permettaient de garder la forme. Mais rien d'officiel depuis belle lurette.
- T’en fais pas, tu louperas rien; à 200 ans et des poussières, je dois être plus rouillé qu’autre chose!
- Très bien, à plus tard. On te tiendra au courant de la suite des événements…
- Bonne chance, les gars…
Lebeau coupa le contact et replaça le téléphone sans fil sur son socle.
Il se releva, et buta sur un classeur de dossiers de vente. Pas le temps de ranger, se dit-il, et c’est bien dommage. Un autre coup l’attendait, et celui-là ne souffrait plus aucun retard.
A dire vrai, il estimait qu’il en avait déjà trop pris, et qu’il était temps d’en finir.
Mais alors qu'il s'apprêtait à quitter l'apartement, il remarqua un parchemin roulé devant le pot d'un yucca.
Il s'en empara et le déroula.
Ce qu'il lut le fit pâlir.
- Il ne manquait plus que lui... comment se fait-il qu'il soit encore en vie, lui aussi ?
Il froissa le parchemin et composa rapidement un numéro de téléphone sur son portable. Après deux tonalités, une voix de femme décrocha.
- Monsieur Lebeau à l'appareil : dites à monsieur le Consul que j'ai bien reçu son "invitation"...
Et il raccrocha sans attendre la réponse de son interlocutrice.
Il quitta l’appartement en refermant bien derrière lui, et s’engouffra dans l’ascenseur.

Il faisait très beau sur Strasbourg aujourd’hui, et la ville grouillait de touristes désireux de visiter la Cathédrale et les coins pittoresques de la capitale Européenne. Les bateaux-mouches étaient pleins à craquer, et de longues files d’attente s’étiraient sur les quais.
Mais Rémy Lebeau n’avait guère le temps de s’occuper des touristes.
Pourtant, à cette période de l’année, les affaires de la Guilde florissaient, et les groupes de touristes étaient souvent l’occasion pour de jeunes membres des familles de passer leur épreuve d’admission au sein de la Guilde dirigée par lui.
En Louisiane, c’était à cette période de l’année qu’il avait dû voler un collier à une riche fille de diamantaire, ami de sa famille, et ce, chaperonné par son frère Henry, disparu aujourd’hui, victime de la lutte sanglante entre les deux factions rivales qui se partageaient la capitale du sud des Etats-Unis.
Il lui arrivait souvent de penser à cette lointaine époque, alors qu’il n’était pas encore Immortel...il revoit le visage de sa bien-aimée Belladonne, et se demande si en l’épousant comme l’avaient tout d’abord souhaité Marius Boudreaux et Jean-Luc son père, il n’aurait pas du même coup sauvé la vie de son frère.
Mais il était trop tard pour revenir sur ces événements tragiques, et il le savait bien.
Comme il savait que jamais cette plaie ne se refermerait dans son coeur…

Il engagea sa voiture dans la descente du parking Gutemberg et se gara assez facilement; un touriste Italien libérant justement une place au premier niveau.
Traversant la place à pied, il traversa la rue du Vieux Marché aux Poissons et entra dans un magasin de souvenirs portant enseigne L.BOLLINGER.
Une des trois vendeuses vint à sa rencontre:
- Bonjour, monsieur Bollinger. Comment allez-vous?
Lebeau la salua avec le sourire:
- Très bien, Madeleine, je vous remercie...
Madeleine l’abandonna aussitôt pour renseigner une cliente. La petite boutique était pleine, et deux vendeuses s’occupaient de satisfaire les touristes avec le sourire.
La plus jeune des trois vendeuses, une jeune femme aux cheveux blonds, vint à son tour le saluer:
- T’as la tête des mauvais jours.
Tu ne crois pas si bien dire, ma chère. Tu vas bien ?
La jeune fille se dirigea vers une cliente danoise qui la demandait; quelques instants plus tard, elle passa devant son patron et lui glissa:
- Deux minutes et je suis à toi.
Cinq minutes plus tard, Esméralda le rejoignit.
- C'est cool que le patron lui-même vienne faire les honneurs de son magasin: ça permet de profiter d'une petite pause ! ! C'est tout bon pour tes affaires, ça, beau blond !
Esméralda avait un franc-parler qui en aurait mis plus d'un mal à l'aise. Rémy l'avait toujours connue comme ça. Ce que d'autres auraient interprété comme un manque de respect de la jeune femme envers son chef de Guilde, lui le prenait pour ce que c'était: une sincérité exprimée spontanément avec la fraîcheur de la jeunesse.
Pourtant Esméralda était bien plus âgée que lui, même si son âge se chiffrait en centaine d'année: elle était Immortelle elle aussi.
- Tu t'en doutes bien; si le temps me le permettait, je viendrais plus souvent. Il faut que je te parle. Mais pas ici.
Et Lebeau s’adressa à Madeleine :
- Je vous enlève Melle Villalobos quelques minutes, chère Madeleine…
Il vit à son regard que la vendeuse aurait volontiers protesté devant l’afflux de clients ; une paire de bras supplémentaires n’étant pas du luxe. Aussi termina-t-il :
- Je sais que vous y arriverez, je vous fais confiance : vous êtes une vraie perle d’efficacité.
Le compliment fit mouche, comme il s’y attendait. Madeleine rougit et se détourna très vite pour renseigner une cliente.

Une fois sortis du magasin, Esméralda sortit un paquet de cigarette de la poche de son jean.
- A part draguer cette pauvre Madeleine, tu es venu pour quoi ?
- J’ai besoin de toi, chère Esméralda...c’est pour ce soir et c’est très délicat…
- Je t’écoute, dit-elle en s’allumant une cigarette.
- Reinhardt. Walter Reinhardt, ça te dit quelque chose ?
La jeune femme ouvrit de grands yeux:
- Si tu parles de l’allemand vicelard qui me colle une main aux fesses chaque fois qu’il vient au magasin entre midi et deux, alors oui, je le connais !
Rémy sourit en entendant la réponse de sa vendeuse. Elle tira une bouffée de sa cigarette:
- Il cherche à te rencontrer, tu sais, reprit-elle en recrachant sa fumée. Il te demande presque tous les jours.
- C’est précisément de lui que je te parle; tu vas reprendre du service, ma chère...
- Ne me dis pas que c'est pour lui que je vais devoir voler ? Tu m'avais laissé entendre que ce contrat était pour toi.
- Non, c'est un petit peu plus compliqué que ça...
Esméralda soupira intérieurement: comme tous les voleurs de sa génération qui étaient entrés au sein de la Guilde des Voleurs, Rémy Lebeau était une sorte de mythe, une légende vivante.
Les plus anciens vantaient sa manière d'agir et son habileté qui ne connaissait nul autre pareil. Aussi l'idée que son chef s'abaissât à voler pour le compte de quelqu'un d'autre que lui-même l'avait-elle franchement dégoûté.
Tournant la tête à gauche et à droite, il se pencha vers elle et d’un geste de la tête désigna la Cathédrale :
- C’est un peu spécial, cette fois, lui répondit-il en Anglais; langue qu'Esméralda comprenait parfaitement car en tant que citoyenne d'adoption de la Nouvelle-Orléans, et le Créole mis à part, c’était là sa langue maternelle. C’est pour moi que nous allons voler cette nuit, pas pour un acheteur ni pour un collectionneur. Tu m'as bien compris:c'est pour mon compte personnel.
- Pour toi, le Roi Blanc?
Une lueur dansait dans le regard de la jeune fille. On pouvait y déceler un mélange d’admiration et d’une immense joie en apprenant cette nouvelle. Beaucoup de voleurs auraient vendu leur âme pour assister à ce privilège.
- Oui...Reinhardt a dépouillé un ami très cher d’un objet qu’il avait...pardon: que ses ancêtres ont fait enterrer dans la crypte de la Cathédrale, et je veux récupérer cet objet.
Esméralda, lunettes de soleil sur les yeux et cigarette à la main droite, contemplait la façade de la Cathédrale.
- Je dois donc exécuter un « petit travail » pour toi…
- Tout juste.
- Dans la Cathédrale ?
- Voilà…
Esméralda écrasa sa cigarette et fixa la rosace de la Cathédrale, qui se dessinait sur la façade juste devant eux. C'est alors qu'un éclair traversa son esprit: elle connaissait bien Lebeau: il ne faisait jamais rien pour rien, n'agissait jamais sans but précis.
- Voler un objet dans une église…juste une dernière question : c'est à cause de mon prénom que tu me demandes un truc comme ça ?
Lebeau ne releva pas l’allusion littéraire de la jeune femme.
- Il n’a jamais été question de voler quoi que ce soit dans la cathédrale, il me semble, alors ne t’enflamme pas. Tu vas te contenter de te renseigner sur l’endroit où il réside, pour le moment c’est tout. En clair, tu vas lui faire ton numéro de jeune étudiante en art absolument nympho et assoiffée de beaux mâles dans son genre. Je t'ai choisie parce que tu as le don unique de dissimuler ton aura immortelle et qu'ainsi tu empêches les autres de te "détecter". C'est pour ça qu'il ne t'a jamais remarquée autrement que comme le petit lot que tu es. Cet atout, il faut nous en servir à cent pour cent.
Il consulta le cadran de sa montre :
- Je te laisse deux heures, pas une minute de plus. Il est sans doute déjà trop tard s'il est déjà entré en possession de ce que je cherche. Auquel cas ce sera chez lui que nous devrons le récupérer.
Esméralda but une gorgée de son Capuccino avant de se tourner vers Lebeau :
- "Nous"?
Lebeau hocha la tête.
- Ca veut dire que je vais enfin travailler avec toi ?
Rémy s'en voulu d'avoir fait croire à la jeune femme qu'il serait de la partie. Il lui demanda de répéter l'ordre qu'il venait de lui confier, ce qu'elle fit sans rien oublier.
- Compte sur moi. Je t’appellerai dès que j’aurai terminé…Rémy ?
- Oui ?
- Tu n'as pas répondu à ma question.
- L'épée de mon meilleur ami a été volée, et je ne connaîtrai le repos que lorsque nous l'aurons récupérée.
- Je vois...
Il ne répondrait pas à sa question. Ca aussi, elle l'avait deviné.
- Deux heures, pas plus.
Esméralda comprit que cela signifiait la fin de leur entretien.
Lebeau la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle ait disparue dans l’immense édifice de grès rose. Il avait l'étrange impression de l'envoyer au casse-pipe; si bien qu'il fit quelques pas en sa direction pour tenter de la rattraper avant qu'il ne soit trop tard. Mais il se ressaisit: Esméralda avait un don qui la rendait unique et redoutable.
Ce don suffirait à la protéger de Reinhardt. Il en était convaincu.
Puis il s’engagea dans la rue Mercière en direction du parking où se trouvait sa voiture.
Lorsqu’il s’installa au volant, il alluma un cigare et en tira une longue bouffée.
- Maintenant, occupons-nous de Rodrigues. Mais auparavant j’ai encore un dernier détail à régler...
Il démarra et sortit du parking en direction des quais.


Le centre commercial des Halles fourmillait en ces derniers jours de soldes. Partout les vitrines indiquaient les ultimes déstockages avant les nouvelles collections. On se pressait par dizaine dans certaines boutiques et les allées étaient noires de monde.
Marchant au milieu de la foule, Lebeau s’arrêta devant la vitrine en chantier d’une agence de la caisse d’épargne. De grandes planches de contreplaqué avaient été disposées de façon à cacher le chantier aux badauds. Lebeau sortit de la poche de son trench coat une petite capsule qu’il jeta au sol. En se brisant, l’ampoule de verre se mit à dégager une fumée semblable à de la poussière de plâtre qui s’éleva vers le plafond. A peine eut-il créé son brouillard artificiel qu’il s’approcha d’un panneau de contreplaqué. D’un violent coup d’épaule, il parvint à le désolidariser des autres. Il le déplaça légèrement et se fraya un passage à l’intérieur du chantier…
Il essuya ses vêtements et chercha un endroit pour s’asseoir. Après un rapide coup d’œil, il repéra l’endroit souhaité.
- Il ne reste plus qu’à attendre…

Assis derrière sa console de contrôle, l’opérateur vidéo en charge de la surveillance du rez de chaussée remarqua l’agitation anormale autour du chantier de la caisse d’épargne. Une caméra lui renvoyait l’image de gens commençant à déserter une zone d’où se dégageait une fumée anormale. Un changement de caméra lui offrit une vue plus nette sur les vitrines.
C’est alors qu’il remarqua la brèche donnant sur l’intérieur.
Il saisit le combiné téléphonique sur sa droite et composa nerveusement un numéro interne. Après trois sonneries, il reconnut la voix de son directeur :
- Monsieur, je crois que vous devriez venir voir ; il semblerait que nous ayons un code 25…
Quelques instants plus tard, un homme vêtu d’un costume sombre entra dans la régie vidéo.
- J’écoute ?
- J’ai remonté les images des caméras 37 et 38. Je vous envoie les images sur le moniteur central.
S’approchant de la console, le directeur de la sécurité se pencha sur l’écran et observa les images.
Ce qu’il vit lui provoqua un frisson qu’il réprima aussitôt.
- Il s’agirait d’un homme seul. Brun, manteau sombre, jean et chaussures marron, lui indiqua l’opérateur.
- J’ai des yeux, merci ; lui répliqua froidement son directeur. Il n’est pas sorti ?
- N…non, monsieur.
Le directeur se redressa et se frotta le menton, comme si il cherchait la solution à cet épineux problème. L’opérateur, soucieux d’effacer au plus vite l’impression négative qu’il venait de laisser, saisit un dossier rouge au milieu d’une étagère de classeurs :
- Je lance la procédure d’urgence…
- Vous ne lancez rien du tout et vous la fermez ! S’emporta le directeur en faisant demi-tour. Que trois agents se tiennent en faction devant la vitrine et en surveillent l’accès. Aucune intervention sans mon ordre. Je vais voir sur place de quoi il s’agit. Par mesure de sécurité je passerai par un accès extérieur.
- Bien, monsieur.
Le directeur de la sécurité referma la porte de la régie vidéo tandis que l’opérateur contactait déjà les agents par radio. Il sortit un paquet de Marlboro de la poche intérieure de son veston et l’alluma à l’aide d’un Zippo de collection. Après une bouffée, il ne pu réprimer un rictus de dégoût :
- Nom de nom...tu es revenu, salopard !



Autre lieu, autre époque...
Il pleuvait ce jour-là sur la ville du Havre ; un de ces crachins d’automne comme il en tombait souvent sur cette ville et dans la baie de Seine. Les flaques boueuses jonchant le pavé explosaient sous les sabots et les roues du fiacre qui conduisait un voyageur au port. Le bateau pour le nouveau continent partait dans quelques minutes, et le passager hurlait au cocher de fouetter jusqu'au sang s'il le fallait.
- Dépêche-toi ! Si je manque ce bateau tu en répondras de ta vie !
Rendu nerveux à la fois par le temps et par son passager, le cocher hurlait après ses chevaux au rythme des claquements du fouet. Bientôt le port fut en vue, et l’attelage redoubla d’effort jusqu’au quai où un bateau embarquai marchandises et passagers.
L’homme descendit du fiacre et lança au cocher une pleine bourse d’or :
- chose promise, chose due. Merci de tes efforts, l’ami…
Il caressa d’une main distraite le flanc fumant du cheval qui soufflait de la buée par ses naseaux dilatés ; puis son regard se tourna vers le bateau. Un soupir de soulagement sortit de sa poitrine : il était arrivé à temps.
Rapidement, il se dirigea vers la passerelle en prenant garde de ne pas glisser sur le pavé mouillé.
La sirène retentit dans la brume, et l’homme hâta le pas.
- Plus que ce quai à traverser et j’y suis…
Soudain il entendit du bruit derrière lui, un bruit de cavalcade, et des cris. Les gens s’écartèrent afin de ne pas se faire piétiner par les six chevaux qui venaient de surgir sur le quai. Les cavaliers se dispersèrent afin d’encercler l’homme du fiacre qui s’arrêta sans lever les yeux.
Il n’avait nul besoin de lever la tête, il savait très bien qu’un cavalier lui barrait l’accès à la passerelle. Pire encore : il connaissait ce cavalier sans même avoir vu son visage.
- Rémy Lebeau !
La voix de stentor raisonnait sur les quais qui se vidaient rapidement ; personne ne souhaitant être témoin de ce qui se passerait probablement.
- Trop tard pour éviter la rencontre ? Maugréa Lebeau en serrant le poing.
Lentement il leva les yeux sur le colonel de la garde impériale qui se tenait devant lui sur un magnifique cheval blanc. Le colonel descendit de sa monture, et une main sur son sabre, fit quelques pas en direction de Lebeau.
Ce dernier le salua par son nom :
- Cornélius…
Impressionné par la carrure du colonel, Lebeau fit instinctivement un pas en arrière, prêt à prendre la fuite. Pourtant, malgré la détermination qui semblait animer le colonel, il ne le sentait pas animé de mauvaises intentions à son égard.
- Ainsi tu comptais t’embarquer pour le nouveau monde ?
- Je rentre chez moi; je n'ai plus rien à faire ici. Ma mission est terminée.
- Ta mission...
Ce terme fit sourire le colonel.
- ...parlons-en de ta mission. Depuis ton arrivée à la cour tu t’es efforcé de t’attirer les bonnes grâces de l’Empereur. Mais tes conseils comme tes initiatives ont provoqué le chaos et le désordre. Aujourd’hui l’Empereur est condamné à l’exil…par ta faute ! Tu as ruiné sa famille et trahi la confiance qu'il avait placée en toi. Sans parler de ta conduite envers Joséphine…
La main qui tenait l’épée se crispa un peu plus. Lebeau ne pouvait détacher son regard de celui du colonel. Il ne parvenait à y lire ni haine, ni désir de vengeance. Simple : ses yeux n’exprimaient pas la colère de ses paroles…
- Alors pourquoi ne pas l'avoir mis en garde, Cornélius? Si cet homme était réellement ton ami, pourquoi avoir laissé faire ? Tu es tout aussi responsable que moi, malgré tes beaux discours !
- Parce que tel devait être son destin, et que je n’ai pas le droit de m’en mêler. Je dois mener un autre combat que celui pour rétablir son honneur ; un combat qui n’est pas le sien, ni le tiens. Un combat qui te dépasse et au sujet duquel les hommes ne doivent rien savoir. Tout ce que je peux te dire, c'est que je serai peut-être encore de ce monde alors que toi tu seras devenu poussière depuis des siècles.
Lebeau dévisagea le colonel, cette fois avec curiosité : qu’avait-il cherché à lui dire ?
- Cornélius, je…
- Va-t-en ! Rentre chez toi, Lebeau. Et que jamais je n'ai à te revoir. Ce combat n'est pas le tiens, rappelle-t'en. Tu m'as fait perdre un ami, mais après tout cela était inévitable…au mieux m’auras-tu fait gagner quelques précieuses années…
Sur ces mots, il lâcha son épée et reprit les rênes de son cheval.
- Souviens-toi de mes paroles, Lebeau : la prochaine fois que je te croiserai, je te tuerai. Adieu !
Lebeau regarda abasourdi le colonel lancer sa monture sur le pavé, suivi par les cinq grognards qui disparurent dans le brouillard.
Du bateau la voix d’un homme d’équipage annonça le départ.
Prenant son sac, Lebeau courut sur la passerelle et monta à bord…

Le directeur de la sécurité écrasa son mégot sous le talon de sa chaussure, et poussa la porte qui séparait le couloir de service du local réserve de l’agence bancaire.
Après avoir quitté la régie vidéo, il ne s’était pas immédiatement rendu ici ; il avait fait un crochet par le parking du personnel afin de récupérer un objet dans le coffre de sa Mercedes. Puis il avait emprunté les couloirs de service, là où aucune caméra ne le surveillerait, et surtout où personne ne remarquerait l’étrange objet qu’il dissimulait dans son dos.
Arrivé devant la porte du sas de l’agence, il se concentra quelques instants afin que Lebeau ne puisse pas être en mesure de ressentir l’Accélération, ce phénomène unique qui indique à chaque Immortel la présence d’un de ses semblables près de lui.
Puis il entra.

Lebeau sursauta en ressentant les effets de l’Accélération. Il se redressa et chercha la présence autour de lui. Il tomba en arrêt devant la porte vitrée du fond de l’agence d’où venait de surgir le directeur de la sécurité.
- Rémy Lebeau…de retour après toutes ces années…
Lebeau distingua de la haine dans la voix du directeur. Il aperçut également l’épée qu’il tenait à son côté.
- Cornélius.
- après tout ce que tu as fait tu oses revenir ici…tu ne manques vraiment pas de toupet, espèce de traître ! Donne-moi une seule raison pour que je ne prenne pas ta tête ici et maintenant…
- Cuchùlainn.
Cornélius leva les sourcils, dubitatif. Il connaissait bien Lebeau, sa ruse et sa manière unique de se défiler devant les difficultés. Il s’était attendu à toutes les réponses de sa part, mais pas à celle-ci, il devait bien l’avouer.
Lebeau, conscient de l’effet de surprise provoqué par sa réponse, s’engouffra dans la brèche :
- Je vais te la faire courte : Cuchùlainn a de gros problèmes…
Il présenta ses deux mains à Cornélius et fit quelques pas dans sa direction :
- Si tu veux bien m’écouter, tu verras que j’ai vraiment besoin de ton aide…
Cornélius demeura quelques instants impassible ; puis il indiqua deux fauteuils à Lebeau dans un bureau à l’écart du chantier…
Lebeau exposa la situation assez rapidement à Cornélius qui écoutait tout en fumant une cigarette. Quand le chef de la Guilde des voleurs eut terminé son exposé, il cracha un glaviot sur le sol avant de répondre dans une moue significative de son état d'esprit.
- Alors tu penses que Reinhardt a déjà l’épée ?
- Exactement. Et je compte bien mettre la main dessus. C'est là que tu interviens, car les filles et lui sont seuls et sans aucune protection, là-haut.
- C'est un sol sacré, non ? Demanda Cornélius, assez surpris du rôle qu'on lui invitait à jouer dans cette affaire. Tu sais pourtant que personne ne violera jamais cette règle : c’est la Tradition.
- J’ai des doutes quant à son désir de la jouer dans les règles.
Soudain Cornélius fronça les sourcils :
- Attend un peu : tu as dit « les filles »…
- Esméralda est hors du coup. Tu as ma parole.
- Je n’ai aucune confiance en ta parole, voleur.
Lebeau soutint le regard de Cornélius :
- Alors ? Tu m’aides ou pas ?


La BMW noire se rangea devant le parking de l'hôtel, et les deux hommes en sortirent. Lebeau ouvrit le coffre et Cornélius en sortit une magnifique bâtarde à deux mains qui pesait près de six kilos. Il la dissimula sous son manteau et le referma.
Cornélius attrapa Lebeau par l’épaule :
- Que les choses soient bien claires : je t’aide par que Cuchùlainn est dans la merde. En aucun cas je ne fais ça pour toi !
- Tant que tu le fais, moi ça m’est égal…
Puis, sans un mot, ils se dirigèrent vers le hall du Hilton.

Entendant le mécanisme du tambour automatique se mettre en marche, le réceptionniste du Hilton leva négligemment les yeux vers le hall d’entrée. C’est alors qu’il reconnut l’homme qui, quelques jours plus tôt était venu importuner ce client portugais. Ne parvenant pas à détacher son regard des deux hommes qui entraient à l’instant dans le hall, il chercha à tâtons le combiné téléphonique et décrocha.
- Je crois que vous devriez venir dans le hall, monsieur…
Son collègue, qui était occupé à enregistrer une réservation, remarqua lui aussi les deux hommes. Plus prompt, il appuya sur un bouton sous le desk de la réception, alertant le service de sécurité.
Quelques secondes plus tard, le maître d’hôtel arriva d’un salon privé, escorté par trois hommes en costume gris. L’un d’eux se posta devant les ascenseurs, les deux autres vinrent se positionner au niveau du desk. Le maître d’hôtel vint à la rencontre de Lebeau et de Cornélius d’un pas rapide et déterminé.
- Messieurs, je vous demande de quitter notre établissement sans quoi je me verrai obligé de vous y contraindre par la force. Vous n’avez visiblement rien à faire ici.
Il venait de prononcer ces mots d’une traite sans même prendre le temps de respirer.
Cornélius regarda à gauche puis à droite ; deux salons fumoirs étaient occupés par des clients lisant leurs journaux ou devisant devant des apéritifs. De l’autre côté, les ascenseurs.
Cornélius fit mine de se diriger vers les salons et aussitôt il fut interpellé par le maître d’hôtel :
- Eh ! je vous préviens que j’appelle les flics si vous ne foutez pas le camp tout de suite !
Mais le géant blond lui tourna le dos tout en se dirigeant vers le premier des deux salons :
- C’est pas toi qu’on vient voir.
Il arriva ainsi devant le salon fumoir et se positionna devant la porte, comme pour en barrer l’accès et empêcher les clients d’en sortir ; laissant de même coup Lebeau aux prises avec le gérant furieux. Ce dernier d’un geste, ordonna à l’un des deux agents de sécurité de s’occuper de Cornélius.
Mais alors qu’il arriva à sa hauteur, il s’apprêta à le sermonner lorsqu’un magistral coup de tête le sonna pour le compte. Il s’affaissa lentement, tentant de se raccrocher à un yucca qui bordait l’entrée du salon. Soudain son arcade sourcilière explosa, libérant un jet de sang qui éclaboussa les feuilles de la plante. Finalement il s’effondra sans connaissance au pied du géant qui n’esquissa aucun geste en sa direction.
Des clients alertés par le bruit se levèrent ; certains se dirigèrent même vers l’entrée du fumoir, toutes les conversations s’étant interrompues en même temps. Mais Cornélius jeta un regard par-dessus son épaule et tout le monde regagna sa place sans broncher.
Sur ce, Cornélius se tourna à nouveau vers Lebeau et le gérant.
Le maître d’hôtel transpirait à grosses gouttes et son visage était aussi blanc qu’un linge. Face à lui, Lebeau gardait son calme, serrant dans sa main droite les lanières de son sac.
Il se pencha vers le gérant et lui murmura d’une voix posée :
- A présent que nous voilà informés l’un et l’autre, puis-je ?
Et sans attendre de réponse, il laissa le gérant sur place et se dirigea vers les ascenseurs.
Là il fut barré par l’agent de sécurité posté à ce niveau. L’homme mesurait bien une tête et demi de plus que lui, et devait avoisiner le quintal.
Alors que Lebeau s’apprêtait à appeler l’ascenseur, l’agent lui prit le bras et le repoussa :
- Monsieur, je vous prie de sortir d’ici, où je serai obligé d’appeler la police.
Le cajun dévisagea l’agent de sécurité de pied en cap en souriant :
- Chouette costume, grand...
l’agent de l’hôtel sourit à son tour:
- Il te botte, hein ?
Et il finit sa phrase en envoyant un direct du gauche dans l’estomac de Rémy qui se plia en deux, le souffle coupé. Il tomba à genoux sur le tapis devant l’ascenseur au moment où la porte de l’un d’eux s’ouvrit sur un couple en tenue de soirée.
Le maître d’hôtel qui avait assisté à la scène se rua sur le couple, les conduisant un peu à l’écart :
- Monsieur Wyllard, madame la Comtesse ; je suis sincèrement désolé que vous ayez assisté à ce triste spectacle. Voyez-vous, Victor était justement en train de signifier à ce voyou qu’il n’avait nulle raison de demeurer ici…
Tout en se confondant en excuses, il les conduisit à la réception où il envoya le voiturier checher leur berline.
Le cajun se releva péniblement, en grimaçant:
- C’est Victor, ton petit nom ? C’est original, pour un nettoyeur...
Victor le prit par le col et lui murmura à l’oreille:
- Content que ça te plaise, connard. Maintenant toi et ton pote vous allez foutre le camp d’ici ou les flics n’auront plus besoin que d’une pelle et d’une balayette pour te ramasser. Pigé?
Lebeau, qui ne touchait plus le sol que par la pointe des pieds, opina du chef.
- Je crois que c’est clair. Peux-tu...
Victor lâcha le cajun qui remit de l’ordre dans ses vêtements. C'est alors que Victor sentit un doigt lui tapoter l'épaule. Il se retourna et vit Cornélius lui sourire avant de lui envoyer son pied dans le bas-ventre.
Celui-ci étouffa un juron avant de se recroqueviller sur lui-même, en proie à une douleur aiguë qui lui vrillait le ventre.
Lebeau le redressa en le plaquant contre la paroi de l’ascenseur et Cornélius lui prit le bras.
- T’as de la chance qu’elles ne soient pas coquées. Allez, debout, gros tas ! Tu dois avoir mal, hein, Vic? Lui demanda le géant qui visiblement prenait plaisir à mater celui qui se prenait pour le caïd de l'ascenseur.
L’agent de sécurité le regarda en pleurant de douleur:
- Espèce de...
- Chut! Le coupa Lebeau; tu vas encore dire un truc qui va pas plaire à mon ami et que tu regretteras par après! Dis moi, tu es marié, Vic ? Tu voudras peut-être des gosses, plus tard...alors tu vas monter avec moi dans l’ascenseur sans broncher et tout va bien se passer...
Puis il lança au gérant resté en retrait, complètement prostré après la défaite inattendue de son agent de sécurité:
- Victor nous accompagne pour la sécurité de votre hôtel...merci de votre coopération…
Il n’eut pas le temps d’entendre les jérémiades du gérant; la porte de l’ascenseur se referma sur eux et sur Cornélius.
- Je suis pas ton ami, Lebeau.
- Excuse-moi ?
- Tout à l’heure t’as dis à ce type que ce qu’il dirait plairait pas à ton ami. Je suis pas ton ami.
- Tu l’as été autrefois…
- Sûrement pas !
Bon, si ça ne te dérange pas on en rediscutera plus tard, ok ?
Lebeau appuya sur le bouton du cinquième étage et se tourna vers Victor. Sortant son épée de son sac, il la débarrassa de sa housse de protection et pointa sa lame sur la gorge de Victor:
- T’en a déjà vu une comme ça, dis?
Victor fit signe que oui en oscillant légèrement la tête. La terreur se lisait dans son regard.
- Calme-toi un peu, veux-tu ? Le sermonna Lebeau d’un ton agacé. On va pas te faire la peau alors arrête de trembler comme ça ; j’ai l’impression que tu vas faire redescendre l’ascenseur !
Aucun son ne parvint à sortir de la gorge de l’agent tétanisé. Lebeau répéta sa question et à nouveau Victor fit oui de la tête.
- Où ça?
Victor fit un énorme effort pour parvenir à articuler ses mots :
- Dans...dans la chambre du portugais. Il a demandé à ce qu’on assure sa sécurité toute particulière. Il paye bien...il veut voir personne...
Cornélius observa les numéros des étages clignoter puis s'éteindre au fur et à mesure du passage de l'ascenseur:
- Tu avais raison, j’en reviens pas : ce crétin de Rodrigues est encore ici...
Il se pencha vers Victor qui craignit un nouveau coup de pied menaçant sa virilité:
- Tu as dis qu’il ne voulait voir personne ?
Victor fit oui de la tête.
- Personne, sauf…
- Sauf un allemand, je me trompe ? Termina Lebeau.
- C’est ça, fit Victor en tremblant. Sauf un allemand… dites, ça vous dérangerait de plus pointer cette épée sur ma gorge ? Quand l’ascenseur va s’arrêter, ça va…
Trop tard ! Une petite secousse agita la cabine, ce qui eut pour effet de creuser une légère entaille dans la gorge de l'agent qui poussa un gémissement:
- Putain de merde…
- Est-ce qu’il est venu récemment, cet allemand? Demanda Cornélius en baissant la lame de Lebeau d’un revers de la manche tout en lui adressant un regard de reproche que le cajun choisit d’ignorer.
- Hier soir...il est venu vers minuit et demi.
Rémy se pencha vers Victor, lui posant cette fois le tranchant de sa lame contre la gorge:
- Et est-ce qu’il avait un gros paquet avec lui, un paquet aussi long que ça?
Il désigna du regard la lame qu’il avait en travers de la gorge:
- Il avait un paquet, oui...pitié, l’ascenseur est brutal en s’arrêtant !!
Lebeau sourit et retira sa lame au moment où l’ascenseur stoppa au quinzième étage. La porte s’ouvrit, et il se tourna vers l’agent de sécurité:
- Je te remercie pour tous ces renseignements, mon cher Victor...à présent, je vais te laisser en compagnie de Cornélius qui va t'apprendre deux ou trois trucs sur ton job.
Il sortit de l'ascenseur au moment où Cornélius l'assomma d'un poing ferme et violent.
- Première leçon: comment bien dormir pendant le boulot. Sois attentif, parce que j'ai une sainte horreur de répéter cent fois la même chose...
Et il frappa Victor avec le revers de son épée, l’envoyant dans le fond de la cabine de l’ascenseur, inconscient. Il tira le corps évanoui et le sortit de la cabine.
Puis après l’avoir laissé derrière des plantes dans le couloir, il rejoignit Lebeau qui était arrivé devant la chambre de Rodrigues.

C’est alors qu’ils ressentirent l’Accélération; Rodrigues était bien chez lui.
- Maintenant on a le choix : soit il pense que c’est Reinhardt et on a une petite chance de le serrer, soit…
- Encore un plan foireux, Lebeau ! Tu changeras jamais…je reste ici au cas où il viendrait.
Cornélius s'éloigna dans le couloir et Lebeau considéra la porte de la suite 15B …
D’un coup de pied, le chef de la Guilde des voleurs ouvrit la porte et appela le portugais:
- Sors de là, Rodrigues ! Il est temps qu’on parle, tous les deux !
Le portugais sortit de sa chambre, son épée à la main:
- Lebeau...encore toi ?
- Te plains pas : je t’ai dit qu’à chaque fois que tu ferais un pas de travers je serai là !
- Qu’est-ce que tu me veux encore, cajun?
Lebeau s’avança jusqu’à la table du salon. Un vase était posé sur une table basse en verre. D’un coup d’épée il le renversa sur la moquette où il se brisa.
- Où est-elle, Luis ?
- De qui est-ce que tu parles ?
- Ne joue pas au plus fin avec moi, Luis...où est elle ?
Il avait prononcé ces derniers mots en détachant chaque syllabe.
- Je ne me suis jamais battu dans une chambre d’hôtel, fit Rodrigues en serrant son épée des deux mains...c’est une grande première !
- Content de te faire plaisir…
Lebeau avait à peine terminé sa phrase qu’il se jeta sur la table les deux poings en avant. Glissant sur l’acajou, il vint percuter Rodrigues en pleine poitrine, le propulsant contre la fenêtre. Celle-ci vola en éclats, et les deux hommes se retrouvèrent dans le vide en chute libre en poussant des cris.
Leur chute fut ralentie par une série d’auvents et ils manquèrent de s’écraser dans la cour intérieure de l’hôtel, au milieu des poubelles et des cartons.
De la chambre de Rodrigues, Cornélius avait assisté à la chute vertigineuse des deux hommes,et aussitôt il se mit en route pour les rejoindre.
Le premier des deux à se relever, après quelques minutes de récupération, fut Lebeau. Il se dirigea vers Rodrigues et lui déposa sa lame sur l’épaule gauche. Le portugais, dont la fameuse épaule semblait démise, fit un mouvement du bras pour tout remettre en ordre. Voyant le cajun debout devant lui, il sourit:
- Très bien, Rémy...vas-y; de toute façon,il ne peut en rester qu’un !
Mais Rémy l’attrapa par le col de sa chemise et le fit se relever. La chemise se déchira, mais Luis se retrouva quand même dos au mur:
- Je vais pas te tuer tout de suite, mon gros; ce serait un peu trop facile...d’abord, tu vas répondre à ma question! Où est-elle ?
- C’est Walter...c’est Reinhardt qui l’a gardée ! J’ignore où elle est, il m’a pas dit où il allait la cacher en attendant...
- En attendant quoi ?
- Que Cuchùlainn revienne! Il sait pas où il est en ce moment, alors il va l’attirer dans un piège pour l’obliger à se montrer! Il se servira de l’épée pour le faire sortir de sa retraite...
- C’est toi qui lui a parlé de la Cathédrale, n’est-ce pas?
- Ouais...c’est moi, mais j’aurais pas dû !
- non, t’aurais pas dû !
Lebeau décocha un coup de poing qui explosa la lèvre inférieure de Rodrigues.
- Pourquoi, Luis ? Vous étiez amis, Cuchùlainn et toi ! Pourquoi avoir décidé d’aider Reinhardt ?
Luis détourna la tête:
- Parce qu’il avait tué sa femme !
Lebeau ouvrit de grands yeux :
- Ca il ne te l’avait jamais dit, pas vrai ? Ricana le portugais en se relevant. Eh ouais, ton ami est un assassin ! On a pas le droit d’interférer dans la vie des mortels, on a assez avec notre combat sans encore s’encombrer de celui des autres…et Charlotte est morte de sa main !
- Parce qu’elle l’avait volé ! Tu ne sais pas ce qu’elle lui a fait endurer par le passé, moi si ! Je connais toute l’histoire.
Rodrigues fixa Rémy en souriant:
- Voler ? Dans ta bouche, je n’aurais jamais cru que ce mot puisse avoir un jour une telle connotation de dégoût ! N’es-tu pas voleur toi-même ?
- Il y a voler et voler, Luis...elle, c’est sa vie qu’elle a brisée en faisant ça.
- Et Reinhardt ! C’est aussi sa vie qu’il a brisée en la tuant ! Une vie pour une vie,c’est la loi !
- C’est TA loi, rétorqua Lebeau en colère. Aucune de nos règles ne nous impose la loi du Talion.
Il se retourna et se dirigea vers la sortie de la cour; Rodrigues l’interpella:
- Où comptes-tu aller comme ça ? Tu ne t’imagines quand même pas que nous allons en rester là, j’espère ?!
- Tu ne vaux pas la peine que je m’occupe de toi. Tu as été lâche dans ta façon d’agir…
- C’est toi qui oses me dire ça ? Hurla Rodrigues hors de lui. Tourne-toi, Lebeau, et affronte ta mort !
Lebeau s’arrêta.
Un duel.
Il savait pourtant que les choses finiraient de la sorte; c’était inévitables... mais il ne l’avait pas imaginé ainsi.
- Soit, dit-il en se retournant face à Rodrigues, l’épée à la main.
Le Portugais sourit; un mince filet de bave s’écoula de ses lèvres:
- J’attendais ce moment depuis que nous nous sommes retrouvé l’autre soir ! Je vais te tuer, et ton Quickening sera mien!
- Ne sois pas si sûr de toi, Luis...
Les deux hommes se défièrent du regard, avant que Luis n’engageât le combat.
Son premier coup faillit désarçonner Lebeau, qui ne s’attendait pas à une telle violence. Il para habilement l’attaque et le duel commença. Les lames firent un bruit strident en se cognant, et de minuscules étincelles jaillirent des contacts entre les deux épées.
L’espace de combat était étroit, et Lebeau obligea Rodrigues à le suivre au-delà de la petite cour, jusque dans le parc de l’hôtel.
Par chance, celui-ci était désert. Mais le bruit de l’affrontement fit accourir le gérant et les quelques pensionnaires occupant le fumoir; des cris se firent entendre,et le gérant bloqua l’issue menant au parc. Cornélius, qui venait d'arriver, écarta le petit homme et sortit dans le parc. Voyant Lebeau aux prises avec le Portugais, il décida de ne pas intervenir, restant témoin de l'affrontement; et quand le gérant fit mine de vouloir entrer dans le parc, son regard le dissuada de poursuivre son entreprise.
- Que personne ne s’en mêle…normalement ça ne devrait pas durer.
Lebeau, que les cris avaient perturbé, donna l'opportunité à Rodrigues de faire jouer la corde sensible:
- Tu les entends, fit il? Ils sont tous venus assister à ta défaite !
Ayant dit ces mots, il frappa d’estoc et déchira une manche du pull de Lebeau. Il lui ouvrit l’épaule gauche. Le cajun sourit:
- Joli coup, Luis Miguel Rodrigues...mais je suis toujours en vie...et droitier !
Il se rua à l’assaut de son adversaire. Mais dans sa tête tout se bousculait: tout ces témoins le gênaient, car quelle que soit l’issue du combat, le vainqueur se verrait obligé de fournir des explications sur ce qui allait se produire. Rien que l’obtention du Quickening du vaincu provoquerait déjà une panique certaine...
Il faillit perdre l’équilibre sur un assaut de Luis, perdu qu’il était dans le flot de ses pensées. Il se ressaisit et le combat se poursuivit.
De toute évidence, Luis s’était beaucoup entraîné:il ne donnait aucun signe de fatigue ou d’insuffisance physique, et Lebeau remercia le ciel d’avoir passé une semaine à s’entraîner sur le parcours de santé du Mont Sainte-Odile.
Sans ça, il aurait déjà perdu le combat...Luis était un adversaire d’une autre trempe que Peter Mitchell, et le cajun commençait à s’en apercevoir.
Mais après quelques échanges violents, les deux combattants éprouvèrent le besoin de souffler un peu. Sur la défensive, Rodrigues ricana:
- Tu te défends bien, cajun, mais tu ne fais que retarder l’inéluctable!
- Ah, tu crois ça ?
Mais au moment où il s’apprêtait à reprendre le combat, une voix se fit entendre:
- Police! Lâchez vos armes et levez les mains au-dessus de la tête !
Lebeau se retourna: Le lieutenant Samuel Goldberg les tenait en joue à l’aide de son Magnum 44. Cornélius se retourna et porta la main à l'épée qu'il tenait dans son dos.
- Laissez-les se battre, demanda-t-il en tendant le bras gauche main ouverte en direction du policier. Vous ne pouvez pas intervenir dans cette affaire. Tout ça dépassera votre entendement ! Je vous en prie, écoutez-moi...
Le silence s’abattit sur la cour. Même le temps semblait s’être arrêté. Les pensionnaires de l’hôtel, massés contre leurs fenêtres, suivaient le déroulement des événements sans en perdre une miette,comme des charognards attendant l'issue du duel pour savoir lequel serait mangé.
Goldberg avait été appelé par le gérant de l’hôtel sitôt après l’arrivée de Lebeau. Lui ayant parlé des précédentes apparitions de cet homme, dont une fois armé d’une épée, Goldberg avait tenu à s’y rendre en personne, sans consulter personne, trop désireux de tenir enfin du nouveau sur cette histoire de duels à l’épée.
Maintenant il en tenait deux en flagrant délit.
Il répéta sa mise en garde, malgré les supplications de Cornélius.
- Lâchez vos armes, mains au-dessus de la tête et à plat ventre au sol !
Lebeau lui cria:
- Restez en-dehors de ça, Goldberg pour l’amour du ciel!
Cornélius lui posa la main sur le bras tenant l'arme à feu. Son regard qui ne trahissait ni crainte ni nervosité traversa celui du policier:
- Ecoutez-le et restez en-dehors de cette histoire.
Mais Goldberg ne voulut rien entendre:
- Pour la dernière fois, jetez vos armes !
Il dévisagea le plus jeune des deux, et eut la surprise de reconnaître le divisionnaire de la D.S.T qui avait fait libérer Frédéric Maisongrande une semaine plus tôt.
Cette révélation lui fit perdre de son assurance.
- Un geste et le gérant appelle des renforts…dit-il à Cornélius d’un ton qui se voulait rassurant.
- Vous n’en ferez rien, croyez-moi. Maintenant, si vous voulez vraiment savoir pourquoi, attendez et regardez…
Rodrigues se tourna vers Lebeau:
- L’instant de vérité, Lebeau...
- Non, Luis! Attends un peu...
Mais le Portugais se rua sur le cajun en brandissant son épée. A cet instant;Goldberg tira un, puis deux coup de feu en direction de Rodrigues. Les deux balles vinrent se loger en pleine poitrine.
Le lieutenant se dégagea alors de l'emprise de Cornélius et se dirigea aussitôt vers le corps, mais Lebeau lui tendit le bras:
- Non ! N’approchez pas !! Restez à distance de lui !
Cornélius qui avait suivi le lieutenant le retint à nouveau par le bras.
- Ne m'obligez pas à vous faire mal, lieutenant...
Alors Goldberg assista à l’impossible :
Rodrigues se releva, du sang sortit de sa bouche déformée par un rictus de colère.
- Ce bâtard a cherché à me descendre…
Il se remit debout et chercha son équilibre. Lebeau n’eut plus le choix. Il brandit son épée et trancha la tête de son adversaire.
Goldberg ne bougea pas. La tête roula lentement sur le gazon. Rémy regarda le corps s’affaisser lentement, le regard vide:
- Il ne peut en rester qu’un...murmura t-il avant de lâcher son épée et de fermer les yeux.
A ce moment, Cornélius s'éloigna, emmenant avec lui Goldberg qui ne pouvait détacher son regard du spectacle macabre qui s’offrait à lui.
Le géant se dirigea vers le fumoir en hurlant :
- Eloignez-vous des fenêtres ! Dégagez !!!
Le corps du Portugais fut alors entouré de minuscules serpentins bleus qui couraient autour de lui, le soulevant de terre jusqu’à environ cinquante centimètres.
Puis les serpentins filèrent au ras de la pelouse, brisant sur leur passage une statue d’angelot et un bac à fleurs. Lorsqu’ils s’emparèrent du corps de Lebeau, celui-ci se raidit et il poussa un cri. A cet instant toutes les vitres de l’hôtel volèrent en mille morceaux, les ampoules se brisèrent, et un tourbillon se forma autour de lui.
Les clients hurlèrent, et pris de panique, cherchèrent à regagner le hall en se piétinant. Goldberg fut projeté au sol par la violence de la manifestation. Des éclairs tombèrent du ciel et vinrent frapper Lebeau qui continuait de crier, semblant souffrir de l’absorption du Quickening de Rodrigues. Après quelques instants le calme revint. Lebeau s’effondra sur la terrasse, exténué.
Le silence se fit à nouveau.
Le fumoir était à présent désert ; à l’exception de Cornélius et de Goldberg qui n’avait pas perdu une seconde de ce phénomène extraordinaire.
Le lieutenant se releva lentement, fixant Lebeau des yeux.
Alors il vit qu’il pleurait.
Cornélius s'approcha à son tour, rengaina son épée et la replaça sur son dos.
- Vous venez de vivre quelque chose d’unique pour un mortel, lui dit-il sans le regarder. Ce sera très long à vous expliquer. Ce que vous venez de découvrir par la mort de Luis va bouleverser tous vos fondements et votre foi en l'homme…
Goldberg fit quelques pas en titubant, l’air hébété.
- Je vais l’aider…

Le lieutenant aida Lebeau à se relever.
Il avait l’impression bizarre que le jeune homme avait changé mais il ne remarqua rien quant à son aspect extérieur. L’homme qu’il tenait à bout de bras venait d’encaisser plusieurs décharges et éclairs, et il en sortait apparemment indemne…qui était-il, ou qu’était-il ?
Lebeau remercia le policier. Mais Goldberg fut le plus prompt à parler:
- Pouvez-vous m’expliquer ce qui vient de se passer ? J’ai tiré à bout portant deux fois sur ce type, et au lieu de morfler, il se relève comme si c’étaient des balles à blanc…et vous, vous êtes blessé à l’épaule, non ?Laissez-moi regarder cette plaie...
Lebeau protesta faiblement:
- Non, ce n’est pas la peine...
Mais Goldberg avait déjà écarté la manche déchirée pour tenter d’examiner la blessure; il ne trouva aucune cicatrice ni aucune trace de sang. Son regard se tourna alors vers le cajun:
- Co...comment faites-vous ça ? Bégaya-t-il, stupéfait.
- Je vous avais prévenu, lui dit Cornélius en soupirant.
Lebeau lui attrapa le bras et se releva avec l’aide du géant.
- Ecoutez, je vous promets toutes les explications que vous voudrez, mais plus tard ! Je peux déjà vous dire que l’homme qui s’est introduit dans votre commissariat et qui a tenté de tuer Maisongrande, eh bien c’est, où plutôt c’était lui; Luis Miguel Rodrigues. Cherchez pas à l’identifier, vous ne trouverez rien sur lui.
- Quoi ?
- Je vous en prie, insista Lebeau; si vous voulez m’arrêter pour le meurtre de Rodrigues, faites-le, mais pour ça il vous faudra d’abord m’accompagner !
Goldberg considéra une dernière fois le cadavre sans tête; puis il rangea son arme dans son étuis et s’adressa aux deux hommes:
- Toute cette histoire commence à me passionner sérieusement, je vous l’avoue...j’ai l’impression que les explications seront tout aussi étranges que... tout ça. Je vous fais confiance, même si je risque ma peau et ma carrière !
- Vous avez fait le bon choix, lui répondit Cornélius. Une fois que vous saurez, vous vous apercevrez de vous-même que vous ne pouvez rien faire. A présent, partons!
- J’ai déjà entendu ça quelque part, fit Goldberg en souriant.
Et il suivit les deux hommes jusqu’à la sortie de l’hôtel.

- Où va-t-on ? Demanda Goldberg, si je ne suis pas trop indiscret ?
- Voler une épée, répondit Lebeau en grillant un feu rouge.
- Ah...
La BMW s’engagea dans la rue de la Haute-Montée.
- Au fait...je m’appelle Sam...Samuel Goldberg.
- Je sais qui vous êtes, le coupa le cajun en souriant; on s’est déjà rencontré,tous les deux.
Goldberg sourit à son tour :
- Divisionnaire de la D.S.T … vous vous êtes bien foutu de ma gueule, ce jour-là…
Cornélius dévisagea Lebeau un court instant :
- Tu t'es vraiment fait passer pour un...
Il ne put s'empêcher de rire en pensant au comique de situation.
- J’ai travaillé à la DST...maintenant je suis plutôt dans le…commerce. Mais je vous expliquerai en détail une fois que nous aurons récupéré quelqu’un...
La voiture arriva place Gutemberg et s’arrêta devant un magasin de souvenirs. Cornélius lut l’enseigne sans broncher :
- L.BOLLINGER... t’as vraiment peur de rien, toi…pourquoi on s’arrête là ?
- J’ai dit qu’on devait récupérer quelqu’un…
C’est alors que Cornélius reconnut la silhouette d’Esméralda qui sortait de l’arrière-boutique et courait vers la voiture.
Elle marqua un temps d’arrêt en reconnaissant le géant assis à côté de Lebeau :
- Toi…
Le poing de Cornélius s’écrasa sur le nez de Lebeau qui explosa sous l’impact :
- Je t’avais prévenu que tu n’avais pas intérêt à la mêler à tout ça, espèce de menteur !
- Je l’ai mêlée à rien du tout et arrête de t’énerver comme ça ! J’y crois pas, tu m’as pété le nez…
Esméralda lança à Cornélius un regard plein de reproches :
- J’appartiens à la Guilde des Voleurs, que ça te plaise ou non. Alors soit tu fais avec soit tu la boucles !
Et à Lebeau :
- J’ai les informations que tu voulais.
Elle monta à l’arrière de la décapotable et sursauta en constatant qu’il y avait déjà quelqu’un. Lebeau s’essuya une dernière fois le nez et redémarra :
- Esméralda, je te présente Sam ! Sam travaille dans la police…
Esméralda regarda Goldberg avec de grands yeux:
- Ben pour une surprise...
Goldberg lui tendit une main hésitante avant de demander :
- Est-ce que vous aussi, vous…
- Oui, coupa Lebeau.
- NON ! Surenchérit Cornélius en relevant son poing pour un second coup.
La voiture filait à présent vers le quartier de la Petite France par les ruelles étroites du centre-ville…

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