28 décembre 2005

NOEL EN SOLOGNE
ou Comment prendre un pied du tonnerre hors du temps et loin de tout...


Comme tous les ans depuis cinq ans, depuis que je fais parti de la famille de ma bien-aimée, en fait; nous sommes descendu dans le Cher à Argent sur Sauldre, fêter Noël en famille, aux Alexandres; demeure familiale d'un oncle de Caroline.
Outre le fait que papa Noël a encore pourri gâté tout le monde, outre le fait que ce noël fut gastronomiquement un salon de la bonne bouffe et des métiers de bouche, arrêtons-nous un instant sur le cadre idyllique qu'est la Sologne...
La Sologne, c'est une terre de chasseurs, terre de tradition, de fermages et de chasses, d'étangs et d'affûts. Au pied de la grande Sauldre qui serpente non loin de l'étang où tonton élève ses canards, on se ressource, on refait le plein d'oxygène, on renoue avec la terre, on se pose.
Les canards braillent sur l'étang, dans le chenil Tag et Vanille geignent après leur repas, les poules et coqs du Viet Nam s'enfuient derière les box vides... la ferme des Alexandres reste une enclave hors du temps, où même les portables ne passent pas, comme un clin d'oeil au progrès qui n'a rien à faire là-bas, si c'est pour tout pourrir sur son passage...

21 décembre 2005

MA NOUVELLE TETE !

Je suis passé chez le coiffeur ce matin, et j'ai opté pour un changement radical...

voyez plutôt !

MYSTIC JOURNEY voyage au Pays des séries oubliées

Marco Polo

Marco Polo "en l'an de grâce 1271, Niccolo Polo, son frère Matteo et son fils Marco, partirent sur la route des Epices, jusqu'en Mongolie et le royaume du grand Kubilaï KAHN..."
Gamin je ne manquais aucun épisode de ce fantastique feuilleton diffusé sur Antenne 2 dans les années 80. Encore un chef d'oeuvre oublié qui mériterait au moins une parution DVD qui nous redonnerait gout aux épopées sauvages et fantastiques...
L'une des grandes forces de Marco Polo, c'est tou d'abord son scénario. Rien à voir avec Shogun, qui passait dans la même période: Le Million, livre de Polo quiinspire ici le scénario, est une base formidable pour une adaptation fidèle du récit de l'italien.
Ici, pas de chasse au trésor, mais une soif de découvrir un monde nouveau, inconnu. Une naïveté dans la découverte de cette civilisation orientale qui s'ouvre à la chrétienté au travers de l'impératrice, femme du Khan...
Une amitié entre Marco et Shin Kin, fils épileptique du grand Kahn, symbole de faiblesse inacceptable pour celui qui symbolise la forece du rassembleur des tribues mongole...
Si vous trouvez trace de chef d'oeuvre sur un support quelconque, faites-moi signe !
( Il existe un livre -photo du film, que je possède, et dont est tiré la photo ci-jointe...)
PETIT PAUL et le Père Noël

Aujourd'hui, Petit Paul avait rendez-vous avec le Père Noël, qui en aprofité pour le gâter encore un peu plus: un piano éducatif Winnie l'ourson qui a fait sa joie...et celle de ses parents ravis de voir débarquer à la maison un jouet sonore de plus qui vient renforcer la grande parade du matin anti grasse-mat'...
Encore quelques jours et nous partons en Sologne pour un noël en famille, chez Tonton René et Tati Véro, en plein coeur de cette magnifique région si chère à Maurice Genevoix...les Raboliots ne sont pas morts, et goûter à nouveau le spectacle de la sologne en hiver est un des plaisirs de l'année dont je ne me lasse pas!
MES LIVRES DU MOMENT

N'étant pas très inspiré par les sorties du moment, je me replonge avec délectation dans la lecture d'ouvrages plus anciens, mais que je conseille aux amateurs du (des) genre(s)...
Celui-ci, Evangiles Apocryphes,m'accompagne souvent dans mes réflexions sur la foi et les fondements même de la doctrine chrétienne telle qu'on l'enseigne à nos enfants. Mon fils va grandir, et son éveil à la foi ( quel qu'il soit ) sera une tâche ardue. Car on va éviter certains clichés du genre si tu manges pas ta soupe tu iras en enfer...le bon Dieu te punira si tu fais des péchés... déjà intéressons-nous à Jésus en tant que personnage, avant d'en faire une icône que chaque mouvance plus ou moins intégriste brandira telle une bannière de la liberté et du bon droit... Kuchu, mon ami, je te le conseille: intéressant, et amenant à la réflexion suivante : pourquoi l'Eglise a-telle eu si peur de ces textes pour les bannir de sa doctrine ?
Le suivant, d'un tout autre genre, est un de mes livres de base. Le dernier volet de la saga Arthurienne de Jean MARKALE; Dans ce dernier volume, les chants et textes se rapportant à la période de la fin du règne d'Arthur nous plongent dans une Grande Bretagne chrétienne, qui a fait une croix sur son passé romain. La légende prend fin mais en même temps perdure...
Egalement au pied de mon lit, le dernier volume de Maison IKKOKU, connu en France sous le nom de Juliette je t'aime. Manga absolument génial, graphisme simples mais accrocheurs; histoire à l'eau de rose, mais qui rappelle des souvenirs d'enfance...
CORNELIUS à la Tour d'Argent
chapitre III

Cornélius sentit la douce chaleur de l’âtre envahir progressivement la pièce dans laquelle il se trouvait. En fait, il se rendit très vite compte que cette sensation s’appliquait uniquement à son corps qui absorbait petit à petit cette chaleur, comme si ses os s’étaient gonflés avec l’humidité et que tout à coup ils se mettaient à évacuer une vapeur apaisante, comme dans un hammam.
Il devinait que la chair de poule dont il avait été la proie jusqu’ici commençait elle aussi à disparaître et que doucement les forces regagnaient chacun de ses muscles.
Il tenta d’ouvrir les yeux, mais une douleur lui vrilla le côté gauche. En grimaçant, il persista cependant et sa paupière droite cilla.
Un instant aveuglé par la lumière, il laissa son œil s’habituer et entreprit de découvrir la chambre où il se reposait: c’était une vaste pièce rectangulaire, décorée dans un style Vénitien du début de la Renaissance Italienne. Le lit où il se trouvait allongé était flanqué de quatre colonnes torsadées et ornées de dorures, et chacun des baldaquins était recouvert d’une frise montante, comme sur la célèbre colonne de Trajan, à Rome. Mais les représentations n’évoquaient ni guerre ni bataille comme sur le célèbre monument; il s’agissait de petites scènes de la vie quotidienne des nobles Vénitiens du seizième siècle.
Cornélius détourna son regard de la colonne pour examiner son couchage: ses propres draps, non plus ceux de la colonne étaient en soie finement brodée que recouvrait une immense peau dont la tannerie laissait facilement deviner sa valeur.
La cheminée où crépitait le feu, une flambée de bois de chêne, était en grès, comme la plupart des chapiteaux qui ornaient les frontons des colonnes de pierre à moitié encastrées dans les murs de la pièce. Le plafond était assez bas, ce qui donnait à la chambre un aspect feutré et intime. Sur un fauteuil aussi richement paré que l’ensemble du mobilier, son hôte y avait déposé un peignoir, ainsi que ses vêtements.
A première vue ils avaient été lavés et repassés. Cela ressemblait assez au style de celui qui à son avis l’hébergeait.
Cornélius se redressa sur son séant et s’étira pour sortir de sa torpeur. Il jeta un coup d’oeil sur son bras et constata sans aucun étonnement excessif qu’il ne restait aucune trace de sa blessure. Pas même une cicatrice.
Il laissa glisser ses deux mains vers son abdomen. Le contact d’un pansement le renseigna sur l’étendue de sa blessure. Il osa appuyer sur la plaie, et constata qu’elle le faisait encore légèrement souffrir. Mais l’essentiel était refermé à présent, et Cornélius savait que ce n’était plus qu’une question d’heure avant sa guérison complète.
Mais son œil gauche refusait toujours de s’ouvrir…
Il se passa la main sur le visage, et ses doigts épousèrent la forme d’une balafre qui lui descendait jusque sur la pommette.
Il comprit alors que son œil était perdu.
En se remémorant les circonstances de sa disparition, un bref frisson le parcouru des épaules aux orteils.
Il se demanda alors depuis combien de temps il se trouvait dans cette pièce, et surtout dans quelle demeure pouvait se trouver cette pièce. Malgré une vague idée de l’identité de son sauveur, ses souvenirs demeuraient encore dans le flou.
Cependant, il discernait le visage de son vieil ami Cuchùlainn ainsi qu’une voiture... Il avait eu un accident en cherchant à joindre l’antiquaire, et il en déduisit que suite à cette rencontre il devait en ce moment se trouver sous son toit.
Il était donc parvenu à atteindre son but, pas de la façon qu’il avait imaginée, certes, mais le résultait était le même, finalement !
Cette idée le réconforta, et l’envie de prolonger cet instant de repos lui traversa l’esprit. Mais il décida néanmoins de se lever et de partir à la rencontre de son ami pour le saluer et le remercier.
Car maintenant il en était persuadé, c’est bien lui qui l’hébergeait en ce moment.
Il sauta donc hors du lit et entreprit de s’habiller avant de quitter la chambre…

Les deux épées s’entrechoquèrent violemment.
Bien en appui sur sa jambe en retrait, la jeune femme protégée par une épaulette de cuir, para successivement trois assauts hauts suivis d’un enchaînement jambe-buste-jambe avant de passer à son tour à l’offensive. Le boken fermement maintenu dans sa main droite, elle entama une série de coups portés de face, que son adversaire para ou esquiva selon la violence ou la précision des attaques. Lui portait en guise de protection un bustier de cuir et un brassard marqué d’une croix rouge. Visiblement c’était cette croix que la jeune femme cherchait à atteindre. Aussi prenait-il garde de ne pas trop l’exposer à son regard, évitant soigneusement de lui présenter son épaule, toujours susceptible de se faire toucher. Mais pour le moment il dominait légèrement leur engagement.
Un ultime assaut de la part de la jeune femme et ce fut à son tour de monter au créneau.
Au moment où il arma son bras pour porter sa série d’enchaînement, son adversaire leva le bras et lui demanda de freiner son assaut:
- Attend …
Un sourire de triomphe apparut sur le visage du jeune homme:
- Quoi? Tu abandonnes déjà ?
La jeune femme fit semblant d’ignorer la remarque désagréable de son partenaire et d’un signe de tête, désigna la porte de la petite salle d’arme dans laquelle ils s’entraînaient:
- Cornélius est réveillé.
Il baissa son boken et tourna la tête en direction de la porte en chêne. Il se concentra et sentit à son tour la présence du visiteur.
- Tu as raison…C'est étrange, je ne l'avais pas senti tout de suite.
- C'est normal, lui répondit-elle en se débarrassant de sa protection. Tu es plus puissant que moi, et je suis plus sensible au danger. De plus, je suis habituée à me méfier de tout et de tout le monde. De plus, maintenant que je ne suis plus protégée par le sortilège d’ Avalon…
- Je préfère le terme: plus réceptive. Le danger est le même pour tous. Pour toi comme pour moi…

Derrière la porte, dans le couloir éclairé par des boudoirs au bout desquels les ampoules aux verres torsadés avaient remplacé les bougies, Cornélius sentit lui aussi la présence des deux personnes dans la salle d'arme. Il s'avança jusqu'à la porte et en saisit l'anneau qu'il fit pivoter d'un quart de tour vers la gauche. Lentement, il poussa la porte et glissa un regard dans l'entrebâillement.
Brusquement la porte s'ouvrit, ce qui provoqua chez lui un sursaut.
La porte s’effaça sur une jeune femme aux cheveux bruns bouclés et aux yeux bleus qui lui souriait :
- Bienvenue, Cornélius !
Remis de sa surprise, Cornélius rendit son sourire à la jeune femme vers qui il s'avança:
- Contente de te revoir.
- Moi aussi je suis heureux de te savoir en vie, lança l'homme en étreignant le nouveau venu. Tu nous as manqué, mon ami !
- Cuchùlainn...
Il étreignit à son tour son ami antiquaire.
Ils ne s’étaient pas vus depuis un an, et la joie qu’ils éprouvaient à se retrouver ainsi était plus forte que tous les mots. Il y avait dans leur effusion un mélange de respect et de solennité.
Morrigann détacha ses cheveux rassemblés en chignon et les laissa tomber sur ses épaules.
- Quand il t'a ramené l'autre jour, tu étais en piteux état, dit-elle en prenant une serviette éponge qu'elle se passa dans le cou. Ca va faire plus d’un an que nous étions sans nouvelles de toi ; depuis le mont Sainte-Odile.
Cuchùlainn rangea les deux boken sur une table et dégrafa son bustier. Il dévisagea son ami. Il n'avait pas vieilli, et seuls les cernes sous ses yeux trahissaient une angoisse dont il ne savait encore rien.
- C'est vrai que je me suis fait du souci pour toi, ami. La dernière fois que nous nous sommes vus, tu te préparais à rejoindre la Légion étrangère...que t'est-il arrivé depuis, raconte-moi?
Cornélius s'assit sur un des tabourets de bois qui meublaient la salle et prit une profonde inspiration:
- Il s'est passé beaucoup de choses, durant cette année...en fait, je venais te voir parce que j'ai besoin de toi, de vous...
Tout en disant cela, son regard se porta sur une vitrine dans laquelle étaient exposées une douzaine d'épées allant de la Bâtarde à la Rapière. La superbe collection que son ami avait conservée à son départ resplendissait derrière les façades de verre. Il s'arrêta devant la plus belle pièce de sa collection : une dague incrustée de pierres précieuses et tout à coup un flot de souvenirs remonta à la surface de son subconscient...comme si c’était hier...


- Quelle est donc cette salle, Hugues? Jamais je ne l'ai visitée par le passé, je crois même que j’en ignorais jusqu’à l’existence. Sommes-nous bien toujours en ton château?
- Assieds-toi dans ce fauteuil et écoute-moi attentivement.
Le Duc de Champagne arborait un air grave et sérieux, mais aucune nervosité ne semblait l'animer. Au contraire, il paraissait détendu mais cependant sans liesse apparente.
- Cornélius, le moment est venu pour toi d'apprendre un secret dont l'origine se perd dans la nuit des Temps. Pour toi, je suis Hugues de Payens, mais je ne suis pas que lui. Mon vrai nom est Cuchùlainn Mac Datho; je suis né il y a plus de trois mille cent cinquante ans dans la ville de Hallstatt, et je suis Immortel...
Cornélius considéra son hôte avec un mélange d’incrédulité et de scepticisme :
- Que me chantes-tu là comme fable, ami ? Le vin t’est-il monté à la tête ?
- Assis-toi et écoute-moi !
Cornélius s’exécuta et Hugues reprit :
- Il y a bien des années j’ai vécu le même phénomène que toi : laissé pour mort, j’ai survécu, et malgré mes blessures et un corps sans vie, le souffle m’est revenu et je me suis réveillé pour ne plus jamais mourir. Ce qui t’est arrivé ce matin lors de la chasse porte un nom : un Immortel t’a tué et par ce geste révélé ta vraie nature. Tu as ressenti une sorte d’oppression en te réveillant. Il s’agit de l’Accélération : quand ton corps ressent la présence d’un autre Immortel il émet une sorte de signal, qui te met en garde contre un éventuel danger.
Cornélius glissa négligemment une main à l’endroit où la femme avait planté son poignard, et frissonna :
- Ainsi je suis immortel…
- Ne te réjouis pas trop vite, car cette condition, bien qu’extrêmement avantageuse sur bien des points, est aussi contraignante. Tu vas rester avec moi ici, le temps que je t’apprenne tout ce que tu dois savoir pour survivre.
- Celle qui m’a fait ça, cette femme…demanda Cornélius ; la connais-tu ?
- Je ne l’ai jamais vue auparavant, mais je doute qu’elle soit très vieille. Pourquoi cette question ?
- Je l’ai déjà vue par le passé, au château de mon Père…et elle est encore plus belle maintenant qu’au jour de notre première rencontre…
Cuchùlainn dégaina son épée de son fourreau et la déposa devant Cornélius :
- Voici la seule entité féminine dont tu devras désormais tomber amoureux ! Je t’apprendrai à te servir d’elle comme personne en ce monde. Au moment venu tu choisiras celle qui t’accompagnera pour le restant de tes jours. Mais à présent il est temps d’aller dîner. Ce soir, nous reparlerons de tout ça. Tu es à mille lieux d’imaginer dans quoi tu es en train de t’embarquer…

Confortablement installés dans une magnifique bibliothèque, Cuchùlainn et Cornélius dégustaient un verre de cognac accompagné d'un cigare cubain pour le premier, et d'un dominicain pour le second.
Ils sortaient de table et le moment était venu pour eux de discuter.
- Il y a si longtemps que je ne suis pas venu ici...tant d’événements son arrivés depuis mon dernier passage...
Cuchùlainn posa son verre vide sur la table basse, prit la bouteille de cognac et en proposa à son ami. Il cracha une bouffée de son cigare et se renversa dans son fauteuil. Croisant les jambes, il dévisagea son vis-à-vis.
- Bien…
Son ton était devenu sérieux et posé, avec un petit quelque chose de rassurant que Cornélius connaissait bien.
- … Maintenant, reprit-il, raconte-moi ce qui t'est arrivé. Je veux tout savoir.
Le visage du géant s’assombrit:
- Par où commencer…
- Je vais te faciliter la tâche : lorsque tu as rebondi sur mon pare-choc tu étais salement amoché. Connaissant ta force un autre immortel n’a pas pu t’infliger de telles blessures. Donc j’en déduis qu’il t’est arrivé quelque chose…d’autre que ce à quoi nous sommes préparés.
Cornélius hocha la tête :
- Tout ce dont je me souviens, c’est de m’être rendu au Crocodile pour déjeuner… En quittant le restau j’ai remarqué que deux gars avaient l’air de me filer le train, mais j’y ai pas prêté plus d’attention que ça…jusqu’à ce qu’on se retrouve dans cette ruelle… j’ai ressenti une piqûre à la base de la nuque ; le temps que je me retourne ils étaient sur moi…bâillonné et ligoté ; ils m’ont jeté à l’arrière d’une fourgonnette et puis le noir total.
Il se resservit un fond de cognac qu’il avala d’une gorgée avant de reprendre :
- Quand je suis revenu à moi, j’étais attaché à poil sur une chaise, les pieds dans de la flotte, dans une pièce qui ressemblait à une cave. Y avait qu’une ampoule au plafond, et pas de fenêtre. Il faisait humide comme dans un égout. Ca puait la sueur et le sang…ils ont commencé à me torturer, à me poser des questions…
- Qui ça, « ils » ?
- J’en sais rien ; des espagnols ou des mexicains, d’après leur accent…ils n’arrêtaient pas de m’interroger sur Esméralda.
Cuchùlainn fronça les sourcils.
- Esméralda ?
- Elle est partie il y a trois mois maintenant ; elle devait se rendre à la Nouvelle-Orléans retrouver Lebeau pour je ne sais quelle affaire…elle a disparu le lendemain de son départ. Je me suis rendu en Louisiane, j’ai rencontré Lebeau ; apparemment elle n’est jamais arrivée là-bas…
- Pourquoi tes agresseurs s’intéressaient-ils tant à Esméralda ? Que t’ont-ils demandé ?
- A part l’endroit où elle se trouvait, rien…Ils connaissaient l’endroit où je vis, ils l’ont retourné dans tous les sens, et lorsqu’ils sont revenus, ils paraissaient encore plus en colère qu’avant. Je crois qu’ils sont à la recherche de quelque chose. Et je pense que ce quelque chose doit se trouver avec Esméralda.
Cornélius fit une pause dans son récit ; il en profita pour rallumer son cigare et laisser s’échapper des volutes en soupirant.
- Continue, l’encouragea Cuchùlainn.
- ils me faisaient manger une fois par jour… quand je dis manger…pour ça j’avais une main de libre. C’est cette erreur qui leur a coûté la vie le jour où je me suis fait la belle. Mais apparemment ça ne s’est pas fait sans mal…
Cuchùlainn se leva de son fauteuil :
- On a fait ce qu’on pouvait pour sauver ton œil… mais notre condition ne nous permet pas de remplacer un organe arraché. Je suis désolé…
- Ne t’en fais pas pour ça, ami, lui répondit Cornélius en souriant. Par contre, laisse-moi te remercier pour le reste…
- A charge de revanche, ami…maintenant, dis-moi en quoi je peux t’aider ?

*

Elle était là.
Elle s'était endormie tôt en ce début de soirée, malgré la chaleur étouffante et les bruits de la rue qui parvenaient jusque sur son balcon.
Elle avait laissé les portes-fenêtres de sa chambre grande ouverte, comme pour laisser entrer la musique qui la berçait et l'accompagnait jusqu'au pays des rêves. Mais ce soir, Esméralda n'avait pas vraiment besoin de tout ce cérémonial. Elle était épuisée par sa rude journée, et lorsqu'elle était rentré chez elle, elle ne se prit le temps que pour une douche glacée et un repas frugal composé de deux pêches et d'une mangue; puis elle avait annoncé à son demi-frère qu'elle ne serait pas des leurs ce soir pour la traditionnelle partie de poker entre les meilleurs membres du clan. Après quoi elle était montée se coucher.
Elle n'entendait même plus la musique.
Pourtant les orchestres improvisés au coin d'une rue s'en donnaient à coeur joie, et leurs rythmes entraînants la faisaient très vite bouger pour aller communier avec ces Créoles au sang chaud, et véritables dieux de la musique. Les yeux mi-clos, elle se repassait le film de sa journée, oubliant tout le reste autour d'elle. Lentement les images revenaient, défilaient dans sa tête...mais certains détails changeaient...
Le sol était froid. Froid et humide. Et sa tête lui faisait mal, horriblement mal. Elle ne parvenait pas à ouvrir correctement les yeux, mais elle sentait que des gens se penchaient sur elle. Il lui sembla même qu'une main lui caressa le front, puis se fut un linge mouillé, mais d'une eau tiède, pas cette eau de pluie qui l'avait arrosée depuis si longtemps déjà. Il fallait pourtant qu'elle fasse l'effort d'ouvrir ses yeux, malgré la douleur persistante; d'autant qu'elle savait maintenant que cette douleur ne durerait pas plus d'une journée.
Le visage qu'elle vit ne fut pas celui qu'elle avait gardé en mémoire avant de sombrer dans le néant. Ce n'était plus ce blanc au regard injecté de sang et à la barbe pleine de graisse et de vin, le fouet à la main et ses cheveux dans l'autre. Il n'y avait plus non plus ses trois compagnons, puant l'étable et la sueur d'avoir trimé comme des bêtes toute la journée sur les quais et se comportant maintenant comme elles; l'un d'entre eux avait même déjà baissé son pantalon et s'apprêtait à prendre un plaisir égoïste sous les regards avinés de ses compères...mais il devait encore y avoir son sang sur le poignard qui ne la quittait jamais. Ce sang, qui avait été la cause de son malheur. Sans son geste pour préserver sa vertu , sans doute ne l'auraient-ils pas rouée de coups et laissé pour morte au bord de ce chemin, sale esclave qu'elle était...une esclave aux cheveux blonds et au teint hâlé par le soleil du Vieux Sud...
La main qui continuait à lui nettoyer les plaques de sang à moitié coagulé était douce et apaisante. Ce n'était pas une main de femme, car malgré toute sa tendresse elle demeurait calleuse; c'était une main de travailleur.
Elle sentit ensuite qu'on la prenait dans ses bras. Enfin libérée de ce sol humide et glacé, ses vêtements durcis par la boue séchée en certains endroits, elle s'abandonna dans les bras de son sauveur.
A son réveil, ils étaient huit pour l'accueillir à nouveau parmi les vivants. Deux femmes dont une Créole à la peau sombre et au sourire illuminant ce visage d'ébène, trois hommes et trois enfants dont deux filles. Le plus grand des trois hommes tenait dans ses bras la plus petite des trois enfants, une ravissante gamine de quatre ans. A côté de lui, debout les bras croisés, le chef de famille et son fils. Près de ce dernier, on trouvait sa femme et sa sœur. Ils donnaient l'image d'une famille soudée et heureuse, du moins au premier regard...et le temps allait renforcer cette impression.
Esméralda. C'est le nom que lui donna Malik Lebrun, le père de famille, celui qui la considérait comme sa petite soeur venue de nulle part. Enfant perdue, elle venait de trouver une famille, et pas n'importe quelle famille: une famille qui en comprenait dix, y compris la sienne. Un clan soudé et solidaire.
La Guilde des Voleurs.
Tante Mattie lui avait fait cadeau de sa boucle d'oreille, symbole de son appartenance au clan, trois ans après son adoption, et le chef de la Guilde, un dénommé Lièvre Martin eut l'honneur de présider en lieu et place du véritable chef du clan en exil, la cérémonie qui clôtura son épreuve quelques mois plus tard. Esméralda était heureuse, entourée de Claire et de Suzanne Lebrun, qui avaient déjà tellement grandies et qu'on prennaient pour ses soeurs cadettes. Mais leur croissance allait bientôt se stabiliser: elles devenaient d'éternelles jeunes femmes grâce à l'Elixir de Vie qui leur était dispensé tous les sept ans. Cette potion aux origines mystérieuses leur était apportée par une homme tout aussi étrange, que personne n'avait jamais vu auparavant; et le jour où Esméralda prit part pour la première fois à la cérémonie dite de la dîme, elle espéra cerner un petit peu mieux ce visage énigmatique. Mais le Collecteur, c'est ainsi qu'il se faisait appeler, gardait son mystère protégé par un halo magique qui rendirent ses yeux inefficaces au moment où elle chercha à mieux le cerner.
Elle rentrait chez elle, Rue Royale...la porte d'entrée était grande ouverte...en franchissant le pas de la porte, elle vit les corps de Suzanne et de Tante Mattie baignant dans leur sang...un peu plus loin, le corps de Claire se balançait au bout d'une corde accrochée aux barreaux de la rampe d'escalier. Tremblant de peur et d'effroi, elle chercha à fuir cette vision de cauchemar...elle se retourna...derrière elle se tenait l'assassin, une épée à la main...elle le reconnut...
- Esméralda...donne-moi ce que je cherche…
Le son de sa voix la fit hurler...
...et elle se réveilla en nage au milieu de son lit. Ses draps étaient trempés de sueur et elle tremblait de tous ses membres. Des bruits de pas lui parvinrent du couloir. De la lumière filtra de sous la porte et celle-ci s'ouvrit sur Tante Mattie qui se précipita sur l'un des interrupteurs de la chambre de la jeune femme:
- Que se passe-t-il, mon enfant? Lui demanda-t-elle en s’asseyant au bord du lit et en attirant à elle le corps tremblant et frissonnant.
- Ce n'est rien, Tante...juste un cauchemar grotesque.
- Toujours le même, n'est-ce pas?
Esméralda chercha le regard de Tante Mattie. Elle ne pourrait pas lui mentir, même si elle en avait eu l'intention.
- Oui. Il est toujours là, au milieu de vos corps sans vie, son épée à la main...
Mattie ramena le drap sur les épaules nues de la voleuse et lui caressa les épaules en un doux massage qui eut pour effet de la détendre quelque peu:
- C'est un Immortel qui te tourmente?
La jeune femme ne répondit pas.
- Ecoute ; on t’a trouvée il y une semaine errant dans les rues du Vieux Carré. Tu n’as reconnu personne, et la cicatrice que tu portes sur la tempe tente à prouver que tu t’es blessée ; suffisamment pour perdre la mémoire, du moins en partie…nous te soignons du mieux que nous pouvons, mais tu dois faire l’effort de te souvenir.
- Je crois...je ne me souviens pas de grand' chose, en fait...le seul Immortel que je connaisse, me semble-t-il, est Rémy. Quand il m'a piégée sur le toit de l'église, et dit que j'étais Immortelle, ce devait être la première fois que j'en entendais parler.
- Lui est convaincu du contraire...
La phrase qu'avait laissé échapper Mattie fit s'approcher d'elle Esméralda:
- Tu en as discuté avec lui?
- Lièvre et Malik sont très proches de Rémy, depuis la mort de Jean et de Bernard...en fait, Rémy est persuadé que tu connais d'autres Immortels, mais que tu ne t'en souviens pas. C'est sans doute à cause des coups que tu as reçus lorsque les propriétaires de Beauregard t'ont battue à mort.
Esméralda resta un moment interdite.
- Qui est celui qui hante tes nuits?
La voix de Tante Mattie la rappela à la réalité:
- Je l'ignore. Mais je sais qu'il est comme moi. Je le vois à son regard. Je ne sais pas comment t'expliquer ça, mais j'ai l'impression que si je ne me réveillais pas tout le temps au même moment, il ne me ferait pas de mal...parce que son regard est plein d'amour pour moi, ce qui ne cadre pas avec les meurtres dont apparemment il est l'auteur...
- Je comprend...bien, à présent essaye de te rendormir, ma chérie. Nous verrons tout cela demain matin si tu le veux bien.
Et avec les gestes d'une mère aimante, Tante Mattie borda Esméralda qui avait besoin d'une présence rassurante, avant de replonger dans un sommeil qu'elle souhaitait réparateur...


- Elle est envoûtée, Rémy. Tu peux me faire confiance, les sortilèges ça me connaît! Ses rêves sont un mélange de souvenirs et de projections…elle revoit des événements proches du moment où elle a perdu la mémoire. Elle a été battue, peut-être même pire…
Assis sur son trône au sommet duquel une couronne blanche brillait de tout son éclat d'ivoire, Rémy Lebeau avait écouté Tante Mattie lui relater les nuits agitées de l'une de ses protégées.
- Etrange, finit-il par articuler après avoir profondément réfléchi à toute l'histoire. Tu dis que d'après toi Esméralda serait victime d'un enchantement...Vaudou?
- C'est à craindre…
Assis sur le trône orné d'une tête de cheval noire, Lièvre leva légèrement le menton:
- Rémy, tu ne penses quand même pas à Gri-Gri, le sorcier des Sicaires ? Comment voudrais-tu qu'il ait pu approcher Esméralda pour lui jeter un sort ?
- L'approche physique n'est pas le seul moyen, Lièvre, lui répondit Tante Mattie avec un sourire. Je croyais te l'avoir appris...l'essence psychique est tout aussi dangereuse, surtout pour un sorcier comme Gri-Gri.
- Tu es sorcière, toi aussi, Tante, fit remarquer Lebeau. Ne peux-tu rien faire pour contrer ce sortilège, voir l'annuler?
- C'est difficile, Rémy. J'ignore tout de ce maléfice...à dire vrai je me demande s'il s'agit bien d'un enchantement.
- Explique-toi?
- Les réactions de la petite sont plus proches des séquelles post-hypnotiques que d'un sortilège Vaudou. En fait j'en suis venue à me demander si elle n'a pas été hypnotisée par un des vôtres avant d'atterrir à la Nouvelle - Orléans...
Lebeau hocha la tête en signe de négation :
- Je ne vois personne qui possède un tel pouvoir...Modred le Mystique maîtrisait cette science, mais je l'ai tué voilà presque une centaine d'années...et jamais je n'ai eu la moindre manifestation de ce pouvoir en moi. Je ne crois pas qu'il faille chercher dans cette direction. A moins que...
Soudain Lebeau sursauta, comme si l'idée qui venait de lui traverser l'esprit lui avait fait l'effet d'une choc électrique:
- T'a t'elle déjà décrit l'Immortel qu'elle voit dans son rêve?
La question qui surprit quelque peu Tante Mattie, ne lui était jamais venue à l'esprit. Pourtant elle avait son importance.
- Non...non, elle ne m'a jamais parlé de lui en détails...
Lebeau se leva:
- Si jamais il revient la troubler cette nuit encore, pose-lui la question. Une fois que nous aurons cerné le personnage, il nous sera sans doute plus facile d'y mettre un nom...
Lièvre s’approcha de Rémy :
- Tu penses à quelqu’un de précis ? Assassin, Immortel ?
- Oui. Et si il s’agit bien de qui je crois, alors elle est envoûtée et nous aurons du mal à la délivrer de ce sort sans tuer son responsable.
- Eh bien dans ce cas nous le tuerons, conclut Lièvre en se renversant dans son fauteuil. Si un des nôtres est en danger, nous l'en délivrerons.
- Nous ne sommes pas des assassins, lui fit remarquer Mattie.
- Et de plus celui à qui je pense ne rentre pas dans ta catégorie, cousin.
Lièvre comprit alors de quel genre d'adversaire Lebeau parlait…
- Pour l’instant, personne ne doit savoir qu’elle est ici. Cornélius est venu une fois, c’est une fois de trop. Nous devons la cacher tant qu’elle sera en danger. Je compte sur vous pour maintenir le secret.

...les mêmes corps étaient allongés dans une mare de sang...la pauvre Claire était toujours pendue à son escalier, les deux mains ballantes le long du corps...elle se retourna et le vit, toujours son épée ensanglantée à la main...ses yeux reflétaient encore une fois cette pureté de coeur qu'un amoureux laisse entrevoir à celle qu'il aime...il va prononcer son nom...
- Esméralda...
Cette fois-ci il faut tenir, dominer ses nerfs...surtout ne pas craquer, pas tout de suite...attendre!
- Esméralda...donne-moi ce que je cherche…
- Je ne sais pas de quoi tu parles !
- Ton secret ! Donne-moi ce qui me manque pour comprendre !
Soudain son visage changea. Ses traits se durcirent et son teint changea. Dans ses yeux, elle voyait à présent danser le spectre de la mort. L'épée se leva avant de s'abattre sur elle.

Esméralda poussa un cri qui déchira la nuit. Quelques instants plus tard arrivèrent Tante Mattie et Malik, tout deux alertés par le hurlement de terreur de la pauvre femme.
Esméralda pleurait.
- Tante...j'ai voulu...je suis restée un peu plus longtemps...c'était horrible!
- Calme-toi, mon bébé, la consola Tante Mattie en la prenant dans ses bras comme presque toutes les nuits. Essaye de te rappeler comment il était, je veux dire physiquement...
- Mattie, ce n'est peut-être pas le meilleur moment, souffla Malik à l'oreille de sa soeur.
- Si. Si nous voulons tenter d'y voir clair, c'est maintenant ou jamais.
- Il a changé...au départ, il était toujours aussi amoureux, il semblait regretter ce qu'il avait fait. Mais c'est par la suite que son visage est devenu celui d'un autre. Plus foncé, plus méchant...lui, il voulait me tuer!
- Peut-être est-ce là la manifestation d'une personnalité à deux visages, suggéra Malik.
- Non, le coupa Esméralda, devenue plus calme tout à coup. L'autre visage, je sais qui c'est. Je l'ai déjà vu par le passé. Ce n'est pas le même homme, sois en sûr.
Mattie lui caressa le bras afin d'en chasser la chair de poule:
- Tu es sûre de le connaître? Ce n'est pas ton imagination qui...
- Non, Tante: je te dis que j'ai reconnu son visage. Mais sa voix… c’est un espagnol, et il est fort.
Elle replia ses jambes qu'elle enferma entre ses bras avant de poser son menton sur ses genoux, l'air absent:
- ...jamais je n'oublierai ce regard...mais son nom m'échappe encore...pourtant mon coeur me dit que je n'avais rien à craindre de lui, par le passé. Alors pourquoi me fait-il si peur ?
Mattie consola la jeune femme ; ses lèvres brûlaient d’envie de prononcer le nom de l’homme qui pourrait la protéger, ce nom qui la rassurerait sans doute… peut-être était-ce là l’électrochoc qui délivrerait sa mémoire ?
Mais le nom de Cornélius resta au fond de sa gorge nouée…






20 décembre 2005

LA QUESTION EXISTENTIELLE DU MOIS:

Aujourd'hui nous connaissons les M&M's; ya les paquets jaunes, aux cacahuètes, et les paquets marrons, tout chocolat. ( on zappera le paquet bleu, transfuge de ce souci stupide de notre société de créer sans cesse des clônes de ce qui existe déjà...)
AVANT ( cétait toujours mieux avant...) les M&M's jaunes s'appelaient TREETS; et c'est là que le truc se complique :

COMMENT S'APPELAIT LE PAQUET MARRON QUI A DONNE NAISSANCE AUX M&M's MARRON ????

C'est maintenant que j'ai besoin de vous... aidez-moi à ne pas mourir con en cette fin d'année pour renaître en 2006 un peu plus cultivé.
C O R N E L I U S à la Tour d'Argent

CHAPITRE II


Il faisait nuit ; une nuit de printemps froide et humide qui vous pénètre et vous glace les os. Dans le ciel sans étoiles, des nuages chargés de pluie passaient, poussé par un vent qui tourbillonnait au sommet de la petite colline.
Lentement, une douzaine de silhouettes encapuchonnées marchaient les unes derrière les autres, chacune tenant à la main une torche dont la lueur dansait au gré du vent. La procession était silencieuse, et malgré l’humidité qui leur trempaient les chausses et les pieds, aucun gémissement ne se faisait entendre.
En tête de cortège, une mince silhouette guidait ses semblables sur les pentes escarpées de la colline, dont le sommet commençait à se détacher du rideau de la nuit. Elle ne tenait pas de torche, mais une coupe en terre cuite dans lequel un breuvage aux reflets d’argent renvoyaient son reflet troublé par le rythme de ses pas.
Dans la file, une jeune femme à peine adulte leva les yeux vers le sommet de la colline ; ce qu’elle vit la fit frissonner : des pierres étaient dressées pour former un cercle plus ou moins régulier. Elles n’avaient pas toute la même taille, mais elles dégageaient une aura de force et de puissance qui inspirait le respect.
C’était la première fois que Jeanne pouvait contempler le sommet du Tor…
Depuis son arrivée ici et le début de son noviciat, il y a six mois maintenant, elle n’avait jamais eu droit de participer aux processions rituelles que conduisait la Grande Prêtresse.
Mais aujourd’hui cela semblait différent.
Alors qu’elle se reposait en compagnie de deux autres jeunes femmes dans la maison des Vierges, Niniane était venu les réveiller au beau milieu de la nuit :
- Levez-vous et habillez-vous vite !
Effrayées par l’apparition subite de la vieille prêtresse, elles avaient sursauté et étouffé un cri. Mais Niniane les secoua afin qu’elles se hâtent de se préparer.
- Dépêchez-vous, allons ! Il faut que nous partions le plus vite possible. Les autres vous attendent.
- Que se passe t-il ? Avait demandé Eylinn dont les yeux étaient à moitié dissimulés sous son épaisse chevelure rousse.
- Il faut que tu te dépêches, Eylinn, lui avait répondu Niniane. Tu auras la réponse à ta question dehors ! Jeanne, ta robe est à l’envers !
Jeanne regarda sa tenue dans un miroir et s’aperçut de sa méprise. Elle retira la mince ceinture de cuir qui lui ceignait la taille et entreprit de se rajuster.
Sybille fut la plus prompte à se tenir prête. Elle s’attacha les cheveux avec un ruban avant que Niniane ne la reprenne :
- Cette nuit, vous ne porterez ni bijou ni ruban. Vous allez prendre part à une cérémonie très particulière, et il faut que vous vous présentiez devant la Déesse sans aucun artifice.
- Ca signifie que nous nous rendons sur le Tor ? Interrogea Eylinn dont les yeux s’étaient soudain allumés.
Niniane acquiesça d’un hochement de tête :
- Ne perdons pas de temps, mesdemoiselles. Je vous rappelle qu’en dehors de cette maison vous restez soumises à votre vœu de silence. Allons-y…
La vieille prêtresse sortit la première, suivie par les trois novices qui se parèrent de leurs capes de laine.
Devant la maison des Vierges, un autre groupe composé de prêtresses et de novices, attendaient, des torches à la main. Il en fut distribuée aux trois jeunes filles et la voix de Niniane raisonna dans la nuit :
- Que chacune de vous se souvienne de ce soir ! Pour certaines d’entre vous, ce sera la première fois qu’elles contempleront la manifestation du Don. Je demande à celles qui ont déjà participé à la cérémonie de l’eau d’entourer leurs consœurs, afin que le rituel se déroule sans encombre…
Sybille regarda Jeanne :
- Tu te rends compte, on va enfin participer à une cérémonie ! Lui murmura-t-elle entre ses lèvres pincées.
Mais Jeanne ne l’écoutait pas. Son regard se porta au loin, par-delà les arbres qui bordaient la maison de la Grande Prêtresse, sur une colline dont le sommet était caché par un rideau de brume…

En foulant le sol du Tor, Jeanne ressentit une sensation des plus étranges. Ses pieds transis de froid et d’humidité quelques secondes auparavant étaient à présent envahi d’une étrange douceur. Elle regarda autour d’elle ; les colonnes suintaient d’humidité, et les prêtresses commençaient à se disposer en cercle autour d’un petit puits dont la margelle dépassait à peine du sol. Elle chercha ensuite Niniane du regard car elle se sentait perdu au milieu des autres plus âgées qu’elle, et qui semblaient habituées à ce genre de cérémonial.
A côté d’elle, Eylinn grelottait sous sa cape de laine. Ses lèvres étaient devenues aussi bleu que le croissant de lune qu’elle arborait entre ses sourcils.
Jeanne aurait voulu la serrer dans ses bras pour la réchauffer, mais elle ne pouvait pas bouger. La flamme de sa torche dansait, menaçant de s’éteindre à chaque bourrasque de vent.
C’est alors que se produisit un phénomène étrange :
Le vent qui jusqu’ici torturait les jeunes femmes tomba d’un coup, et la brume se leva jusqu’à former un bouclier au-dessus du Tor.
Les flammes des torches se mirent à éclairer le cercle de pierre comme si le jour venait de se lever et que le soleil l’inondait de ses rayons.
Jeanne contempla le phénomène bouche bée.
Bien sûr, depuis son arrivée à Avalon, elle avait déjà entendu parler des pouvoirs acquis par les Prêtresses qui séjournaient dans l’île ; elle avait entendu parler de ces légendes et lorsque cette femme était venue à sa rencontre l’été dernier, elle l’avait suivie sans hésiter.
Il lui arrivait souvent de repenser à son ancienne vie, à ses copines du lycée, à son petit copain…
L’apprentissage était rude, et dans les nombreux moments de cafard elle revoyait ces visages souriants. Jamais elle ne regretta son choix, car ici elle avait enfin obtenu des réponses à des questions qui la hantaient depuis trop longtemps.
Depuis son adolescence elle sentait que quelque chose l’attirait hors de chez elle, loin de sa famille décomposée, de sa mère alcoolique, de son beau-père tyrannique. Elle avait également observé des changements en elle, à l’âge où le corps de transforme, elle se mit à éprouver des sensations étranges, comme si pendant son sommeil son esprit parvenait à se dissocier de son corps… au début elle mit ça sur le compte de la puberté, mais très vite elle s’aperçut qu’en se concentrant suffisamment elle était à même de d’entrevoir des choses ou percevoir des sensations qu’aucun autre ne pouvait deviner. Lire dans les esprits lui était impossible, mais elle pouvait prévoir certains réactions et anticiper des comportements au-delà du commun des mortels. Elle se garda bien d’en parler autour d’elle, de peur de se voir interner dans un de ces instituts psychiatriques d’où on ne ressort jamais.
Et puis elle a fait cette rencontre, l’été dernier ; une femme qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais vue, mais qui l’aborda en l’appelant par son prénom, qui lui révéla des choses sur elle des plus intimes, et pour finir, qui lui révéla tout savoir de ces dons exceptionnels…
Autour d’une verre la jeune femme lui avait tout expliqué : l’existence d’une terre hors du temps où des jeunes filles comme elle apprenaient à exploiter et maîtriser le pouvoir qui était le leur. L’enseignement des Runes, des filtres et potions diverses, l’enseignement du monde et de ses rouages. Là-bas, elles devenaient des prêtresses aux pouvoirs sans commune mesure avec ce qu’on rencontre habituellement dans le monde des hommes. Avec la liberté d’aller et venir entre les deux mondes une fois l’apprentissage terminé…
Le jeune femme lui avait proposé de la suivre, lui laissant un billet d’avion pour Londres sur la table, avant de se retirer.
Jeanne avait réfléchi trois jours avant de prendre sa décision ; et une ultime colère de son abruti de beau-père acheva de lui donner la force nécessaire pour franchir le seuil de cette maison qu’elle ne souhaitait plus jamais revoir…

A présent les prêtresses et les novices étaient toutes en cercle. La prêtresse qui portait la coupe s’avança jusque devant le puits et y versa en un long filet le liquide argenté.
Puis elle ferma les yeux et murmura une prière dans le langage perdu du Petit Peuple.
Jeanne avait déjà entendu ce langage, lorsqu’elle avait emprunté la barge sacrée qui l’avait conduit à Avalon. Les rameurs, de sombres créatures au visage peint et à la peau couleur terre, murmuraient eux aussi des mots dans cette langue. Elle s’était renseigné sur ces mystérieuses créatures, et bien des fois elle avait cherché à les revoir, au cours d’une méditation dans les bosquets de l’ouest de l’île. Mais seul le son de leurs voix lui était parvenu ; refusant de se montrer à elle…
La prière chantée par la prêtresse était mélodieuse et douce, semblable à une berceuse. Jeanne sentit tout son être se détendre, et elle eut soudain la sensation que son esprit se détachait de son corps. Elle jeta un regard furtif sur sa droite et réprima un sursaut : Elynn était à présent blanche comme un linceul. Ses lèvres étaient figées et son regard fixait la prêtresse sans sourciller.
Jeanne voulu la secouer, mais elle ne parvenait pas à faire le moindre mouvement.
C’est à cet instant que se produisit un phénomène qu’elle n’oublierait jamais.
La prêtresse acheva sa prière et se tourna vers Elynn. Elle retira la capuche et Jeanne reconnut la prêtresse qui était venu la chercher quelques mois auparavant.
Cette dernière fit un geste en direction d’Elynn qui s’avança lentement, telle un zombie. On aurait dit que ses pieds ne foulaient plus le sol, tant sa démarche paraissait légère et aérienne.
Lorsqu’elle parvint au puits, elle s’arrêta. La prêtresse défit le nœud de sa cape et la laissa tomber à ses pieds. Saisissant la petite faucille d’or qui pendait à sa ceinture, elle trancha les nœuds qui tenaient la robe de la jeune femme, et lentement elle la déshabilla.
Elynn était à présent entièrement nue.
Sa peau d’une blancheur immaculée semblait refléter la lumière argentée du puits. La prêtresse lui demanda de se pencher au-dessus du liquide et de regarder attentivement.
Alors de la bouche de la jeune femme sortit une voix grave et forte qui raisonna sur le Tor :
- Voici que s’adresse à vous Ceridwen, Déesse mère de toute vie. Des jours funestes s’annoncent, et ce qui a été ne sera plus…
Les novices frissonnèrent en entendant ainsi la voix sortir du corps de leur compagne. Celle-ci demeurait droite, le visage sans aucune expression ; seules ses lèvres bougeaient au rythme des mots qu’elle prononçait :
- … Un danger menace ce monde et l’autre. Les sentiers des brumes égareront les voyageurs, et celles qui s’en sont allées ne pourront revenir. Le temps de l’Oracle est venu…
Toute l’assemblée écoutait les paroles prononcées par Ceridwen de la bouche d’Elynn. Mais personne ne semblait en comprendre le sens caché.
Soudain la jeune femme fut secouée par un spasme, et la voix reprit :
- … que se prépare la guerrière, car l’épée et le sang garantiront la survie de ce qui est…
Les tremblement se firent plus violents, et dans un cri de douleur, Elynn s’effondra devant le puits, inanimée. Un murmure secoua l’assemblée, et la prêtresse qui soutenait la novice adressa un signe de tête à Niniane qui réclama le silence :
- Que chacune regagne sa maison en ordre et en silence ! Grand soins sera pris de la jeune Elynn. Que Silk s’assure du bon déroulement des choses.
La dénommée Silk, une prêtresse d’une trentaine d’année, s’inclina devant Niniane, et organisa le retour aux maisons.
Sur le Tor ne restaient plus que Niniane, la prêtresse et Eylinn, toujours sans connaissance…

La jeune fille ouvrit les yeux et contempla le visage de celle qui lui tendait une coupe remplie d’un breuvage à base de miel et de plantes :
- Buvez ceci, mon enfant, tout ira bien maintenant…
Eylinn considéra la prêtresse qui s’occupait d’elle, et elle la reconnut :
- Dame Morgane !
- Chut, lui murmura la prêtresse en faisant couler le liquide tiède entre les lèvres de la jeune femme. Vous avez besoin de repos après cette terrible épreuve.
Cherchant à se repérer, Eylinn regarda autour d’elle, mais elle ne reconnaissait pas la chambre où elle se trouvait. Elle était étendue sur un lit recouvert de peaux de mouton ; une nouvelle robe lui avait été passée, et elle sentait la douce chaleur d’un feu de cheminer parcourir son corps tout entier.
- Que s’est-il passé ?
- Vous avez été choisi par la Déesse pour nous apporter sa parole. Il est normal que vous ne vous souveniez de rien ; vous ne possédez pas encore le savoir suffisant pour sortir indemne de ce genre d’épreuve.
Eylinn considéra Morgane.
Elle était plutôt petite, le visage fin et les yeux sombres. Il était difficile de lui donner un âge, car bien que ses traits soient encore ceux d’une jeune femme, son regard était celui d’une vieille femme que la vie avait endurcie plus que de raison.
Ses longs cheveux couleur de geais tombaient sur ses épaules, et le croissant de lune bleu sur son front semblait plus pâle que les autres.
Lentement, Niniane s’approcha de la couche d’Eylinn et passa une main sur son front :
- La fièvre a maintenant complètement disparue, dit-elle à Morgane qui acquiesça.
- Eylinn, tu as prononcé des paroles pendant que tu étais en transe.
- Je ne me souviens de rien, ma Dame, déplora la jeune femme en se redressant sur le lit.
- Je sais. Ces paroles ont été entendues par toutes, mais peu d’entre elles en ont compris le sens. Ce que je voudrais savoir, c’est ce que le Puits sacré t’a révélé lorsque je t’ai invité à te pencher.
Eylinn chercha dans ses souvenirs, mais elle eut beau se concentrer, tous les événements qui suivirent son arrivée sur le Tor demeuraient flous.
Morgane se leva et se dirigea vers une table où elle s’empara d’un flacon.
Elle versa trois gouttes d’un liquide violacé dans une coupe qu’elle mêla à de l’eau. Elle tendit la coupe à Eylinn en souriant :
- Buvez, c’est un peu amer, mais ça vous aidera à vous souvenir.
Eylinn porta la coupe à ses lèvres et grimaça en avalant la potion. Soudain sa vue se troubla, et un voile apparut devant ses yeux. Elle ne parvenait plus à distinguer nettement les deux prêtresses, mais alors qu’elle se concentrait, une autre vision vint se superposer à la sienne :
- Je vois deux femmes… l’une a de longs cheveux blonds, et l’autre des cheveux bruns…toutes deux courent… l’une d’elle a une épée… Elles portent la robe des prêtresses… mais leurs vêtements se déchirent ! Elles sont nues à présent… du sang… du sang sur leurs poitrine ! Du sang ! ! ! je ne distingue plus leurs visages !
Une gifle claqua sur sa joue et Eylinn sortit de sa transe en sursautant.
Morgane lui sourit, mais son sourire était forcé.
- Ce soir vous dormirez ici, dans la maison des prêtresses. Dès demain, vous reprendrez votre rythme de vie auprès des Novices.
Eylinn se tourna vers Niniane :
- Qu’ai-je vu ? Je n’ai rien compris. Qui étaient ces femmes ? Sont-elles mortes ?
Niniane l’invita à s’allonger et la couvrit d’une couverture en laine :
- Reposez-vous mon enfant. Toutes ces questions demeureront sans réponse, je le crains. A présent dormez, et oubliez tout ce que vous avez vu. C’est mieux ainsi…
Et d’une main maternelle elle balaya les cheveux qui tombaient sur le visage de la jeune femme qui se sentit glisser vers un sommeil profond…

Après s’être assurée que la novice dormait, Niniane sortit de la maison des prêtresses et gagna celle de Morgane.
Elle trouva la grande prêtresse assise devant un feu de cheminée, profondément calée dans un fauteuil en chêne.
Elle paraissait préoccupée et songeuse.
Niniane s’approcha de Morgane et s’appuya au dossier du fauteuil :
- Elle les a vues.
Morgane poussa un profond soupir.
- Oui, elle les a vues.
- Ca prouve qu’elles sont encore en vie toutes les deux. Elles ont réussi à survivre jusqu’ici. C’est plutôt une bonne chose, non ?
Morgane se leva et s’approcha de la minuscule fenêtre d’où elle aperçu un croissant de lune à travers le rideau nuageux.
- Elles sont en danger.
- Pourquoi ça ?
- Tu as entendu la petite : du sang sur leurs poitrines. Quelqu’un leur en veut. Et je crois savoir pourquoi, et surtout pourquoi maintenant.
La prêtresse se versa une coupe de vin et en proposa une à Niniane qui refusa d’un geste.
- Pourquoi penses-tu que quelqu’un leur en veut particulièrement ? N’importe qui peut croiser leur chemin et…
- Te souviens-tu de la première fois que tu as assistée à une cérémonie sur le Tor, Niniane ?
Morgane avait posé cette question avec une douceur qui contrastait avec son anxiétude du moment. Niniane s’assit dans le fauteuil laissé vide et se pencha vers l’âtre pour s’y réchauffer les mains.
- Comment l’oublier, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour répondre à Morgane.
La grande prêtresse s’approcha d’elle et Niniane reprit :
- Cette nuit-là, ce fut Morrigann qui fut choisie pour transmettre les paroles de Ceridwen…Mais son jeûne et son état de santé firent qu’elle n’y survécut pas, du moins le croyait-on à ce moment-là… lorsqu’elle se réveilla quelques heures plus tard, elle était allongée sur la table d’embaumement, prête à se faire ensevelir. Nous avons toutes cru à une manifestation de la Déesse, au départ, jusqu’à ce que tu m’expliques…
Morgane posa sa coupe et observa l’âtre, songeuse :
- Bien avant elle, Une autre femme emplie du même pouvoir est arrivée sur cette île. Elle fut la première à recevoir mon enseignement, alors que je venais tout juste de le recevoir moi-même de la bouche de Merlin… il nous a choisi pour que nous gardions en nous la Prophétie que jadis il prononça à la Cour d’Arthur, à propos de la fin du monde…

Lorsqu ’Arthur entra dans la grande salle de la Table Ronde, la reine à son bras, un courtisan s’écria :
- Longue vie au Roi !
L’acclamation fut reprise par les chevaliers et dames de la cour, tandis que le couple les salua.
La messe de la Pentecôte n’allait pas tarder, et le père Honorius invita les fidèles à gagner la chapelle.
En ce dimanche de mai, le soleil brillait radieusement sur le château, et déjà la foule arrivait de partout pour prendre part aux festivités données par Arthur. Le grand tournoi de l’après-midi occupait les esprits, et tous les participants arboraient fièrement sur leurs blasons les couleurs de leurs dames. Même si cette année encore personne ne faisait plus mystère de la probable victoire du Sieur Lancelot, les paris étaient plus ouverts que jamais, grâce notamment à la venue de Lionel de Fehmarn, chevalier qu’Arthur a intronisé à la Table Ronde l’automne précédent, pour palier au décès de Leodegranz…
Lancelot et Lionel étaient amis, et pour eux, l’idée de s’affronter lors des duels de l ‘après-midi les emplissait de joie.
Arthur, qui commençait à s’interroger quant à l’absolu dévouement de Lancelot, en particulier auprès de Guenièvre son épouse, avait vu en l’arrivée de Lionel un allié précieux, sorte de lien entre lui et le chevalier de la Charrette.
Lionel avait été très vite accepté par les autres compagnons d’Arthur, Perceval et Bohort, Gauvain et Caï, Balin et son cousin Balan ; ce dernier ayant eu du mal à se faire à l’idée cependant que le siège de son regretté cousin soit aussi vite occupé. Seigneur inféodé à la Couronne de Grande Bretagne, il avait prêté main fort à Arthur lors d’une bataille contre les Saxons du nord, lui sauvant même la vie durant un affrontement sanglant qui scella la victoire du Roi sur son vassal…

Arthur reçut le salut de Lancelot et embrassa son ami :
- A t-on des nouvelles de Merlin ou de ma sœur ? S’enquit-il auprès de Lancelot.
- Sire, aucun émissaire d’Avalon ne s’est encore manifesté à nous. Je crains que depuis votre décision de rallier toutes les tribus de Grande Bretagne sous la bannière chrétienne de Pendragon vous ne vous soyiez attiré les foudres du peuple des Fées.
Arthur considéra Lancelot d’un air dubitatif :
- Il faut l’unité si nous voulons maintenir la paix dans nos provinces. Si Merlin désapprouve, alors je bannirai le culte de la Déesse de Grande Bretagne, et je les forcerai bien à se soumettre à la bannière de Pendragon !
Lancelot se renfrogna :
- C’est là faire preuve d’audace et prendre un très gros risque, Sire.
Arthur observa Lancelot. Il n’ignorait pas qu’étant le fils adoptif de Viviane, la Grande Prêtresse d’Avalon et qu’à ce titre il faisait lui aussi parti du peuple des Fées de par son sang. Il l’avait volontairement poussé dans ses derniers retranchements afin d’éprouver sa loyauté envers lui, et de se forger une opinion sur son dévouement.
Lancelot allait répondre lorsque de la foule se leva une rumeur : Merlin et La sœur d’Arthur venaient d’arriver.
Arthur se précipita à la rencontre des deux voyageurs. Merlin, malgré son grand âge, paraissait vigoureux et nullement entamé par le voyage qu’il avait fait pour gagner la cour. Sa robé était poussiéreuse et ses chausses crottées de terre. Derrière lui, Morgane descendait de cheval.
Arthur embrassa sa sœur qui accepta son baiser en souriant ; un sourire crispé, presque forcé.
- Grâce à Dieu vous voici, se félicita Arthur. Je crains malheureusement que vous n’ayez guère le temps de changer de vêtements avant le début de l’office.
Merlin lança un regard à Morgane et répondit à Arthur :
- Mon Roi, nous participerons à l’office dans cette tenue. Il sera temps de nous apprêter avant le déjeuner.
- Parfait, mon ami.
Morgane retira sa cape de voyage et observa l’assemblée qui entrait dans la chapelle. Elle n’eut aucune peine à reconnaître Lancelot et Lionel, qui lui adressèrent un signe de tête. Elle leur rendit leur salut et s’attarda ensuite sur la Reine : Guenièvre semblait soucieuse, préoccupée. Elle n’avait même pas daigné saluer Merlin lors de son arrivée, et il ne fallait pas être devin pour sentir à quel point elle le méprisait pour tout ce qu’il représentait. Elle, fière chrétienne, s’acharnait à dresser Arthur en bras armé de l’église contre les tribus adeptes de l’ancienne religion ; et chaque apparition de Merlin à la Cour la répugnait et l’agaçait.
La Dame du Lac sourit en songeant aux tourments qui tenaillaient la Reine, et en silence, elle se fondit dans la foule et pénétra dans la Chapelle…

Le soir du Tournoi, remporté par Lancelot comme il se devait, on présenta à Arthur trois jeune écuyers souhaitant devenir chevaliers. Leurs parrains, Bohort, Caï et Gauvain, se tenaient derrière eux, attendant que le Roi les bénisse avant qu’ils ne se retirent pour une nuit de prière dans la chapelle.
Le lendemain ils seraient adoubés, et cette dernière étape était pour eux l’occasion de se faire connaître de tous.
Arthur trônait au centre de la table, la reine à sa gauche et Lancelot à sa droite. Merlin se trouvait à côté de Lancelot, près de Morgane qui avait choisi de se tenir un peu en retrait.
Lionel avait déserté sa place habituelle entre Perceval et Balin, pour tenir compagnie à la sœur de son Roi.
Tandis qu’Arthur prononçait sa bénédiction, Lionel se pencha vers Morgane :
- As-tu de ses nouvelles ?
Morgane sourit :
- Elle te manque ?
- Depuis que je sais qu’elle a été prêtresse à tes côtés je ne cesse de la chercher. C’est pour ça que Cuchùlainn m’a encouragé à gagner la cour d’Arthur.
- Elle est partie il y a bien deux semaine de ça, répondit Morgane en observant la Reine qui se confondait en dévotions durant la prière prononcée par Honorius.
- Pourquoi ?
- C’est moi qui le lui ai ordonné. Toi, moi, Cuchùlainn…nous sommes trop nombreux ici, et le danger est grand. A supposer qu’un autre s’en prenne à l’un de nous…il y a depuis peu une jeune vierge, fille d’Edwige et de Gareth, roi des Galles du Sud, que je suis allé chercher pour l’instruire en Avalon. Je me pose des questions à son sujet…
- Crois-tu qu’elle aussi…
- Je ne sais pas. Elle est encore très jeune. L’avenir nous le dira…
La foula applaudit les trois novices qui quittaient la salle du banquet pour gagner la chapelle, tandis que les parrains prenaient place à la table du roi…

Le repas était déjà bien avancé. Perceval comptait à l’assemblée les exploits de sa dernière bataille, et son récit captivait les dames qui le dévoraient des yeux.
Merlin paraissait préoccupé.
Morgane, à qui ce détail n’avait pas échappé, se leva et vient se placer derrière son siège :
- Un problème, père ?
Le vieil homme fut prit soudain d’une violente migraine qui lui arracha un cri. Perceval se tut et Arthur se précipita auprès de son vieil ami :
- Merlin ! Que vous arrive t-il ?
Merlin grimaçait de douleur, se tenant la tête comme si elle allait éclater.
- Je…je ne me sens pas bien ; bégaya t-il en tentant de se lever. Je crois que je vais me retirer dans ma chambre…
- Je t’accompagne, lui glissa le roi avec toute la tendresse qu’il éprouvait pour le vieil homme.
- Mais ce dernier refusa :
- Que Lancelot et Lionel m’assistent. Toi, reste auprès de tes invités. Ne t’inquiète pas ; c’est sans doute la fatigue du voyage…
Lancelot se leva et son regard croisa celui de Lionel. Tous deux soutinrent Merlin et quittèrent la grande salle, suivis par Morgane…

Ils allongèrent Merlin sur un lit. Morgane s’approcha de la cheminée et constata qu’un petit chaudron contenant de l’eau destinée à chauffer les bouillotte avait été laissé là. Elle sortit de sa petite bourse trois feuilles d'une plante médicinale et les jeta dans la marmite.
Merlin se redressa sur sa couche et s’adressa à Morgane :
- C’est prêt ?
- Patience, il faut que les herbes se décomposent….
Lionel et Lancelot échangèrent un regard : Merlin, à l’agonie quelques secondes auparavant, donnait des instructions à Morgane et paraissait en pleine forme.
Lancelot s’approcha de la Dame du Lac :
- L’un de vous peut-il nous expliquer ce qui se passe , ou va t-on être obligé de deviner par nous-même ?
Ce fut Merlin qui lui répondit.
- C’est ma faute, excuse-moi, Cuchùlainn. Mais il fallait que je vous vois tous les trois le plus rapidement possible, et ce repas commençait à traîner en longueur.
Lionel prit place dans un fauteuil et considéra le vieil homme :
- Je suppose que ce n’est pas pour nos beaux yeux que tu nous as choisi pour t’escorter !
- Il faut que vous partiez au plus vite.
Un silence accueillit cette déclaration. Morgane surveillait le breuvage pendant que Merlin s’asseyait sur le bord du lit.
- Pourquoi partir maintenant ? Demanda Cuchùlainn en prenant place à son tour dans un fauteuil.
- Il y a trois lunes de cela j’ai eu une vision dans laquelle je vous voyais tous les trois. Vous étiez en danger. Mais une fois sorti de ma transe j’étais incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Alors je suis allé trouver Morgane pour qu’elle me prépare un filtre de mémoire…et là, tout m’est revenu. Vous êtes en danger. Un homme vous cherche et tient à obtenir votre tête.
- Nous sommes trois, répliqua Lionel incrédule. Et ici, à la Cour d’Arthur, il faudrait être complètement fou pour oser nous défier !
Merlin protesta d’un signe de tête :
- Arthur ne va pas rester longtemps fort comme il l’est. Guenièvre ne cesse de le convaincre de traquer et de convertir les tribus non chrétiennes. Une guerre va éclater au sein du royaume. Beaucoup de chevaliers vont partir, chargés de missions plus ou moins importantes…la Cour va s’affaiblir, puis tomber. S’en suivra une période de troubles durant laquelle vous ne serez plus protégés par votre statut.
Cuchùlainn se pencha vers Merlin :
- Qui est-ce, celui qui nous cherche ?
- Je l’ignore, répondit Merlin. Mais ce que j’ai vu ne laissa pas de place au doute. Un homme dont le visage m’était inconnu a tranché la tête d’une femme…
Lionel sursauta :
- Une femme…
- Morgane a ordonné à Esméralda de quitter Avalon, tenta de le rassurer le vieil homme. Elle est protégée par un enchantement de dissimulation qui masque aux autres Immortels sa présence. Cela lui permettra peut-être d’échapper à celui qui vous traque…
- Qu’as-tu vu exactement, interrogea Cuchùlainn.
Merlin prit une profonde inspiration et ferma les yeux :
- Je vais vous réciter ce que j’ai vu…
Morgane l’interrompit :
- C’est prêt
Merlin lui adressa un signe de la tête et reprit :
- J’entrais en méditation, et déjà mon esprit quittait mon corps… je le suis retrouvé sur une lande immense et déserte…Là, j’ai vu deux géants sans visage se battre l’un contre l’autre… De chacune de leurs plaies béantes s’échappaient une multitude de peuple de toutes races, qui fuyaient le champ de bataille… Les colosses s’entretuèrent et vacillèrent de concert… Leurs corps tombèrent en poussière et le vent la répandit sur toute la plaine. Lorsque la nuée se dissipa, la terre trembla et du sol jaillirent dix silhouettes d’apparence humaine, mais sans visage. Elles étaient drapées dans d’immenses capes de couleur sombre, et chacune portait une épée à son côté… C’est alors qu’une voix raisonna, prononçant ces paroles :

Voici que viennes les jours sombres
Où tout ce qui a été ne sera plus.
Après que le monde ne se soit enflammé deux fois,
Après la chute des géants,
Viendra le jour où le sang sera versé
Sur le Sol Sacré.
Le monde basculera alors dans le chaos
Et la terreur.
Les Douze se rassembleront
Et se battront jusqu’au dernier
Mais chacune de leurs victoires
Entraînera un peu plus le monde
Dans les ténèbres.
Par une nuit sans lune
Dans un berceau de flammes
L’homme du Nord
Le fils des Hautes-Terres
L’enfant du Fer
Et la Dame du Lac
Décideront du sort du monde.

Que jamais le monde ne connaisse
Ces temps obscurs et ténébreux
Car le dernier survivant
A été, est
Et sera
Pour l’éternité.

Et ce sera pour les hommes
Le dernier crépuscule
Avant la fin…

Merlin avait prononcé ces paroles d’une voix calme et posée. Les deux chevaliers demeurèrent un instant interdits, puis Lionel prit la parole :
- En somme, lorsque l’un d’entre nous brisera la Tradition en versant le sang sur un Sol Sacré, ce sera le début de la fin, si j’ai bien compris…
- Cette prophétie n’est pas à prendre à la légère, Cornélius, le reprit Merlin en l’appelant de son vrai nom. J’ignore pourquoi j’ai eu cette vision, mais elle est très claire : Morgane, Cuchùlainn et toi êtes cités nommément, ainsi qu’un quatrième que je ne connais pas. L’un d’entre vous, peut-être ?
Il se tourna vers Cuchùlainn, le plus vieux des trois. Ce dernier hocha la tête en signe de négation :
- Jamais croisé personne se prétendant des hautes terres.
Morgane versa de sa potion dans trois coupe. Elle en tendit une à Cuchùlainn et l’autre à Cornélius, gardant la troisième. Merlin se leva de son lit :
- A présent, il faut que vous buviez ceci : c’est une potion qui vous permettra de conserver en mémoire le souvenir de ce jour, afin de ne jamais l’oublier…
Cuchùlainn et Cornélius échangèrent un regard, mais voyant Morgane porter la coupe à ses lèvres, ils burent le breuvage au goût amer.
A peine avaient-ils fini leurs coupes qu’ils furent pris d’un étrange malaise et sombrèrent dans un sommeil profond presque immédiatement.
Morgane posa la coupe dont elle n’avait rien bue, et se pencha sur les corps inanimés des deux chevaliers :
- Ils dorment.
- Doutais-tu de toi, demanda Merlin en souriant ?
- Je me demande si ce que nous avons fait là est correct. En buvant cette potion ils perdront tout souvenir de cette heure passée avec toi, ainsi que la Prophétie.
- N’aie crainte, Morgane des Fées, la rassura Merlin. Rien ne nous dit que cette Prophétie se réalisera un jour. En attendant, c’est à toi que revient la tâche de veiller sur eux, afin que jamais la situation n’arrive au cas de figure que je vous ai décrit. Tu as déjà éloigné Esméralda ; je ferai en sorte que dès demain Arthur envoie Cornélius en mission loin de la Cour. Quant à Cuchùlainn…
Il jeta un regard vers le plus vieux des chevaliers.
- … sa voie est toute tracée : je vais m’atteler à préparer un filtre d’amour qui brisera ses dernière réticences envers Guenièvre. Après quoi, ce sera à Arthur de faire ce qu’il croit juste.
Morgane frissonna.
Merlin avait tout calculé, tout prévu pour que la Prophétie ne s’accomplisse pas dans les temps à venir. Avec l’aide du vieux druide, elle déplaça les corps des chevaliers et les allongea sur le lit avant de quitter la pièce, laissant Merlin préparer le filtre pour Cuchùlainn…

Perdue dans ses souvenirs, Morgane sursauta en entendant la voix de Niniane la rappeler près d’elle :
- Et qu’est-il advenu de Merlin et de la Prophétie ?
- Merlin est mort il y a des années, maintenant, terrassé par un homme qui a eu vent de la Prophétie quelques temps plus tard… le destin a voulu qu’il échoua sur les rives du Lac et que je fasse sa rencontre… Il s’appelait Rémy Lebeau…
Morgane rougit en prononçant le nom du meurtrier de Merlin. Niniane s’en aperçut.
- N’est- ce pas celui qui est resté un an parmi nous, il y a trente ans ? Et c’est d’ailleurs la nuit du rituel qu’il a disparu de l’île !
- Tu as bonne mémoire, Niniane… Peu de temps avant sa mort, Merlin rédigea trois parchemins dans lesquels il dissimula la Prophétie ; afin que personne jamais ne tente de modifier le cours des choses. L’un de ces trois parchemins se trouvait ici, en Avalon, auprès de la Coupe et de la Lance…
- Se trouvait ?
- Lebeau l’a emporté avec lui lors de sa fuite. J’ai passé des années à le chercher dans le monde des hommes, durant sept ans je ne suis pas rentrée ici. Jusqu’au jour où il revint à moi. Je lui ai demandé de me restituer ce qu’il nous avait volé, mais il ne l’avait plus. Un autre homme s’en était emparé. C’est cet homme qui aujourd’hui nous recherche, Esméralda, Morrigann et moi…
Les dernières paroles de Morgane restèrent en suspens. Les deux femmes demeurèrent ainsi un moment là, à contempler les flammes danser dans la cheminée.
Ce fut Morgane qui la première rompit le silence :
- L’an dernier a eu lieu un événement qui me fait croire que la Prophétie va bientôt se réaliser. Le seul moyen dont je dispose pour empêcher cela d’arriver, est de retrouver Lebeau. Lui seul me conduira à celui qui détient le parchemin d’Avalon. Seul, il n’est d’aucune utilité, mais si par hasard il parvient à regrouper les trois, alors le monde court à la catastrophe…
- Tu vas donc repartir ?
- Je le crains.
Niniane soupira.
Une fois déjà Morgane avait quitté Avalon pour le monde des hommes, et elle avait mis trois ans pour en revenir, blessée et fatiguée.
Niniane sentit les mains de Morgane se poser sur sa nuque :
- Il est tard, amie. Nous nous reverrons demain.
Ces paroles signifièrent à Niniane qu’il lui fallait prendre congé de la Dame du Lac. Lentement elle se leva et s’inclina devant la Prêtresse qui lui rendit son salut :
- Bonne nuit, Ma Dame.
Et elle quitta la maison pour disparaître dans la nuit.
Demeurée seule, Morgane se reversa une coupe de vin et s’assit dans le fauteuil en face de l’âtre. Il lui fallait une fois de plus quitter Avalon, et une sensation étrange l’oppressait.
Elle vida sa coupe d’une traite et contempla encore le feu qui dévorait les bûches en silence…
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15 décembre 2005

fin du premier chapitre C O R N E L I U S à la Tour d'Argent

Ambassade d’Espagne, Paris, le même soir…

Le lent défilé des voitures officielles touchait à sa fin.
Depuis neuf heure ce soir, les invités de l’Ambassadeur se succédaient les uns aux autres. Une à une, les limousines déposaient devant le perron des appartements privés de l’Ambassadeur des personnalités de tous horizons : hommes d’affaires, ministres, personnalités diverses du gotha et autres invités de marque.
Et depuis neuf heure ce soir, Antonio Vargas accueillait dans le hall les invités et leurs épouses.
Tout le monde avait répondu présent pour fêter l’anniversaire de Vargas et la soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices.
Les meilleurs traiteurs de la capitale avaient été sollicités, et chacun avait rivalisé d’ingéniosité et de finesse pour que le banquet soit inoubliable. Bien entendu, quelle meilleur vitrine que la réception d’un Ambassadeur pour s’attirer la clientèle haut de gamme et redorer ainsi un blason souvent terni par la concurrence et la croissance moribonde !

Debout au pied de l’escalier du perron conduisant au péristyle de l’entrée, trois voituriers se pressaient d’aligner les véhicules dans la cour d’honneur de l’Ambassade ; tandis que sur chacune des marches, des soldats en tenue d’apparat formaient une haie d’honneur tout aussi somptueuse qu’impressionnante.
Un peu en retrait se tenaient deux hommes en costume sombre, oreillettes et holster, qui ne perdaient pas une miette du balai des voitures. En liaison permanente avec leurs collègues à l’entrée de l’Ambassade, ils semblaient attendre un véhicule en particulier. Soudain, le message leur parvint et la mise en place du dispositif se renforça.
La voiture présidentielle entra dans la cour d’honneur.
Prévenu par le responsable de la sécurité, Vargas sortit sur le perron et accueillit à sa sortie de voiture le président de la République ainsi que son épouse.
Après la poignée de main protocolaire, les deux hommes s’embrassèrent et gagnèrent la grande salle où la réception allait commencer.
Le Président et Vargas entrèrent dans la grande salle principale, entièrement décorée à l’exacte de la grande galerie des glaces du château de Versailles. L’orchestre interrompit son morceau et un tonnerre d’applaudissement salua l’entrée du chef d’état et de son hôte…

*

Tony Perez traversa le hall d’un pas pressé. Il marqua un arrêt devant une glace et vérifia son nœud papillon.
Lorsqu’il obtint l’assurance que sa tenue était irréprochable, il entra dans le salon.
Des couples dansaient au son d’une valse de Strauss. Du regard il balaya la foule à la recherche de l’Ambassadeur. Il le trouva assis à sa table en compagnie du Président et de son épouse. Il parvint à se frayer un chemin jusqu’ à la table en évitant les danseurs qui le bousculaient en riant.
Vargas remarqua l’arrivée de Perez et son attitude s’assombrit. Il s’excusa auprès de son hôte et se leva de table.
Perez précéda Vargas jusque dans un petit salon mitoyen où quelques personnes fumaient le cigare en sirotant des pur malt.
- Pardon de vous interrompre, monsieur, mais j’ai des nouvelles de Strasbourg…
Vargas jeta un rapide coup d’œil circulaire et murmura entre ses dents :
- Pas ici… convoque Sanchez et Méridà et retrouvez-moi à mon bureau dans un quart d’heure ; le temps de me débarrasser de l’autre imbécile.
Perez hocha la tête et se fondit à nouveau dans la foule tandis que Vargas regagnait sa table.
- Veuillez me pardonner, mais les impondérables ne souffrent malheureusement d’aucun retard.
- Ne vous excusez pas, ami, lui répondit le Président en regardant le cadran de sa montre. De toutes les façons il est temps pour nous de vous quitter : je pars demain matin en voyage officiel et mes bagages ne sont pas prêts.
- Permettez que je vous raccompagne, dans ce cas…
Les deux hommes se levèrent et Vargas fit se lever l’épouse du Président. Le chef du protocole fit signe à l’orchestre qui joua une marche le temps pour eux de quitter la salle de bal sous les applaudissements des convives.
Vargas glissa un mot au chef du protocole :
- Je m’absente quelques instants ; je ne serai pas long.
- Mais monsieur, votre gâteau ne va plus tarder à présent !
- Eh bien gardez-m’en une part ! Et ressortez du champagne. Je veux que tout le monde s’amuse, ce soir !
Et il laissa le chef du protocole à ses jérémiades pour rejoindre le Président…

*

- Bon voyage, mon ami. J’espère vous revoir bientôt.
- Cette soirée était délicieuse, Antonio, lui répondit le Président tandis que l’Ambassadeur refermait la porte de la limousine.
Vargas fit un signe de tête à l’un des agents et l’ordre fut donné d’ouvrir les portes de la cour.
Le Président, fenêtre ouverte, adressa une dernière poignée de main à son ami avant de le saluer alors que la voiture s’engageait lentement vers la sortie.
Vargas la regarda s’éloigner et lorsque les portes commencèrent à se refermer sur la limousine, il abandonna son sourire de circonstance et gravit les marches du perron pour s’engouffrer rapidement dans le hall.
Perez l’y attendait.
Vargas passa devant lui et les deux hommes empruntèrent un long corridor conduisant au bureau de l’Ambassadeur. Perez, plus petit que l’Ambassadeur, avait un mal fou à ne pas trotter pour suivre la cadence infernale imprimée par Vargas.
Lorsque les deux hommes entrèrent dans le bureau, deux autres personnes en tenue de soirée les y attendaient. L’un d’eux était assis dans un canapé de cuir et buvait un double malt ; le second se tenait debout près de la cheminée où une bûche achevait de se consumer. Il éteignit sa cigarette et s’approcha du canapé.
Vargas défit le nœud papillon de sa chemise et d’un pas toujours aussi rapide, se dirigea vers le bar pour se servir un whisky.
- Alors ?
L’homme assis sur le canapé prit la parole :
- Nous venons de recevoir l’information il y a une demi-heure, monsieur. Ils l’ont bien retrouvé, mais les choses ne se sont pas exactement passées comme vous l’aviez prévu…
Vargas, dont les gestes saccadés trahissaient son agacement, gagna son bureau et s’assit dans un immense fauteuil de cuir.
- Mais encore ?
- Il était seul. La femme n’était pas avec lui.
Vargas laissa échapper un juron.
- Impossible ! Elle devait être là ! Comment est-ce possible ?
Perez s’approcha du bureau, les mains dans les poches, et s’adressa à l’homme assis dans le canapé.
- D’après nos informations vous deviez trouver le couple à Strasbourg. Ils sont installés là-bas depuis un an.
- Depuis une semaine qu’on le piste on ne l’a jamais vue elle, répondit l’homme debout derrière le canapé. Je suis certain qu’elle n’est plus là-bas.
Vargas frappa le poing sur la table :
- Dans ce cas retournes-y et trouves-là, espèce d’incapable !
Les trois hommes sursautèrent devant la colère de Vargas. Sanchez se leva du canapé et s’approcha de la cheminée :
- Pour reprendre notre discussion, on a bien trouvé l’homme. Mais il ne savait rien de ce que nous cherchons. Nous l’avons attrapé à la sortie d’un restaurant et nous l’avons drogué selon vos ordres. Mais l’interrogatoire n’a rien donné.
Et se tournant vers Vargas :
- J’ai torturé bon nombres de prisonniers depuis des années : il ne savait rien.
Vargas avait écouté Sanchez, les deux mains jointes devant la bouche, renversé dans le fond de son fauteuil.
- Tu as employé l’imparfait. Est-il mort ?
Méridà reprit la parole à son tour :
- C’est là que les choses se sont corsées. Après qu’ils lui aient crevé un œil il s’est évanoui. Ils l’ont détaché pour le descendre dans la cave ; et c’est à ce moment-là qu’il s’est réveillé…
Méridà ravala sa salive avant de poursuivre :
- Un seul en a réchappé… il disait que malgré les tirs et les balles il est resté debout. Il les a tous massacré…ce n’est qu’un coup de hache qui l’a stoppé. Notre homme a pu s’enfuir alors qu’il s’effondrait, la hache dans le ventre…donc je suppose qu’il est mort, en effet.
Vargas se leva :
- Il est mort sans nous avoir dit ce que nous voulions savoir…
Il s’approcha de Méridà et contempla les braises fumantes qui achevaient de se consumer dans l’âtre.
- Je ne sais pas si nous pouvons qualifier cette opération de franc succès, dit-il à Mérida en lui passant la main sur l’épaule. Mais tu as fait de ton mieux, et je t’en remercie…
Sur ces dernières paroles, Méridà se crispa et grimaça. Puis ses yeux s’ouvrirent et il dévisagea Vargas avec de l’incompréhension. Un mince filet de sang coula de la commissure de sa lèvre et sa vue se troubla.
Vargas lui souriait, tandis que son poignard transperçait l’abdomen de Méridà qui s’effondra lentement à ses pieds.
- … et voici ta récompense !
Mérida gisait sur le tapis devant la cheminée, les entrailles à l’air, baignant dans son propre sang.
Perez et Sanchez avaient suivi la scène sans bouger. Le premier était à présent livide, tandis que le second avait toutes les peines du monde à empêcher sa lèvre inférieure de trembler.
Vargas se pencha sur le cadavre et arracha la pochette de son veston pour essuyer la lame du poignard.
- Sanchez !
Sanchez sursauta en entendant son nom :
- Tu vas partir immédiatement à la recherche de la femme. Si lui ne sait rien, c’est forcément elle qui doit détenir ce que nous cherchons. Je te conseille vivement de la retrouver, mon ami. Après quoi tu l’amèneras devant moi, et je m’occuperai personnellement de la faire parler.
Sanchez tourna les talons et sortit du bureau à la hâte.
Une fois seuls, Perez se resservit un verre et en tendit un second à Vargas :
- Cette fois tu as fait fort, lui dit-il en désignant d’un signe de tête le cadavre de Méridà.
- Le message doit passer de façon claire et sans équivoque, répondit l’Ambassadeur en trinquant avec le responsable de la sécurité. Veille à me débarrasser de ça rapidement, s’il-te plaît…
Et sur ces mots il se dirigea vers l’immense bibliothèque qui occupait tout le mur du fond, derrière le bureau.
Il chercha du doigt un livre de cuir qu’il tira légèrement de son alignement. Une porte dérobée s’ouvrit alors derrière le bureau et Vargas entra dans une salle, suivi par Perez.
Derrière la fausse bibliothèque se trouvait en fait une bibliothèque tout ce qu’il y avait de plus réelle, composée de dizaines d’étagères contenant des milliers d’ouvrages. Une odeur de vieux papier chatouilla les narines de Perez qui se frotta le nez.
Au milieu de la pièce une table de chêne et des fauteuils, ainsi qu’une vitrine contenant deux parchemins soigneusement protégés de l’air et de la lumière.
Vargas s’approcha et contempla les deux parchemins, l’œil brillant :
- Vois-tu, Perez ; depuis des années je m’efforce de rassembler ici tous les ouvrages écrits de la main de l’homme, en espérant mettre la main sur ceci…
Il désigna de la main les deux parchemins qui dormaient dans la vitrine.
Perez les regarda et se tourna vers Vargas :
- Qu’est-ce que c’est ?
- L’un des plus vieux texte du monde, mon ami. Il s’agit du témoignage recueilli par Perceval le Gallois, Chevalier à la Cour du Roi Arthur, qui fut l’un des témoins privilégiés de la prédiction de Merlin.
Perez reconsidéra les parchemins avec attention : ils étaient en piteux état, et les caractères à moitié effacés par le temps, étaient dans une langue qu’il ne connaissait pas.
- Il y a une Prophétie dissimulée dans ce texte, et malheureusement il est incomplet. Cette Prophétie parle du jour de ma mort, et je veux savoir ce qu’elle dit, pour déjouer le sort de façon définitive !
- Et tu penses que c’est cette femme qui détient le texte qui te manque ?
Vargas sourit :
- Je ne sais pas si il s’agit d’un autre parchemin. Mais ce que je sais, c’est qu’elle connaît la seule personne qui connaît la Prophétie dans son intégralité… et je veux qu’elle me mène à elle. Je pensais qu’elle était restée auprès de Cornélius, après l’affaire de l’an dernier à Strasbourg, mais apparemment je me suis trompé. Mais si elle cherche à fuir, il n’y a qu’un endroit au monde où elle peut se réfugier…le seul endroit sur Terre dont j’ignore la position… c’est pourquoi nous devons la retrouver avant qu’il ne soit trop tard !
Perez reconsidéra une dernière fois les parchemins :
- Et que disent-ils ?
- Que le temps est venu pour les derniers d’entre nous de se montrer enfin…

*

En ce jour de chasse, Hugues de Payens, Duc de Champagne et son compagnon Cornélius Reitter filaient en tête de la troupe menée par le Seigneur d'Artois, invité par Hugues, et guidée par les chiens du château.
Tous s'étaient rassemblés à l'aube au château de leur hôte et après avoir embrassé sa Dame, Hugues de Payens avait ordonné le départ d'une chasse au cerf qu'il voulait mémorable et grandiose, tant en gibier qu’en émotions.
Depuis plus d'une heure maintenant les dix chiens avaient flairés la piste d'une bête qui leur avait échappé par deux fois déjà, et dont les traces fraîches semblaient indiquer que la bête cherchait à se diriger tout droit vers les limites nord du domaine Après la biche et le chevreuil capturés tantôt, La laie pistée par un petit groupe conduit par le Duc de Verquin, ce cerf ferait une prise magnifique, et ses bois orneraient la grande salle des banquets, témoignage d'un prestige tout à fait élogieux pour le maître des lieux. C'est dans ce but précis que Cornélius Reitter et son Maître s'étaient portés en avant de la meute de chasseurs, espérant prendre l'animal de face et lui couper définitivement la route..
Leur chevauchée durait, et les bêtes donnaient à présent des signes de fatigue. Aussi Hugues fit-il arrêter sa monture et la fit avancer au pas, imité par son compagnon. Ils se trouvaient au sommet d'un terre-plein qui dominait un petit bois touffu qu'il leur fallait traverser pour atteindre l'orée du grand bois. Le chemin de terre battue, souvent fréquenté par les vilains au service du Duc de Champagne, était désert.
Hugues de Payens montra le chemin s'enfonçant dans le bois à son ami:
- Vois, Cornélius. Si nous voulons lui tomber dessus, nous devons prendre ce sentier. Il n'est guère fréquenté à cette heure et nous y trouverons le calme nécessaire pour un bon 'affût.
- Puisse Dieu t'entendre, noble Seigneur, lui répondit Cornélius en donnant un coup de talon dans les flancs de son cheval.
Les deux cavaliers s'engagèrent lentement dans la forêt.
- C'est drôle, commença Cornélius; cette forêt ressemble à s'y méprendre à celle qui conduisait au château de mon père, à Fehmarn...
Hugues de Payens sentit la pointe de mélancolie qui transparaissait dans ces propos:
- Penses-tu souvent à ton pays, lui demanda-t-il; te manque-t-il beaucoup ?
- Nul ne peut se déclarer de pierre à l'évocation du doux nom de sa terre natale, lui répondit Cornélius avec le sourire. Oui, ma patrie me manque, mais ta présence en ces terres me fait un peu oublier cet exode.
- Tu pourras rester ici aussi longtemps que tu le désireras. Ce fut là la volonté de feu ton père, et je me dois d'honorer sa dernière volonté. Il fut un vaillant compagnon et un guerrier des plus téméraires... que Dieu bénisse son âme, acheva-t-il en se signant respectueusement.
- Comment vous êtes vous connu, déjà?
- C'était il y a longtemps; tu n'étais encore qu'un enfant lorsque nous combattions les ennemis de son royaume Nous nous sommes souvent venus en aide et toujours nous avons répondu présent lorsque l’un appelait l’autre à son secours.
- Ne te raille point ainsi de moi, lui lança Cornélius en même temps qu'une petite accolade: tu n'es point si vieux que cela! Tu m’inventes encore un conte. Non, je t’en prie, cesse de te moquer et dis-moi...
Mais Hugues de Payens avait soudain levé le bras, signe qu'il intimait le silence. Il porta la main à son épée, tout en scrutant les feuillages de la forêt touffue et dense. Cornélius, un court instant amusé par l'attitude que prenait son ami, saisit l'intensité de son regard: Hugues avait peur de quelque chose, ou de quelqu'un.
- Que se passe-t-il? Demanda-t-il en s'approchant de son Seigneur.
- Nous ne sommes pas seuls.
- Sont-ce nos compagnons qui arrivent? Je n'entends ni les chiens ni les galops de leurs montures!
- Ce ne sont pas des nôtres, reprit calmement Hugues de Payens. Ecoute-moi; rebrousse chemin et rejoins les autres chasseurs. Quoi qu’il advienne, ne reviens pas sur tes pas.
Cornélius se redressa sur sa monture:
- Il n'est nullement question de t'abandonner ici. Je reste à tes côtés pour...
- fais ce que je t'ordonne!
Cornélius se tut.
Il dévisagea Hugues et put lire dans ses yeux une détermination qui ne souffrait aucune discussion. Que diable pouvait donc avoir ressenti le Duc de Champagne pour le mettre dans cet état de tension extrême?
Soudain un bruit se fit entendre et trois silhouettes tombèrent des arbres. Une saisit au vol la bride de la monture de Cornélius, le désarçonnant, tandis que les deux autres se ruèrent sur Hugues de Payens. Ce dernier tira son épée de son fourreau et tenta de leur livrer bataille. Mais sa position délicate rendait sa tâche difficile.
Deux autres bandits surgirent d'un buisson et se ruèrent sur l'homme à terre. D'un bond, Cornélius parvint à se rétablir et à son tour tira son épée de son fourreau. Il livra bataille et embrocha l'un de ses deux assaillants. Il leva son épée et s'apprêta à frapper le second lorsque il se figea, le regard incrédule. L’adversaire qui se dressait devant lui, lui fit perdre tous ses moyens.
Il ne pouvait s'agir de la personne que lui reflétaient ses yeux.
Elle ne pouvait être ici.
C’était matériellement impossible, à moins qu’il ne s’agisse d’un spectre.
Devant lui se tenait une femme, une jeune voleuse dont les cheveux blonds tombant sur ses épaule,s encadraient un visage où la beauté contrastait avec une extraordinaire dureté du regard.
Ses yeux...
Lorsqu’il croisa son regard, un étrange sentiment s’empara de lui. Il était persuadé de la reconnaître. Mais c'était impossible: c'était il y a plus de treize ans! Ce ne pouvait être la même femme qui...
- Vous...finit-il par réussir à bredouiller. C'est impossible!
C'est alors qu'elle le reconnut.
Même si elle ne souffla mot, il put lire l'expression de surprise qui se dessinait sur son visage. Elle se souvint de l'enfant qui avant jadis sauvé un de ses Louveteaux d'une mort certaine, lui épargnant la torture.
- Esméralda...
Il avait prononcé son nom comme on aurait prononcé une prière, avec cette ferme conviction d'y croire, sans pour autant en avoir de preuve tangible. Mais ses yeux se contractèrent tout à coup et il sentit le fer de la dague de la voleuse s'enfoncer dans ses entrailles. Il ne poussa aucun cri, aucun hurlement de douleur. Pourtant celle-ci lui vrillait le cerveau. Il s’affaissa lentement, et de ses mains agrippa la taille de la jeune femme.
- Pourquoi, Esméralda? Si c’est bien toi, alors pourquoi...
Sa vue se troubla et il s'effondra sans connaissance à ses pieds. Elle ne put détacher son regard de la dague maculée de son sang.
- Pardonne-moi, beau Seigneur, mais il le fallait… Tu t’es trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment.
Elle demeura un court instant figée devant ce corps dont la vie s’échappait et les yeux arrivant sur le sang que maculait la dague.
Mais le cri du Duc de Champagne la sortit de sa torpeur:
- Non! Par le Diable! Cornélius!
Cornélius! Son nom, elle aurait pu le prononcer sans même l'avoir entendu de la bouche d'Hugues de Payens.
C'est alors qu'elle remarqua les cadavres de ses compagnons. Ils avaient tous été occis par la lame du chevalier, et à présent son tour était arrivé .Elle se tint droite et essuya sa dague avant de la rengainer.
- Je suis Cuchùlainn MacDatho de Leinster, fils de Deichtine et de Mébn Tir Inna M'Béo...et toi, qui es-tu?
- Je suis Esméralda Villa Lobos, voleuse et fière de l’être...
Elle s'empara de l'épée d'un de ses malheureux compagnons.
- Ainsi donc il semblerait que nos deux corps aient ressenti le même phénomène. Tu sais comme moi ce que cela signifie, n’est-ce pas ?
- Oh que oui, trop bien, même… mais le destin a voulu que tu sois ma prochaine victime, voleuse.
- Tu as tué mes braves compagnons en un rien de temps, remarqua-t-elle. Tu dois être extraordinairement fort, Cuchùlainn. Mais je suis douée moi aussi, bien que très jeune de tes semblables.
- Tu as tué mon compagnon de sang froid, maraude! Tu dis que nous sommes pareils? Non pas: nous sommes juste frères de part notre condition. Je n’ai rien en commun avec toi.
- Notre combat n'était pas le sien. Celui qui m’a appris ce que je dois savoir me l’a enseigné. Il m’a aussi mis en garde contre les humains aux yeux desquels je devrai toujours dissimuler mon pouvoir. Tu ignores le nombre de personnes que j'ai déjà vu mourir alors que moi je ne changeais pas. Connais-tu seulement la douleur qu’on peut ressentir en sachant que tant qu’il n’en restera pas qu’un sur cette terre, nous serons condamnés à traverser les siècles et à combattre pour survivre !
Cuchùlainn ferma les yeux, les mains crispés sur la lame de son épée:
- Oh que si...je connais trop bien cette douleur, assez pour condamner ceux qui tuent trop tôt. Mais aujourd'hui tu vas mourir...et à mes yeux ce n’est là que justice. Certes les humains ne doivent jamais rien savoir de notre combat et de ses motivations, mais il est aussi de note devoirs de ne jamais leur dévoiler notre présence. Et si d’aventure l’un d’entre eux venait à nous découvrir, il existe d’autres façons de le dissuader de raconter à quiconque ce qu’il aura découvert. Mais assez parlé : en garde!
Il se mit en position tandis que la voleuse en fit de même. La tension était montée d’un cran, et les deux protagonistes s'apprêtaient à se livrer un combat à mort.
- Ta tête sera mienne, j'en fais le serment! Bien que tu sois fort, tu vas découvrir que moi aussi je sais me battre.
- Détrompe-toi, il n'est pas encore né celui qui me tuera!
Cuchùlainn leva son épée qui s'abattit lourdement sur la lame de la jeune femme. Le combat allait commencer. Mais c'est à ce moment que les deux se figèrent, tenaillés par un sentiment étrange.
Leurs regards se tournèrent vers les corps allongés sur le chemin.
La sensation qui les avait étreint quelques minutes auparavant se faisait à nouveau ressentir.
L'un des corps était à genoux et tentait de se relever.
Cornélius ressuscitait des morts.
Cuchùlainn ne quittait pas des yeux l'extraordinaire résurrection de son ami, tout en épiant du coin de l’oeil les gestes d'Esméralda.
La jeune femme, tout aussi surprise que son rival, se ressaisit rapidement et préféra s'enfuir, attrapant la bride d'un cheval et montant celui-ci avant de le lancer au galop à travers les bois.
- Attends !
Cuchùlainn ne savait trop si il devait l’arrêter ou se porter auprès de son ami, qui crachait à présent du sang et de la bile.
Finalement il laissa s’enfuir la voleuse qui se tourna subrepticement afin de s’assurer qu’aucun des deux ne cherchait à la courser et disparut dans les bois.
Cuchùlainn se porta au secours de Cornélius qui toussait en se tenant le ventre .
Sa main appuyée sur son abdomen couvert de sang, il grimaçait de douleur. Cuchùlainn lui écarta doucement la main. La blessure avait presque entièrement disparue.
Alors il comprit.
Cornélius Reitter, fils du Roi Artémus Reitter de Fehmarn, venait de renaître à la vie, et ce pour l'éternité…
Il poussa un profond soupir, et adressa un regard plein de bonté à celui qui le dévisageait comme s’il voyait Dieu en personne…