24 novembre 2005

Et Petit Paul dans tout ça ?!

Eh ben Petit Paul en a vu de belles ces derniers temps : Otite, laringite, sans parler de ces séjours à répétition chez le médecin alors que maman était en stage de formation BAFD, on peut dire qu'il est victime des maux de l'hiver...
Pour corser le tout, première visite chez le coiffeur ! Je vous raconte pas le carnage pour les oreilles : après une colère dantesque et une comédié digne des plus grands oscarisés de l'âge d'or du Cinéma, on a réussi à le rafraîchir comme il se devait.
Le résultat parle de lui-même...
ASTONISHING X-MEN #13 enfin le voilà !!!



Ils nous l'avaient promis, ils l'ont fait : Joss WHEDON et John CASSADAY, tous deux accaparés par leurs travaux respectifs et leurs agendas titanesques, nous reviennent avec une nouvelle série de 12 épisode de LA série X du moment. Je n'ai pas encore eu la chance de feuilleter ce que beaucoup attendaient outre-atlantique avec plus de ferveur encore que le retour du Messie, mais mon cousin J.P qui vit au pays des comic's ( pas de sous-entendu...) aura apprécié, je pense...
Bref, Album et Pulp's pour nos proches parisiens et strasbourgeois (que mon pays me manque...) se seront approvisionnés d'ici à la semaine prochaine, et je crois qu'une petite incursion en capitale va s'imposer d'elle-même.
POUR LES FANS DU GRAAL !
Ca y est ! le cycle du Graal de Jean MARKALE, oeuvre référence pour tous les amoureux de l'épopée Arthurienne et du chant moyen-âgeux, est enfin disponible pour presque pas un rond dans les bonnes librairies. J'ai Lu a également édité les 8 volumes sous une forme plus classique, dont voici un aperçu du tome 5.
A posséder si des zones d'ombre persistent dans votre quête du Graal.

Specheul dédicace pour Morgane Pendragon : voici ce qu'il reste de Tintagel...
MON LIVRE DU MOMENT

LES BRUMES D'AVALON - les Dames du Lac, T2


ce n'est pas du tout neuf, mais c'est une valeur sûre. Si vous ne connaissez pas ces ouvrages de M. ZIMMER BRADLEY, fonçez en librairie et évadez-vous... grande source d'inspiration pour les écrits.

LA QUESTION EXISTENTIELLE DU MOIS

LES schtroumpfs ONT-ILS DES CHEVEUX ?

NON ! Eh bien non, les schtroumpfs n'ont pas de cheveux. Preuves dans l'album N°1 les schtroumpfs noirs, et le N°7 l'apprenti schtroumpf, où on voit clairement deux schtroumpfs sans bonnet, et parfaitement lisses.
Il est des questions existentielles qui méritent des réponses...
prochainement : les Schtroumpfs ont-ils un trou de balle ( méfiez-vous, j'ai la réponse en image ... )
ou encore : qui se souvient de KUM-KUM ?

16 novembre 2005


JOUR FASTE : j'ai retrouvé un ami !

Aujourd'hui j'ai lu avec le plus grand plaisir un message de quelqu'un que j'ai perdu de vue depuis très longtemps, à mon grand dam et avec regret. Mais les aléas de la vie nous jouent parfois ce genre de tours...
Je ne dirai pas son nom ici,mais cette petite icône fera sans doute réagir ceux qui le connaissent également...
CUCHULAINN EN CHAIR ET EN OS !!!

Beaucoup m'ont déjà posé la question après lecture de ma nouvelle : qui est ce Cuchùlainn de Fer et de Sang qui m'a inspiré ce pamphlet ?
La réponse, la voici, sous vos yeux :

Eh oui, le"père" de Cuchùlainn c'est lui. C'est lui qui lui a donné chair et âme;au moins autant que moi, car sans lui jamais ce livre n'aurait vu le jour. Encore un immense merci pour tout.

JE NE SAURAI TROP VOUS RECOMMANDER DE FEUILLETER LES PAGES D' ASSUETUDES NUMERIQUES, SON BLOG; l'un des plus complet et des plus technique sur le sujet qu'il m'ait été donné de trouver sur la toile...

15 novembre 2005

EPILOGUE


Florence et Morrigann avaient aperçu de la plate forme des chapelles, la manifestation du Quickening. Morrigann n’avait pu retenir ses larmes, tant la tension et l’angoisse étaient devenues insurmontables.
Florence était aussi désemparée que son amie. Elle avait déployé des trésors de persuasion pour retenir Morrigann près d’elle, car plusieurs fois la jeune femme avait souhaité rejoindre son fiancé dans la montagne…
A présent elles contemplaient le lever du soleil qui montait lentement sur la plaine, la débarrassant du voile terne de la nuit. Assises sur un banc de pierre entre la chapelle des Larmes et la chapelle des Anges, elles attendaient. Un signe. Une présence. La délivrance…

Esméralda sortit du cloître et poussa la lourde porte qui donnait sur l’esplanade. Elle repéra les deux femmes et descendit les quelques marches du perron.
Morrigann sentit sa présence et se retourna aussitôt.
Elle vit que la voleuse avait le sourire aux lèvres.
Partie quelques instants plus tôt aux nouvelles, elle avait tenté de joindre Lebeau sur son portable ; sans succès. Alors elle décida d’aller à leur rencontre.
Mais une fois hors des murs du couvent, elle s’était sentie incapable de poursuivre son chemin, terrassée par l’angoisse de ce qu’elle risquait de trouver sur le plateau…
Maintenant elle était de retour…Morrigann lui adressa un regard de supplique, et pour toute réponse, la voleuse s’effaça pour les laisser entrer sur l’esplanade à leur tour.

Cuchùlainn le premier fit son apparition sur les marches de grès rose, suivi de son ami Cornélius.
Florence vit Morrigann se précipiter vers Cuchùlainn et le serrer dans ses bras, laissant une nouvelle fois son émotion prendre le pas sur la raison. Rejointe par Esméralda, elle chercha Lebeau du regard ; il arriva quelques instants plus tard.
Soulagée de voir que le chef de la Guilde des Voleurs était vivant lui aussi, elle s’adossa contre la rambarde de sécurité ; son cœur bondissait dans sa poitrine.
Lebeau s’approcha des deux voleuses en souriant.
Florence lui demanda sur un ton qu’elle voulait dégagé:
- C y est, c’est fini ? On peut rentrer chez nous ?
Lebeau l’embrassa sur le front:
- Oui, chère; c'est fini...du moins pour le moment.
Cuchùlainn et Morrigann, enlacés, les rejoignirent. Le celte posa sa main sur l’épaule de Florence:
- Merci de tout ce que vous avez fait, toutes les deux...sans vous, jamais cette victoire n’aurait été possible…
Comme il avait changé ! Son visage était marqué par son combat ; ses traits étaient plus prononcés. On aurait dit qu’il avait vieilli de dix ans. Pourtant son regard était resté le même. Mais c’était comme si une formidable énergie émanait de chacun de ses gestes.
Lebeau se tourna vers lui et leurs regards se croisèrent:
- C’est à toi seul que revient tout le mérite; tu as su replonger dans ton passé, chercher dans ses méandres les secrets du Fer et du Feu. Tu es redevenu l’espace d’une forge le Fils de Crom...de ton abnégation est née cette épée qui t’a menée sur la voie du triomphe. Désormais tu es Cuchùlainn, de Fer et de Sang. Pour toujours.
Cornélius hocha la tête en signe d’assentiment.
- tu as triomphé cette fois encore. Mais ce combat laissera des traces, pour toi comme pour nous tous…
Un lourd silence accueillit cette déclaration. Cornélius avait raison : désormais les règles étaient changées, la Tradition avait été bafouée…
- Reinhardt aura été aveuglé par le chagrin et la haine, soupira Lebeau en brisant le silence...
- Qui sait comment nous aurions réagi à sa place ? S’interrogea Cornélius.
Morrigann serra Cuchùlainn par la taille:
- Personne ne le saura jamais. En tout cas, ne perdons jamais de vue le caractère sacré de certaines choses. Que la folie ne l’emporte jamais sur l’amour...Reinhardt est mort pour avoir enfreint les règles sacrées établies depuis la nuit des temps. Si comme lui nous ne craignons plus de braver les interdits, alors nous condamnerons ce monde à vivre dans le chaos.
Cornélius serra Esméralda par les épaules:
- N’oublions jamais ce qui s’est passé ici cette nuit. Pour que jamais cela ne se reproduise…
Esméralda consulta sa montre:
- Eh! Il est sept heures passées ! Et on a encore rien mangé ! Je commence à avoir les crocs, moi !
Lebeau sentit son ventre gargouiller.
- Bonne idée, ça ! Après, je propose une sieste pour tout le monde !

Ils entrèrent dans le déambulatoire et gagnèrent le réfectoire où un petit déjeuner les attendait.
- Cool, il y a même le journal, remarqua Morrigann en prenant place.
Elle le déplia, lut le gros titre et éclata de rire. Puis elle fit passer le journal à Cuchùlainn qui sourit:
- Eh bien mon vieux, s’adressant à son vis-à-vis, tes gars n’ont pas perdu de temps…
Lebeau s’empara du journal et découvrit la une:
Vol au musée du Louvre - un tableau de Michel-Ange disparaît...
- Mais que fait la police ?
Des rires fusèrent autour de la table.
- Buvons à la réussite de mon ami le voleur, proposa Cuchùlainn en levant son bol de café.
- A nous tous, fit Florence. Et à notre avenir !
Lebeau leva son verre :
- A Samuel Goldberg…
Un froid tomba sur la petite assemblée.
- A tout ceux qui ont perdu la vie pour une cause qui n’était pas la leur…
Cornélius leva à son tour son verre, sans mot dire ; imitée par toute la tablée.
Le soleil était maintenant bien haut dans le ciel.
Cette journée s’annonçait fort belle.


Assis dans la petite chapelle où le tombeau de Sainte Odile brillait à la lueur des bougies, Cuchùlainn méditait.
Il avait laissé Morrigann dormir d’un sommeil profond dans leur chambre, et s’était éclipsé sans bruit jusqu’en cet endroit propice au recueillement et à la méditation.
Ils avaient fait l’amour pendant presque tout l’après-midi, et il avait ressenti le besoin de se rendre auprès du tombeau d’Odile alors qu’il regardait sa belle fiancée s’endormir à ses côtés.
Il repensa à son duel...il s’était battu sur un sol sacré, et dans son coeur, il ne valait pas mieux que Reinhardt.
Tout de mélangeait en lui ; le bien, le mal, la vengeance, la justice…Il ne parvenait pas à démêler ces sentiments contradictoires, se demandant comment trouver à nouveau la paisx après une nuit comme celle-ci…
Cuchùlainn était donc là en proie à ses démons intérieurs, lorsqu’il entendit une voix caverneuse raisonner autour de lui.
Il sursauta en l’entendant l’appeler par son nom :
- Pourquoi es-tu si triste, Cuchùlainn ?
Il se leva et chercha du regard la personne qui s’était adressée à lui. Mais la chapelle était déserte.
- Pourquoi ce chagrin, mon fils...
Cette fois il reconnu la voix. Mais il ne pouvait en croire ses oreilles; cette voix semblait ressurgir d’outre-tombe.
Cette voix venait de lui, de son esprit.
C’était celle de Conchobar !
- Tu n’as pas à regretter ton acte, mon fils. Je t’ai enseigné que dans bien des cas il fallait enfreindre les lois sacrées, oser s’aventurer par-delà la muraille, et aller jusqu’au bout de soi-même.
- J’ai souillé la terre de mes pères avec le sang d’un homme dont je réclamais vengeance...
Ces mots avaient été prononcés à voix haute, comme si il ressentait le besoin de confesser ses actes, désireux d’obtenir une rédemption qui peut-être ne viendrait jamais.
- Tu as fais ton choix. Désormais, cette terre est un tombeau; celui de l’ancienne loi. Tu as fait naître un Ordre nouveau, Cuchùlainn...la mort qui y a planté ses griffes s’en est allée sitôt ta victoire consommée. Demeure en paix, mon fils...tout est accompli.
- Conchobar…
Mais la voix s’était tue.
Il ne restait plus que lui et le sarcophage de Sainte-Odile.
Il comprit alors que son coeur était vide comme ce tombeau, et que seul l’esprit de son défunt Maître avait pu lui apporter la paix intérieure. Il se sentit tout ragaillardi par les paroles du Sage Druide, et il sortit de la chapelle, le sourire aux lèvres.
Il n’était plus Cuchùlainn le parjure, mais bien Cuchùlainn le Gardien de l'Ordre nouveau.
Désormais plus rien ne serait comme avant pour les Immortels…


L’enquête de gendarmerie autour de l’agression des pèlerins par un individu inconnu piétinait. Tous les occupants du couvent avaient été interrogés, y compris les deux jeunes femmes qui s’étaient enfuies, terrorisées par l’homme à l’épée. Aucun témoignage ne permit d’identifier l’individu qui demeurait introuvable…

Ce même jour eurent lieu les obsèques du Lieutenant Samuel Goldberg, mort en service, assassiné par un inconnu sans signalement ; en présence du Ministre de l’Intérieur, des hauts fonctionnaires de l’Etat, de sa veuve et de son fils…

Aucun lien ne fut fait entre les deux affaires.
De même que les poursuites furent abandonnées contre Frédéric Maisongrande. Mais le dossier restait ouvert et l’enquête sur ces combattants à l’épée ne faisait que commencer…



Le vent s’était levé et les cimes des arbres dansaient au rythme des rafales.
Cuchùlainn, Cornélius, Lebeau, Morrigann et Esméralda s’étaient rassemblés sur le site de l’ancien cimetière mérovingien, à quelques kilomètres du couvent.
Trois jours s’étaient écoulés depuis le combat victorieux de Cuchùlainn… Florence était repartie sur Colmar, d’où elle déménagea pour retourner auprès des siens à la Nouvelle-Orléans, conformément aux ordres laissés par Lebeau…

Les cinq se tenaient en cercle autour du tumulus où jadis reposait le corps de Conchobar, l’ancien mentor et maître de Cuchùlainn.
Le tombeau avait été nettoyé, vidé des eaux de pluie et des feuilles mortes qui le tapissaient, et au fond sur les dalles de pierre, reposait maintenant un sarcophage de fer et de bronze, enveloppée dans un linceul couleur sable.
Cuchùlainn avait tenu à rendre à la Terre sa fabuleuse épée Tir Inna M’Béo, arrachée aux entrailles de la pierre par Reinhardt.
Et quel meilleur lieu pour offrir à la Déesse, mère de toute chose, que celui où reposait ses anciens amis…
A genoux au pied du tombeau, Cuchùlainn murmurait, les yeux clos, une prière à la Terre.
- Tir Inna M’Béo, Déesse de la Terre nourricière, accepte cette offrande sacrée; qu’elle retourne à la terre dont elle est issue, qu’elle la rendre fertile et féconde. Qu’elle devienne un instrument de paix et de justice, pour toujours.

Cornélius et Esméralda se tenaient debout près de lui, juste derrière Morrigann. Un peu en retrait, Lebeau assistait à la scène, un cigare éteint entre les lèvres.
Cuchùlainn ouvrit les yeux et se releva.
Puis il s’inclina une dernière fois avant de se tourner vers ses amis :
- Voilà…tout est accompli. Les choses sont rentrées dans l’ordre, à présent.
- Parle pour toi, mon ami !
Tous s’étaient tournés vers Lebeau qui craquait une allumette afin d’allumer son cigare :
- Rien ne sera plus comme avant, maintenant que la Tradition a été brisée. Plus aucun de nous ne sera à l’abri nulle part !
- Craindrais-tu pour ta vie, Lebeau ? Le railla Cornélius en se défaisant de l’étreinte d’Esméralda.
- Tu ferais bien de t’en préoccuper, toi aussi. Tu n’es pas invincible, loin de là…
- Veux-tu que je te le prouve, sale voleur ? Lui demanda t’il, les mâchoires serrées et le poing crispé, prêt à en découdre.
Esméralda s’interposa :
- Ca suffit, vous deux !
Cornélius lui lança un regard froid :
- Il t’a mêlé à toute cette affaire, sans se soucier de ce que tu risquais ! Manipulateur comme à chaque fois…
- J’ai choisi, Cornélius ! Je fais parti de la Guilde des Voleurs, et à ce titre…
Lebeau l’arrêta :
- La paix, Esméralda ! Si Cornélius me cherche, il me trouvera. Cette histoire ne te concerne pas.
Morrigann regarda Cuchùlainn : le moment était venu pour lui de mettre un terme à cette querelle. Il s’approcha de Cornélius et lui prit le bras :
- Tu connais Lebeau comme moi, ami…nous sommes habitués à s sa manière d’agir.
- Ce n’est pas pour autant que je cautionne, surtout lorsqu’il s’agit d’Esméralda.
Le cajun cracha par terre avant de reprendre son cigare :
- Tu ne m’as jamais vraiment porté dans ton cœur, n’est-ce pas, Cornélius, et si mes souvenirs sont bons, ça ne date pas d’hier !
- Je ne m’en suis jamais caché. Je t’ai aidé parce que Cuchùlainn avait des ennuis, pour rien d’autre.
- Dans ce cas, je sais ce qui me reste à faire. Puisque je ne suis plus le bienvenu…
Tournant les talons, il jeta son cigare contre le tronc d’un chêne.
Esméralda tenta de le rattraper :
- Rémy, attend !
Mais Morrigann la retint par le bras :
- Laisse-le partir.
La voleuse se tourna vers son amie :
- quoi ?
- Tu connais sans doute Rémy mieux que nous : tu sais qu’il reviendra tôt ou tard. Mais ce qu’il a dit est vrai. Nous ne serons plus en paix nulle part, maintenant.
Cuchùlainn regarda le voleur gagner le parking où l’attendait sa BMW.
- Il part comme il est revenu : sans explication ni compte à rendre…
- Il m’en doit, à moi ; rétorqua Cornélius tandis que le moteur de la BMW se fit entendre. Mais je règlerai ça une autre fois, lors de notre prochaine rencontre…
Et les quatre amis quittèrent le cimetière en silence. Alors qu’ils entamèrent le chemin du retour vers le couvent, chacun repensait aux paroles de Lebeau :

« Plus personne n’est à l’abris, désormais… »

Le spectre de la Rencontre, ultime confrontation entre les derniers pour le Prix, planait au-dessus d’eux, telle une épée de Damoclès…

En passant le long de la route, Cuchùlainn regarda avec mélancolie un petit tombeau à moitié dissimulé sous les racines d’un tilleul. Cornélius s’approcha.
- C’est ici que j’ai enterré Braaz, lui dit Cuchùlainn en désignant le sarcophage vide...c’était un Druide courageux et audacieux. Il t’aurait plu, j’en suis sûr. C’est le centurion Honorius qui l’a décapité sous mes yeux.
Cornélius regardait lui aussi les dalles de pierres qui délimitaient le sépulcre.
- J’ai repensé à Reinhardt...tu sais, il n’était pas différent de nous. Seules la vengeance et le chagrin l’ont rendu fou. Autrefois il n’était pas comme ça...Lui et Lebeau ont vécu quelques temps en France avant qu’il ne se suicidât et qu’il devienne Immortel. Je crois qu’il a eu un immense honneur en tombant sous tes coups, et si tu veux mon avis, il en était conscient.
Cuchùlainn regarda son ami; il s’alluma une cigarette, les yeux fixés sur le trou où jadis reposait Braaz.
- Peut-être...nous ne le saurons sans doute jamais...excepté au jour de la Rencontre, lorsque le vainqueur recevra le Prix.
Puis en dévisageant son ami:
- Tu y penses souvent, toi, à la Rencontre ?
Le géant et lui recommencèrent à marcher vers le parking où les deux jeunes femmes les y attendaient.
- Non, j’essaye de ne pas trop y penser...mais une aventure comme celle-ci donne à réfléchir.
- Cornélius, au dernier jour...prendras-tu ma tête ?
Cette question, le géant aurait souhaité ne jamais avoir à y répondre. Il la redoutait depuis le jour où il avait rencontré Cuchùlainn MacDatho et qu’une amitié était née entre eux.
Il sourit cependant en regardant son compagnon:
- Allons! Ne sois pas idiot! Ce serait plutôt à moi de te poser la question...
- Sincèrement...
- Sincèrement ?
Cornélius redevint grave.
- Sincèrement, je souhaite que ce jour n’arrive jamais.Mais si un jour nos chemins se croisent à nouveaux, tu peux être sûr que l’amitié guidera nos pas comme il en a toujours été jusqu’ici.
- Nous reverrons-nous, mon ami ?
- L’avenir seul peut nous le dire...mais c’est à nous de le construire, à nous et à nous seuls.
Arrivant en vue du parking, il reprit:
- Pense à Morrigann; vous avez un bonheur à construire, tous les deux ; alors cesse de te préoccuper de ce qui risque d’arriver et vis ta vie! Tu n’en as qu’une, et elle est bien plus courte que tu ne le penses…
Sur ces paroles, le silence s’installa à nouveau entre eux.
Il rejoignirent leurs compagnes et entreprirent de retourner au couvent…



Ce matin-là, Cuchùlainn s’était levé à l’aube. Il avait quitté la chambre sans réveiller Morrigann et avait quitté le couvent, avec pour tout bagage une besace de cuir qu’il portait en bandoulière.
La brume peinait à se lever, retenue par les branches des sapins trempés de rosée.
Cuchùlainn avait rejoint le chemin qui longeait le mur païen et atteint le carrefour du rocher du Canapé.
Repérant le sentier qui menait à l’endroit où il désirait se rendre, il marchait d’un pas sûr.
Tout autour de lui la forêt s’éveillait doucement. Les chants des oiseaux se faisaient entendre dans les branches des chênes alentours. La lumière du jour voilée par le rideau de brume commençait à percer le voile qui se dissipait par endroits, réduisant le manteau à de petites nappes vaporeuses…

Cuchùlainn marchait ainsi depuis quelques minutes lorsqu’il s’arrêta tout à coup, en proie à un étrange malaise. Tout autour de lui, plus aucun bruit ne lui parvint, et il sentit une présence près de lui.
C’est alors que sur le chemin devant lui apparut une silhouette noire.
D’abord floue, elle se matérialisa plus nettement devant Cuchùlainn. Il s’agissait d’une femme à n’en pas douter ; une femme aux longs cheveux d’ébène et au visage pâle. Un croissant de lune bleu était dessiné entre ses sourcils ; elle portait une robe de laine noire, serrée à la taille par une ceinture de cuir où pendait une petite faucille d’or.
Cuchùlainn reconnut alors l’apparition.
Mais bien que la jeune femme se tenait devant lui, il se rendit compte qu’elle paraissait presque immatérielle : à travers son corps se devinait le chemin et les arbres qui le bordaient.
Cuchùlainn s’inclina devant la femme :
- Dame Morgane…
La forme s’inclina à son tour :
- Cuchùlainn…
La rencontre en cet endroit était surprenante. A mille lieux d’Avalon, la Dame du Lac, grande prêtresse et Immortelle, usait de sa magie pour le contacter ici.
Pourquoi ?
- Un grand danger nous menace, Cuchùlainn, reprit Morgane d’une voix blanche. Le sceau s’est brisé et la Prophétie du Crépuscule va s’accomplir.
Cuchùlainn fronça les sourcils :
- De quoi parles-tu ?
- Il est en route, celui qui provoquera la Rencontre. Il a ouvert le Livre des Secrets et lu la Prophétie. Désormais, nous sommes tous en danger.
La silhouette de la Fée commença à se dissiper. Cuchùlainn fit quelques pas dans sa direction :
- Morgane, attend ! Quelle prophétie ? De quel danger parles-tu ?
- Voici le temps où j’appelle à moi mes enfants…
Le visage de Morgane devint alors transparent. Elle leva les mains en direction de Cuchùlainn qui ressentit soudain une violente douleur lui vriller les entrailles.
Il tomba à genoux, terrassé par la douleur.
- Tu vas oublier notre rencontre, Cuchùlainn MacDatho…mes paroles ne te reviendront que lorsque la Prophétie s’accomplira. En attendant ce jour, oublies…
Une bourrasque de vent souleva la poussière et le sable ; Cuchùlainn se protégea les yeux, et lorsque le vent retomba, il observa la forêt autour de lui :
Le chant des oiseaux lui parvenait très nettement, et il se demanda ce qu’il faisait à genoux par terre, seul sur le chemin.
Il eut beau faire appel à ses souvenirs, il ne parvint pas à trouver la raison de son malaise.
Aussi reprit-il sa marche en accélérant le pas…

Arrivant en vue de la grotte des Druides, il serra la besace de cuir contre son côté.
Après avoir passé la forge, il remonta en direction des ruines du mur païen sui s’étendait au-dessus de lui.
Là il posa son sac et commença à scruter le mur à la recherche de l’endroit qui le satisferait.
Quand enfin il trouva, il sortit de sa besace un objet rond enveloppé d’un drap blanc. Il le découvrit et laissa la lumière se refléter sur un crâne d’une blancheur immaculée.
Après avoir aménagé une cavité sommaire dans le mur, il y déposa le crâne et recula, satisfait de son geste.
Puis il le stabilisa avec de petits cailloux et rassembla ses affaires, prêt à faire demi-tour. Jetant un dernier regard en direction du crâne, il sourit.
- Repose en paix, Walter Reinhardt…
Au loin, le soleil commençait inonder la plaine.
Cuchùlainn hâta le pas en direction du mont Sainte-Odile…





Commencé le 13 février 1993
Achevé le 21 septembre 2005

13 novembre 2005

Avant-dernier chapitre...

Reinhardt freina en voyant les premiers panneaux annonçant la fermeture de la route conduisant au Mont Sainte-Odile.
Mais au lieu de rebrousser chemin, il descendit de voiture, et attrapant un des panneaux, le lança en contrebas, dans un des lacets qu’il avait emprunté pour monter jusqu’ici.
- Quelle ruse grossière…tu me prends vraiment pour un demeuré, Mac Datho !
Un sourire narquois se dessinait sur son visage: ah, il avait bien organisé sa retraite, ce chien. Isolé sur un sol sacré, à l’abri de toute tentation et du monde extérieur, il avait dû se préparer en vue d’un éventuel affrontement ! Rodrigues avait raison quand il vantait les qualités morales de son futur adversaire...
Reinhardt remonta à bord de sa voiture dont il fit crisser les pneus avant de foncer dans les panneaux restants.
Un violent fracas de métal froissé accompagna sa percée, et l’allemand continua sa montée vers le couvent.


Tentant de s’accrocher à ce qu’il pouvait tandis que Cornélius les faisait valdinguer d’un bout à l’autre de la voiture, Lebeau criait dans son téléphone:
- Ma soeur, il est très important pour moi de joindre cette jeune personne ! Voulez-vous bien me la faire chercher, s’il vous plait ? Chambre 8…
Mais par trois fois déjà sa demande avait essuyé un refus catégorique:
- Ces deux jeunes femmes sont ici pour le repos de leurs âmes, et pour goûter un peu de sérénité, m'ont-elles dit. Nous nous sommes par ailleurs engagées à ne jamais nous occuper de la vie privé de nos hôtes, quels qu'ils soient ! Je suis désolé pour vous, monsieur Lebeau mais il est hors de question que j’interrompe leur pèlerinage, surtout à une heure aussi avancée!
- Je vous en prie, au nom de Dieu, supplia le cajun; elles courent un grand danger, laissez-moi les prévenir !
Mais la soeur haussa elle aussi le ton en entendant le parjure de Lebeau:
- Reprenez-vous, monsieur ! Je ne vous permets pas de jurer et d’invoquer le nom de notre Seigneur à des fins purement personnelles...
- Il s’agit bien de ça maintenant, bougonna le cajun en jetant un regard noir dans le rétroviseur à l’adresse d’Esméralda qui esquissait un sourire à l’idée de voir son chef de Guilde, respecté et craint par tous les voleurs, se faire tenir tête par une petite vieille au téléphone.
- Je vous demande juste de les prévenir qu’un danger les menace ! Accordez-moi au moins cette grâce !
- Pour la dernière fois, je vous répète que nous nous sommes engagées à ne pas nous occuper...
-...de la vie privée, et gnangnangnan et gnangnangnan !
Lebeau jeta le téléphone de rage contre la boîte à gants et se tourna vers Cuchùlainn.
- Rien à faire; on n’arrivera pas à les joindre avant que Reinhardt n’arrive là-haut ! Saleté de bigote!
- T'en fais pas, on y sera bientôt, lui répondit Cornélius en accélérant dans les premiers lacets.
- Oui, mais ralentis quand même un peu, je te prie...
Esméralda attira l’attention de son compagnon sur un objet qui reflétait la lueur de ses phares au milieu d’un lacet:
- Ralentis, on te dit ! Je ne sais pas ce que c’est, mais à mon avis ça n’a pas sa place sur la chaussée...
La voiture s’arrêta et Lebeau se pencha par-dessus la portière:
- C’est un des panneaux interdisant l’accès au couvent. Il a du dégringoler d’un des lacets plus haut...pourvu qu’il ne soit pas déjà trop tard ! Fonce, mon vieux!
- C’est parti, accrochez-vous!
Cuchùlainn agrippa l’appuis tête du siège de Lebeau lorsque la voiture se mit à sursauter.
Esméralda reconnut la manière de son ami de prendre les virages de manière très sèche, et de manquer plusieurs fois de les précipiter dans le ravin. Mais par chance, les pneus semblaient coller à la route.
Bientôt ils arrivèrent en vue des panneaux écrasés par le passage de Reinhardt.
- J’avais raison, maugréa Lebeau. Il est déjà arrivé.
- Encore quelques minutes et nous serons au couvent, un peu de patience !
La voiture passa devant un petit croisement entre le chemin de terre qui conduisait les marcheurs au mur Païen.
- Stop !
Cuchùlainn ordonna à Cornélius d’arrêter la voiture, ce qu’il fit d’un coup de frein à main.
- Tu as vu quelque chose ? Demanda Esméralda.
Cuchùlainn saisit son épée et se leva:
- Je vais monter par le GR, lança-t-il à Lebeau. Comme ça j’aurai plus de chance de le coincer s’il compte se rendre à la grotte des Druides ! J’y serai probablement avant vous. Montez au Couvent et si jamais il y est, rabattez-le vers moi. J’espère que Morrigann aura eu la présence d’esprit de se rendre à la grotte !
Et sans attendre de réponse de son ami, il sauta du véhicule en marche.
Après un salto, il parvint à se réceptionner sans mal sur le macadam.
Surpris lui-même de sa performance il entama l’ascension de la montagne, laissant les deux voleurs et l'Immortel continuer leur route…

La lune perçait à travers les arbres, et Cuchùlainn salua cette faible lueur qui allait le guider dans son ascension. Il pu ainsi distinguer le sentier qui serpentait entre les racines et les buissons de myrtilles.
A cet endroit du GR, la montée était assez sèche, et Cuchùlainn commençait à transpirer.
Le poids de l’épée qu’il tenait fermement à la main ne se faisait pas encore trop sentir, mais il savait que cela ne tarderait pas.
Soudain, il perçut une forme qui se dessinait au milieu du chemin, sous les sapins : il reconnut le Kiosque Jadelot.
Encore une petite dizaine de minutes et il serait au Maënnelstein.
La porte du Kiosque était fermée de ce côté du chemin. Cuchùlainn longea les murs octogonaux jusqu’au balcon qui donnait sur l’ouest et la montagne endormie. Il enjamba le balcon et traversa le kiosque pour ressortir sur la partie la plus pentu du chemin.
- Allez, mon vieux : t’y es presque, s’encouragea t-il en reprenant sa course.
Le visage de Morrigann l’obsédait. La peur qu’il lui soit arrivé malheur décupla ses forces et il accéléra encore dans la montée...



Florence entendit des pneus crisser sur le parking.
Elle s’approcha de la fenêtre, surprise de constater la présence d »’une voiture à cette heure-ci, alors que normalement la route avait été barrée par Lebeau.
Elle avait tout d’abord songé à un éventuel retour de son chef ou de Cuchùlainn, mais le bruit inhabituel la fit très vite changer d’avis: même pressé, Lebeau ne faisait jamais un tel boucan en stationnant sa voiture: il tenait trop à ses pneus !
La jeune femme écarta doucement le rideau et sursauta: un homme venait de sortir une épée de son coffre de voiture, et il se dirigeait à présent vers la porte du couvent.
Par chance, les soeurs la fermaient à partir de minuit les soirs de saison, pour éviter toute surprise désagréable pendant la nuit. Cela lui laissait un temps de répit, songea-t-elle.
Elle s’approcha du lit où dormait Morrigann. Se penchant vers elle, elle lui secoua les épaules :
- Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Sursauta Morrigann en se redressant ?
Elle se frotta les yeux embués par le sommeil:
- Florence ? Que se passe-t-il ?
- Il est arrivé ! Je crois qu’il nous cherche...habille-toi en vitesse, il faut qu’on décampe d’ici avant qu’il nous trouve !
- Qui, il ?
- Ton archéologue.
- Reinhardt est ici ? Mais alors, il a...
Florence la coupa, s’interdisant toute pensée négative:
- Ca veut dire que les garçons ne l’ont pas encore rencontré, rien de plus pour le moment. Allez, viens! Il faut qu’on déguerpisse au plus vite.
Morrigann ferme les yeux et se concentra. Pourquoi ne percevait-elle pas sa présence ?
Florence ouvrit la porte de la chambre et se mit à l’affût du moindre bruit inhabituel. Soudain un cri perçant la fit sursauter : elle se retourna et vit Morrigann en transe.
- Le sortilège ne me protège plus ! Constata la jeune femme en se levant. Il va me sentir si il vient par ici !
Les deux jeunes femmes quittèrent la chambre et s’enfoncèrent dans la pénombre du couloir.
Morrigann empêcha Florence d’allumer un des minuteurs du couloir, et se frayant un chemin dans l’obscurité elles descendirent au rez-de-chaussée par l’escalier.
Arrivées à la porte qui fermait l’aile qu’elles occupaient, Florence fit tourner le loquet en espérant qu’il ne fut pas fermé à clé. Par bonheur, il n’en était rien, et elles se retrouvèrent dans la cour des Pèlerins.
Le bruit de l’épée de Reinhardt contre la porte de bois du porche fit sursauter Morigann qui s’approcha de Florence:
- Et maintenant, on va où ? Il nous coupe toute retraite en dehors de l’enceinte du couvent!
- Viens ! On file vers les chapelles !
Emboîtant le pas à son amie, elle couru en direction de la petite porte située entre l’église et la grande salle des Pèlerins, qui donnait sur le cloître.
De là, elles pourraient entrer dans le déambulatoire et ressortir par derrière, vers la chapelle des Larmes et la chapelle des Anges.
Le bruit de martèlement avait réveillé des adorateurs perpétuels qui passaient la semaine au couvent, et des cris d’indignation et de colère se firent bientôt entendre. Deux pèlerins étaient descendus, armés de bâtons ramassés dans la cour, et se dirigeaient vers le portail. Mais lorsqu’ils arrivèrent sous le porche, ils n’eurent pas le temps d’esquiver la garde de l’épée de Reinhardt qui vint s’écraser sur leurs crânes.
L’archéologue regarda un instant les corps s’affaisser sur les pavés, puis il reprit sa folle course en direction des chambres des pèlerins…

Florence essaya d’ouvrir la porte du déambulatoire.
Fermée!
- Il est rentré ; annonça Morrigann qui se concentrait pour tenter de localiser Reinhardt sans que lui ne parvienne à la détecter. C’est le moment de filer d’ici !
- Pour aller où, tu as une idée ?
- La grotte des Druides ! Je suis sûre que Cuchùlainn nous y retrouvera.
Florence la rejoignit:
- En espérant que ce ne soit pas lui qui nous retrouve avant ! Allons-y...
Respirant un grand coup, les deux jeunes femmes s’élancèrent à travers l’esplanade.


Reinhardt ouvrait d’un coup de pied toutes les portes du premier étage de l’hôtellerie, rencontrant des tonnerres de reproches et des jurons, en alsaciens pour la plupart.
Mais les esprits se calmaient très vite à la vue de l’arme que l’étranger tenait dans sa main droite. Lorsqu’ils le virent, certains pèlerins assez âgés se sentirent mal, et l’un d’eux faillit avoir une crise cardiaque en voyant la silhouette de l’allemand se dessiner dans l’encadrement de la porte de sa chambre.
Il arriva en vue de la chambre numéro huit. Mais il ne s’y rendit pas; la porte était entrebâillée, les deux femmes avaient dû prendre la fuite.
Rageant, il se mit à courir dans le couloir lorsqu’il s’arrêta soudain devant une fenêtre donnant sur la cour: il eut juste le temps d’apercevoir une ombre entrer sous le porche et qui filait en direction de la sortie. Rebroussant chemin, il traversa le couloir et entra dans ce qui fut leur chambre, il ouvrit la fenêtre en cassant un carreau.
Il les vit courir vers le chemin conduisant au mur Païen.
Un sourire naquit sur ses lèvres dans sa barbe :
- Courez, mes jolies...vous ne m’échapperez pas ! Je sais où vous vous rendez, et j’y serai pour vous attendre !
Il sortit de la chambre d’un pas rapide, mais sans courir, visiblement sûr de lui…


Morrigann et Florence arrivèrent au pied du gigantesque rocher au sommet duquel démarrait le chemin de Croix, et derrière lequel des vestiges du mur Païen étaient éparpillés suite aux aménagements effectués pour la commodité des visiteurs et l’aménagement d’un parking.
- Stop, souffla Florence, je suis claquée ! On fait une pause !
Morrigann se retourna:
- Pas question ! Il est peut-être juste derrière nous, on en sait rien ! Il faut continuer jusqu’à la grotte ; là-bas, on se reposera ! Encore un peu de courage.
- Justement, on ne sait pas si il nous court après.
- Ce n’est pas une raison pour lui laisser de précieuses secondes...allez !
Elle prit la main de son amie, et toutes les deux continuèrent à courir.
Mais au bout d’une centaine de mètres ce fut Morrigann qui s’arrêta; elle fit signe à Florence de ne pas bouger et de ne plus faire de bruit.
- On s’arrête, alors ? Hoqueta t’elle entre deux soupirs.
- Chut...
Une légère brise soufflait dans les branches des arbres, mais Morrigann était persuadée d’avoir entendu le bruit d’un moteur de voiture.
- Peut-être qu’il s’en va...lui souffla Florence. Il renonce…
- Non, le bruit semble monter vers le couvent, plutôt...
- Tu dois confondre avec le vent, lui dit son amie. En route !
- Oui...
Les deux femmes passèrent devant les rochers géants qui marquaient le début du mur continu jusqu’au Maënnelstein; Florence se retourna une dernière fois, mais elle n’entendit plus que le vent dans les feuillages.
- Tu sais où on va ?
- On va couper à travers le sommet de la montagne, en passant par le rocher du canapé. C’est un raccourci.
Emboîtant à nouveau le pas à Morrigann, Florence se remit en marche, peinant à trouver son souffle…


- Là ! C’est sa voiture ! Cria Esméralda en arrivant sur le parking du couvent. Je la reconnaîtrai entre mille: c'est bien celle qui m'a dépassée tout à l'heure !
Lebeau sortir de la voiture tandis que Cornélius vint se ranger à droite de celle de Reinhardt.
Esméralda sauta par-dessus bord et les trois entrèrent sous le porche. Lebeau manqua de trébucher sur les deux corps des pèlerins étendus sur le sol. Il se pencha pour examiner les blessures lorsque Cornélius le rejoignit.
- Ils n’ont pas de commotion, apparemment, diagnostiqua le cajun à l’adresse d’Esméralda qui se pencha à son tour sur les corps. On les a assommé, de toute évidence. Je te les confie, soigne-les bien et préviens tout le monde de rester enfermé, y compris les sœurs.
- Ok, et j’irai m’excuser pour toi auprès de la soeur que tu as eu au téléphone.
- C’est ça...
Au passage, elle embrassa fougueusement Cornélius qui l’éteignit de toute sa force.
- Sois prudent, toi...
- Fais-moi confiance, voleuse...
- Bon, on file, grand ! Ordonna Lebeau à l’adresse du géant blond.
Esméralda resta seule avec les deux blessés alors que les deux hommes quittaient à leur tour le couvent en direction du Maënnelstein.

Ils se retrouvèrent sur le parking et Lebeau s’arrêta pour réfléchir:
- Voyons...si j’étais Florence, et que Reinhardt me pistait...par où irais-je ? Vers la fontaine ? Non...c’est bien trop dangereux de nuit...en plus, on est visible de trop loin...
Il se tourna vers Cornélius:
- Elles sont parties à la grotte des Druides.
- Dans ce cas, elles ont dû passer par le sentier des grands rochers...elles mettront au moins une demi-heure avant d’y arriver.
- Morrigann connaît le raccourci du rocher du canapé. Reinhardt, j’en doute.
- Allons-y !
Ils s’élancèrent sur les traces des fugitives, persuadés qu’ils avaient raison.
Mais Rémy fit soudain volte-face, retourna à la voiture d’Esméralda et s’empara de Tir Inna M’Béo.
Elle pesait lourd, et il ne se vit la transporter que sur son dos. Aussi déchira-t-il son trench coat pour en faire des bandes qu’il noua les unes aux autres avant d’attacher l’épée de son ami en bandouillère.
- On nous l’a déjà piqué une fois, faudrait pas qu’ ça se renouvelle ! Cuchùlainn a pris avec lui l’épée qu’il vient de forger, mais je suis sûr que celle-ci nous sera utile...
- Laisse-là moi, lui dit Cornélius. J'aurai moins de mal que toi à la transporter !
Sur ces mots, le grand blond s'empara de l'épée qu'il plaça sur son dos à côté de la sienne.
- C’est vrai qu’elle est lourde. Bien, on est parti ?
- On est parti !
Cette fois-ci, ils coururent pour de bon en direction de la grotte des Druides.

Quelques adorateurs perpétuels portèrent assistance à Esméralda pour porter les deux blessés dans la salle des Pèlerins.
Des soeurs, alertées de ce qui se passait au sein de leur couvent étaient venues les rejoindre; et à présent on administrait les premiers soins aux deux malheureux.
Esméralda se tenait à l’écart.
Après leur avoir expliqué succinctement la situation, elle laissa les soeurs s’occuper de tout le monde, et elle quitta la salle des Pèlerins.
Les gendarmes avaient été appelés, et ils ne tarderaient pas à arriver au couvent. Si possible, la jeune femme préférait autant que possible ne pas avoir à faire à eux.
Elle entra alors dans l’église où se trois adorateurs priaient en silence leur tranche horaire avant de se faire relever par d’autres des leurs.
La jeune femme se signa et marcha doucement le long de l’allée centrale.
Puis elle bifurqua vers un des autels des saints auxiliaires, et s’arrêta devant un chandelier au pied d’une statue représentant la Vierge tenant l’enfant Jésus.
Elle sortit une pièce de monnaie de la poche de son blouson et la glissa dans la fente du tronc prévu à cet effet. Le tintement de la pièce attira l’attention d’un des adorateurs qui retourna aussitôt à sa méditation.
La jeune femme aurait très bien pu se contenter d'allumer une bougie, mais elle avait toujours respecté le caractère sacré de la religion, bien que par sa vie et ses activités elle ne soit pas amenée à fréquenter beaucoup d'églises.
Esméralda alluma donc un cierge qu’elle déposa sur le présentoir. Puis elle ferma les yeux et dit en murmurant:
- Notre Dame des Voleurs Perdus, protégez votre enfant...
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle eut l’impression que sa bougie brûlait plus fort que les autres, comme si elle attirait à elle les autres petites flammes dont les lueurs dansaient sur le mur.
Elle resta là, assise dans l’église silencieuse, à regarder brûler sa bougie, et attendant l’issue de la bataille.
Quelques instants plus tard, elle s’endormit sur le banc de l'église, épuisée nerveusement par cette folle nuit.
Un des pèlerins venu remplacer les trois adorateurs enleva sa veste et couvrit ses épaules pour ne pas qu'elle prenne froid.



Florence et Morrigann avaient ralenti leur course, fatiguées. Elles marchaient à présent d’un pas rapide.
Morrigann scrutait la forêt, et il lui sembla que les arbres commençaient à se clairsemer. Bientôt elles arrivèrent en vue de la clairière qui devançait le rocher du Maënnelstein.
Elles étaient en sécurité, maintenant.
- On y est ! Cria Morrigann. Je vois le Kiosque. Une fois là-bas, il ne nous faudra pas plus de dix minutes pour rejoindre la grotte. Courage !
- Ici ce sera bien, protesta Florence en reprenant son souffle et en désignant le kiosque. On va s’y planquer et souffler un peu. Après on se dirigera vers la grotte des Druides, mais pour l’instant il faut que je me repose.
Gagnées par l’euphorie et le sentiment qu’elles étaient désormais à l’abri de tout danger, elles cessèrent de courir pour marcher vers le kiosque en tentant de ralentir leur respiration.
Soudain, Florence prit le bras de Morrigann et s’arrêta:
- Regarde là-bas, on dirait qu’il y a quelqu’un devant le kiosque...
Une silhouette se tenait debout sur le rocher.
De loin, et la nuit, aucune des deux ne parvenait à distinguer de qui il pouvait s’agir. Morrigann ressentit l’Accélération:
- Je suis sûre que c’est Cuchùlainn. Il nous a trouvé ! Fred, c’est nous !
- Attends ! Ne cours pas...
Trop tard; la jeune femme courait vers son fiancé en appelant son nom.
Florence poussa un cri en voyant l’épée dans la main de l’homme. Sa forme...
Ce n’était pas celle de Cuchùlainn.
L’homme était trop grand pour être Cuchùlainn.
Florence comprit trop tard qu’elles venaient de tomber dans les mains de celui qu’elles avaient cherché à fuir.

Morrigann s’immobilisa brusquement en reconnaissant l’homme qui se tenait debout sur le rocher. Tétanisé par le choc, elle ne pouvait plus faire un pas de plus; Florence la rejoignit, et toute deux se tinrent la main.
L’homme éclata de rire, un rire qui raisonna dans la nuit et qui fit frissonner les deux femmes.
- Bonsoir, mesdemoiselles...je suis très content de vous voir...et de vous revoir, chère Oriane. Cela faisait longtemps, vous ne trouvez pas ? Quelques jours, me direz-vous, mais que sont deux jours en comparaison d’une éternité à attendre celle qui fait battre votre coeur ?
La jeune femme se ressaisit:
- Pas assez longtemps à mon goût, assassin !
Reinhardt se défendit:
- Assassin, moi ? Comme vous y allez ! Je n’ai à ma connaissance encore tué personne ! Et si vous vous tenez à carreau, je ne pense pas commencer cette nuit !
Florence s’avança:
- Comment avez-vous fait pour arriver ici avant nous ?
- Je connais les mille et un sentiers de cette montagne. Apprenez que vous avez perdu une vingtaine de minutes à prendre le chemin des grands rochers...moi, je me suis contenté de couper par le sentier du souvenir...surprises ?
- Pas vraiment, répondit Florence avant d se tourner vers Morrigann:
- File pendant que je l’occupe, murmura-t-elle.
- Pas question de te laisser seule avec lui, s’indigna-t-elle. Tu rigoles ou quoi ?
Reinhardt s’avança vers les deux femmes qui firent quelques pas en arrière:
- Toi, la brune, je n’ai rien contre toi, tu peux partir...c’est la femme du Barbare que je veux !
Florence serra les poings:
- Et puis quoi encore, une pipe ? Si tu crois que je vais m’en aller et laisser mon amie toute seule, tu rêves !
Reinhardt s’approcha d’elle et la gifla, l’envoyant chuter lourdement sur le sol. Morrigann se jeta sur lui en criant:
- La touche pas! Si c’est moi que tu veux, je suis là ! Ne la touche plus jamais sale monstre !
L’allemand lui saisit le poignet gauche et le tordit de façon à lui arracher un cri de douleur.
- Voilà qui est mieux, murmura-t-il d’une voix mielleuse à l’oreille de la jeune femme. Tu vas enfin payer mon tribut, que j’attends depuis des siècles ! Tu vas mourir comme est morte Charlotte des mains de ton amoureux...
Il la jeta violement sur le sol, à côté de Florence qui se tenait la mâchoire. Il contempla les deux femmes et se remit à rire:
- Seule et sans arme…avant que tu meures, je voudrais savoir comment tu as fait pour que je ne te reconnaisse pas lors de notre entretien devant la Cathédrale.
Morrigann esquissa un sourire ironique :
- J’ai été élevée en Avalon… un sortilège de protection m’a jusqu’ici dissimulée à tous.
Reinhardt ricana :
- Mes compliments…puisque je n’ai pas réussi à tuer Cuchùlainn, j’aurais au moins la satisfaction de le priver de ce qu’il m’a ôté. Et ta magie sera mienne, sorcière! Que ton sang se mêle à celui de Charlotte…
Levant son épée vers le ciel, il s’apprêta à la guider vers le cou de Morrigann dans un râle féroce, à moitié couvert par les cris de détresse des deux jeunes femmes.
- Il ne peut en rester qu’un…
Son geste sur arrêté par une pierre lancée sur sa tempe. C’était Florence.
Il se précipita sur la jeune femme et la frappa du revers de son épée, l’abandonnant inconsciente sur le rocher.
- Voilà pour toi, salope…
Puis il revint vers Morrigann et s’apprêta à l’immoler sur la pierre humide du Maënnelstein.
Mais au moment de frapper, il s’immobilisa, et tourna la tête en direction du kiosque.
Il venait de ressentir la présence d'un autre Immortel.
C’est alors qu’une voix se fit entendre:
- Reinhardt ! Arrête, espèce de lâche ! Une fois encore tu profanes un sol Sacré !
L’allemand s’écarta des deux femmes et vit s’approcher une silhouette qui sortit de l’ombre des arbres:
- On dirait que je vais enfin pouvoir achever ce que j’ai commencé, fit il en souriant. Approche, Lebeau, je t’attends !
Derrière le cajun se tenait Cornélius.
- Je vois que tu n’es pas venu tout seul…
Cornélius s’avança vers Reinhardt qui s’éloigna des deux femmes. Morrigann se releva péniblement et vint s’abriter derrière le géant. Ce dernier se pencha sur le corps inanimé de Florence. Constatant qu’elle reprenait ses esprits, il dégaina son épée et fit signe à Lebeau:
- Elles ne craignent plus rien, à présent. Fais ce que tu as à faire et finissons-en.

Florence se releva, aisée par Morrigann. Un mince filet de sang coulait de sa tempe bleuie, et elle reconnut Lebeau.
Ce dernier s’approcha d’elle tout en gardant un œil sur Reinhardt et il posa la main sur son épaule. La jeune femme la lui serra de toute ses forces et vint se blottir contre sa poitrine. Elle pleurait.
Lebeau considéra Cornélius dont la massive silhouette les recouvrait de son ombre protectrice, puis il la regarda avec la tendresse d'un père retrouvant sa fille saine et sauve.
Refusant de se laisser troubler par l’étreinte de la jeune voleuse, il s’en défit et l’examina rapidement:
- Tu peux marcher ? Lui demanda-t-il doucement.
- Je crois que ça va aller...
- Bien, dans ce cas, retournez vite au couvent; Esméralda vous y attend. Elle vous protègera en cas de danger.
Morrigann dévisagea le cajun:
- Et toi, que vas-tu faire ?
Florence lui prit le visage entre ses mains:
- Tu ne vas pas te battre contre lui ? Oh non, Rémy...ce serait pure folie !
-Partez, cria-t-il sèchement à Morrigann. S’il-te plait, emmène-là avec toi et quittez cet endroit ! Elle devient hystérique et ça m’énerve.
Morrigann acquiesça. Ellela prit alors par les épaules:
- Florence, écoute-moi... Rémy sait ce qu’il fait...et Cornélius reste à ses côtés. Si nous restons, nous risquons de le déconcentrer...viens...
- Mais...
- Il ne mourra pas, je te le promets...il aime trop la vie, il reviendra victorieux de son duel. A présent laisse-le.
Florence accepta de suivre son amie à contrecoeur, laissant Lebeau et Reinhardt se mettre en garde pour leur ultime combat. Elles rejoignirent Cornélius qui ne quittait pas les deux hommes du regard.
- Partez, comme il vous l'a dit. Ici, vous ne nous serez d'aucune utilité, je le crains. Morrigann a raison, ce qui va se passer ici ne vous concerne en rien. Moi je vais rester, au cas où le vainqueur ne serait pas celui que nous espérons tous...
Florence dévisagea le colosse aux cheveux courts:
- Il va gagner, n'est-ce pas ?
Mais elle fut surprise par la froideur du regard de Cornélius.
- Rémy Lebeau est un Immortel des plus puissants. Seul l'avenir nous dira si cela suffira à lui assurer la victoire. Partez, maintenant...

Reinhardt fixait le chef de la Guilde des Voleurs dans les yeux.
A la faveur de la nuit, il avait de grandes chances de remporter son combat, habitué à se mouvoir dans l’obscurité. Il serra la garde de son épée contre son poignet fermé sur son manche et leva sa lame au ciel:
- Cette fois-ci, Lebeau, pas de fuite ni d’abandon ! Plus de Goldberg pour te sauver la mise. Tu mourras de mes mains!
- Et tu crois que cela ramènera Charlotte du pays des morts ? Tu es complètement fou, ma parole !
Reinhardt cria:
- Assez ! Ne souille plus ni son nom ni sa mémoire, espèce de sale bâtard !
Puis il se rua sur Lebeau à coup d’épée incisifs.
Parant tant bien que mal les assauts dont la puissance était décuplée par la rage, il se retrouva vite en mauvaise posture, subissant plus qu’il ne dominait. Mais il tenait bon.

Cornélius, l'épée prête à bondir, suivait le combat sans mot dire. Il constatait lui aussi les difficultés de Lebeau, mais se forçait à ne pas intervenir dans le duel à mort que se livraient les deux hommes.
Le cajun, qui parvenait à grand renfort d’esquives à se maintenir au niveau de Reinhardt, continuait de le harceler:
- Elle est morte, Walter, reprit-il en donnant un coup d’estoc qui fut détourné par la lame de son adversaire; on ne vit pas avec des souvenirs ! Elle était des nôtres, elle allait mourir un jour ou l’autre, comme nous ! Je te l'ai déjà dit, non ?
- Tais-toi ! Rugit-il en bavant de rage; ce soir, c’est toi qui vas donner ta vie pour elle !
Il recommença à attaquer Lebeau avec rage.
Les coups se mirent à pleuvoir sur la lame du voleur qui reculait imperceptiblement. Mais il revint à la charge en puisant dans ses réserves. Il parvint à esquiver un coup de front et à entailler le poignet gauche de son adversaire.
Reinhardt cria sur le coup, puis il lécha la plaie, s’abreuvant de son propre sang en riant:
- Pas mal, Lebeau...tu es l’un des rares qui soit parvenu à me toucher... et le dernier, je te le garantis!
Mais au moment où il s’apprêtait à riposter, un cri se fit entendre, stoppant net les deux combattants dans leurs assauts:
- Assez !
La voix venait de derrière Cornélius qui ne broncha pas. Il ferma les yeux et salua d'un geste de la main l'arrivée du nouveau venu.
- Enfin te voici...
Reinhardt s’immobilisa, tandis que Lebeau baissa sa garde.
- Ouf, tu arrives à temps, toi...
Cuchùlainn fit son apparition sur le rocher.

Florence s’arrêta et se retourna en direction du rocher du Maënnelstein.
Les bruits du combat avaient cessé, et l’angoisse s’empara de son esprit. Morrigann s’approcha d’elle et lui prit la main:
- Il est arrivé…Cuchùlainn est sur le rocher.
Florence vit qu’elle pleurait.

Cuchùlainn se tenait droit, sa nouvelle épée à la main.
Marchant doucement vers l’allemand, il vint se positionner juste devant son ami.
- Le sang a déjà trop coulé sur ces terres qui sont miennes...je ne tolèrerai pas qu’un de mes amis abreuve ce sol avec le sien.
Puis à l’adresse de Lebeau:
- Ce combat n’est pas le tiens, mon ami. Laisse-moi enfin régler mes problèmes.
Le cajun s’inclina, s’apprêtant à rejoindre Cornélius.
- Permets néanmoins que je reste. Je veux que ce combat soit loyal et sans tricherie. Aussi me porterai-je garant de l’intégrité de chacun. Cornélius et moi serons les témoins de votre affrontement.
Cornélius s'approcha à son tour.
- Je reste, moi aussi, afin d'assister à ce combat qui nous garantira enfin la paix, qu'elle qu'en soit l'issue. Nous veillerons à ce que plus jamais il n’y ait de danger pour personne...
Détachant l’épée qu’il avait dans le dos, il la tendit à Cuchùlainn en disant:
- Cuchùlainn MacDatho de Leinster, voici ce qui t’appartient !
Mais le Celte se contenta de répondre par un sourire.
Puis il se tourna vers Reinhardt:
- Cette épée est sacrée ! Elle porte le nom de la Déesse de la Terre, et celui de ma mère. En l’exhumant de sa châsse où elle devait reposer pour l’éternité, tu m’as offensé, ainsi que les Dieux qui veillaient sur son sommeil. Je vais devoir te tuer pour laver cet affront par ton sang.
Reinhardt se mit à ricaner:
- Oh, oh ! Cuchùlainn le valeureux accepterait de se battre sur un sol Sacré, enfreignant ainsi la Règle ! Pour une première, c’est une première !
- Tu as le premier renié ce principe élémentaire, plongeant ainsi les Immortels du monde entier dans l’insécurité et le doute. Par ta faute, nous ne serons plus en sécurité nulle part, car la Règle a été enfreinte. Mon épée sacrée est la seule digne de répandre ton sang sur cette terre souillée, afin de la purifier à jamais. Désormais ce monde ne connaîtra la paix que lorsque tu l’auras quitté.
-Assez parlé s’impatienta Reinhardt; venons-en au fait ! Cette nuit est ta dernière sur cette terre !
- Très bien !
Il lança sa nouvelle épée à Cornélius:
- Sa création ne fut pas une partie de plaisir...penses-tu qu’elle fera l’affaire ?
Le géant la soupesa et la lui rendit en souriant:
- Combat l’esprit tranquille.
Un lourd silence s’abattit sur la Bloss. Le vent suspendit son souffle, et les deux guerrier se mirent en position.

Demeurant à l’écart, devant l’entrée du kiosque, Lebeau croisa les bras et se prépara à suivre le combat de son ami.
Cornélius à son côté serra les poings, anxieux. Puis il sortit son épée de son fourreau et vint la planter en terre, juste devant lui. Il s’assit ensuite et entama une prière celtique en fermant les yeux.
Mais il ne tarda pas à les rouvrir lorsqu’il entendit le premier fracas des lames qui s’entrechoquèrent...
Ce fut Cuchùlainn qui frappa le premier.
La lame jaillit de son dos tel un éclair et vint s’abattre sur celle de Reinhardt qui para le coup avec difficulté. Puis s’en suivit un enchaînement d’attaques-parades de la part des deux combattants, sans qu’aucun des deux ne prenne l’ascendant sur l’autre.
Les lames s’entrechoquèrent, faisant jaillir des gerbes d’étincelles qui éclairaient faiblement l’ère de combat. Reinhardt ne paraissait pas émoussé outre mesure de son précédent duel, et Lebeau était impressionné par sa résistance.
La haine donnait un pouvoir considérable ; songea-t-il. Mais le prix n’est-il pas trop élevé…
Reinhardt parvint à bloquer la lame de son adversaire dans sa garde, et une épreuve de force opposa les deux hommes.
- Tu vas payer pour la mort de ma femme, lança-t-il à Cuchùlainn dont le visage était à quelques centimètres du sien.
- Charlotte m’avait volé mon bien le plus précieux après s’être moquée de moi. Sa mort ne fut que justice.
- Silence !
- Non, Reinhardt; la vérité, si cruelle soit-elle, reste la vérité. Tu ne la changeras pas en ordonnant le silence.
- Jamais plus tu ne souilleras sa mémoire, bâtard ! Jamais !
Reinhardt rompit l’épreuve de force et se rua sur son adversaire. Les coups étaient d’une violence inouïe et Cuchùlainn parvenait à tous les parer ou à les esquiver. L’entraînement de Lebeau portait ses fruits, et il se souvint brièvement de ses courses, de ses duels fictifs, des réticences qu’il émettait à devoir sans cesse effectuer le parcours de santé.
Tout cela, il s’en rendait compte à présent, avait contribué à lui redonner sa fougue et sa jeunesse perdue dans les méandres des siècles écoulés...
Maintenant il se sentait capable de venir à bout de n’importe quel adversaire !

Les coups continuaient de pleuvoir.
Mais Cuchùlainn commençait à prendre l’ascendant sur Reinhardt. Ce dernier devait s’en rendre compte, car plus il s’acharnait avec hargne, plus ses coups devenaient imprécis, gauches. Cuchùlainn lui porta un coup qui lui fit tomber sa lame au sol. Il la tint ainsi par force et défia Reinhardt de se défaire de l’étreinte:
- Tu ne te bats pas pour l’honneur d’une femme, mais bien pour ta vengeance personnelle ! Je ne peux te laisser en vie car tu représentes un danger pour nous tous…
Reinhardt se tourna vers lui :
- Ah, tu crois que j’ai perdu, c’est ça ? Attends un peu…
Et aussitôt il cracha sur le visage de son adversaire et parvint à se dégager de son étreinte.
Puis d’un croc-en-jambe, il parvint à faire chuter le Celte.
- Traître, maugréa t-il.
Reinhardt s’acharna à le rouer de coup de pied, mais Cuchùlainn parvenait à les éviter en roulant sur le sol.
Cependant il déviait vers le bord de la falaise, et il lui fallait se redresser. Aussi attendit-il un pied de Reinhardt pour s’en emparer et le faire tomber du même coup. Les deux hommes parvinrent à se relever ensemble, mais ce fut Cuchùlainn le plus rapide. D’un coup de pied, il frappa le poignet de Reinhardt, celui qui tenait l’épée, et l’allemand lâcha son arme en poussant un gémissement. Cuchùlainn remarqua alors l’entaille sur le poignet de son adversaire.
Lebeau l’avait bien aidé, semblait-il.
Reinhardt courut vers son épée. Mais alors qu’il allait s’en saisir, il se prit le pied dans une faille entre deux rochers, et se tordit la cheville.
Cuchùlainn bondit rapidement et vint frapper dans l’épée qui tourbillonna jusqu’aux pieds de Cornélius.
Puis il posa sa lame sur l’épaule de Reinhardt.
Vaincu, l’allemand ragea une dernière fois :
- Tu as gagné, Cuchùlainn…finissons-en…vite ! Je vais enfin rejoindre celle que tu m’as enlevée il y a un siècle…
Le Celte le regarda.
Il lut toute la haine que Reinhardt pouvait lui porter dans le regard de feu qu’il lui lançait.
Alors il leva sa lame :
- Il ne peut en rester qu’un !
Puis elle retomba.
Sur le côté.
La tête se détacha de son corps, et vola un bref instant, avant de disparaître dans le vide.
L’enveloppe de Reinhardt s’affaissa lentement, retombant sur la roche froide. Pas une goutte de sang ne sortit de sa gorge. Cuchùlainn lâcha son épée et tomba à genoux, prêt à recevoir son dû.
Le vent se leva, brusque et fouettant. Il vint entourer le vainqueur.

Du corps sans vie se mirent à jaillir des serpentins bleus, qui rampèrent le long du rocher avant de tournoyer autour de Cuchùlainn. Puis ce dernier poussa un grand cri, déchaînant ainsi les forces qui sommeillaient en lui, et accueillant le Quickening de Reinhardt.
Le kiosque trembla, et Lebeau recula, avant de recevoir son toit sur la tête, arraché par la tornade provoquée par son ami. Des éclairs zébrèrent le ciel, rendant la nuit aussi claire que le jour l’espace d’un instant. Puis ils vinrent frapper Cuchùlainn à chacun de ses cris. Levant la main au ciel, il attira la foudre dans un ultime coup de tonnerre.
Cornélius assista au spectacle sans bouger. Au fond de son cœur une joie immense avait succédé à l’angoisse du combat
Puis le vent tomba, et se fut le silence.
Emergeant de sous les décombres du toit, Lebeau se frotta le sommet du crâne où une bosse venait de naître.
Cornélius l’aida à s’en extraire, puis tous deux partirent à la rencontre du vainqueur.

Cuchùlainn se tenait debout au bord du rocher, face à la vallée.
Sans mot dire il saisit l’épée sacrée et se tourna vers ses amis.
Son visage avait de nouveau changé. Quelque chose dans sa personnalité avait été détruit par Reinhardt, mais c’était toujours le même homme, tranquille et serein. La peine se lisait encore dans son regard. Aussi, lorsque ses deux amis vinrent l’entourer, il pensa à voix haute :
- Autrefois, Guerr, un vieux Druide, venait tous les jours ici pour contempler le lever du soleil. Il était persuadé que quelque chose de divin animait cet événement quotidien.
Lebeau fixa la ligne de l’horizon. La silhouette de la Fôret Noire commença à se couvrir d’un mince fil d’or. Le soleil n’allait pas tarder à se lever.
Cuchùlainn s’assit en tailleur et invita ses compagnons à en faire de même :
- Restez avec moi, et contemplons ce magnifique don que nous font les Dieux…en mémoire de mon ami Guerr. Peut-être me pardonnera-t-il d’avoir souillé cette terre sacrée du sang de cet homme…

Et ils demeurèrent tous les trois silencieux, à regarder l’astre du jour chasser les démons de la nuit, comme si ses rayons tombaient à point pour purifier cet endroit sacré du crime qui venait d’y être commis.
Lebeau sentit la chaleur douce et matinale du soleil le pénétrer tout entier, le revigorer corps et âme.
Cuchùlainn ferma les yeux, et une larme vint mourir au creux de ses lèvres…


ASTONISHING X-MEN 12: WOUAHHH...

pour ceux qui comme moi ont eu la chance de lire l'intégrale des 12 premiers numéros de la saga WHEDON / CASSADAY, ces mots sont superflus. Pour les autres, si MORRISSON vous manque dans ce style je casse tout et je retourne ce qui reste, vous allez adorer. Foncez vite chez ALBUM, 5 rue Dante à PARIS et procure-vous ces chef d'oeuvre !

11 novembre 2005


MAMAN PART EN STAGE !!!

Maman part en stage une semaine, et voilà que je me retrouve tout seul avec papa pendant tout ce temps... pas facile !
Mais je pense que j'arriverai à être sage quand même...pour les nuits, on verra. C'est pas gagné. Nana et Apère me garderont en fin de semaine prochaine en attendant le retour de maman.

10 novembre 2005


CHAPITRE VIII


Samuel Goldberg se resservit un verre de Sherry.
Non pas qu’il aimait particulièrement boire, surtout qu’il était en service en ce moment, mais il pensait que ce moyen pouvait être efficace pour faire passer la pilule que la jeune femme qui se tenait en face de lui tentait de lui faire avaler.
Le salon dans lequel ils se trouvaient tous les trois; Esméralda, Lebeau et lui, était décoré avec beaucoup de goût, dans le plus pur style fin du 18ème siècle.
Il était situé au second étage d’un restaurant de la rue du Bain aux Plantes, en plein coeur de la Petite France, dans l’ancienne maison des Tanneurs.
De la fenêtre, on pouvait percevoir le bruit que faisait l’Ill en passant par l’écluse toute proche. Sur le quai, de l’autre côté se trouvait l’hôtel Le Régent...
Esméralda était confortablement calée au fond de son fauteuil, les deux mains jointes enserrant ses jambes, et le menton posé sur ses genoux; elle observait le lieutenant de police avec un regard amusé.
Elle venait de lui révéler qui ils étaient, elle, Cornélius et Lebeau ; et le moins que l’on pouvait en dire, c’était que la surprise pouvait se lire sur son visage aussi aisément que dans un livre ouvert.
- Encore un verre, lieutenant ? Proposa une Esméralda amusée par la confusion du policier.
Goldberg refusa d’un geste de la main.
- Non...vous voulez m’achever, ou quoi ?
Puis il se tourna vers Lebeau, qui se tenait debout face à la fenêtre, visiblement soucieux.
- Alors comme ça vous vivez vraiment...depuis deux siècles ?
- 215 ans, très exactement, répondit évasivement le cajun. Je sais que c’est dur à croire, mais il en est ainsi; et nous n’y pouvons rien. Aucun d’entre nous n’a demandé à devenir ce que nous sommes devenus, car nous sommes condamnés à nous battre jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un.
Goldberg se gratta la tête. Un dilemme se présentait à lui, et son embarras fut senti par Esméralda. Aussitôt son regard se porta vers Lebeau, qui vint se placer juste derrière le fauteuil de Goldberg:
- Maintenant, Sam, c’est l’instant de vérité...je sais ce qui se passe dans votre tête: ou vous arrêtez le chef de la Guilde des Voleurs, démantelant ainsi tout un réseau mondial pendant au moins deux jours, le temps pour les miens de prendre les dispositions nécessaires à brouiller à nouveau les pistes, ou vous devenez son complice. Je sais que les choses ne sont pas faciles, je suis le premier à l’admettre... mais comprenez bien que vous ne pouvez empêcher ce qui est en marche, en ce moment. Aucun humain ne peut freiner la marche des choses. L’heure de la rencontre entre Cuchùlainn et Reinhardt ne va plus tarder à présent; et elle ne doit en aucun cas impliquer d’autres victimes humaines. Pensez à vos collègues qui sont tombés sous les coups de Rodrigues, dans votre commissariat... le choix vous appartient, à vous et à vous seul, Sam...
Le lieutenant se pencha en avant, méditatif.
Il ne savait vraiment pas sur quel pied danser, et il chercha une réponse dans les yeux d’Esméralda. Celle-ci lui prit la main:
- Si vous choisissez de vous opposer à notre projet, lui confia-t-elle, c’est votre droit le plus absolu, et nous le comprendrions aisément... nous avons confiance en vous, cependant : on vous a amené ici, et vous êtes libre de vous en aller quand bon vous semblera. Vous n’êtes ni otage ni prisonnier.
Elle croisa le regard de son chef et vit qu’elle obtenait son soutien. Elle poursuivit donc:
- Mais il ne faut pas hésiter à nous le dire...nous ne pouvons courir le risque de vous laisser entre deux camps et de vous voir surgir à l’improviste pour nous arrêter.
- Comprenez-moi, fit Goldberg à l’attention des deux voleurs; ce que je viens d’apprendre bouleverse mes croyances, mes convictions les plus profondes ! J’étais à mille lieux d’imaginer ne serait-ce que l'existence de votre combat pour le Prix, et tout ce qui en découle! Le simple fait de l'imaginer me paraissait de l'ordre de la démence! Vous rendez-vous compte qu’avec votre existence vous mettez celle de Dieu au simple rang d’imagination ? Et si Dieu vous ressemble, pourquoi serait-il si violent ? Je ne sais plus que penser...
Il fut interrompu par l'entrée de Cornélius.
Le géant croisa son regard sans un mot et il se dirigea vers le bar où il se servit un pur malt.
- Vous arrêter ne vous aidera pas, surtout pas votre ami, si j’ai bien compris...mais pourquoi tenez-vous tant à l’aider ? Si vous êtes Immortel comme lui, sa mort vous arrange, non ? A moins que quelque chose ne m'ait échappé dans vos explications...
- J’aime Cuchùlainn, il est mon ami; c’est une raison suffisante pour ne pas désirer sa mort. Aucune subtilité ne vous a échappé. Nous savons bien qu'un seul d'entre nous survivra. Mais nous avons choisi de retarder au maximum cette échéance fatale.
- Mais, et le Prix ? Tous les Immortels vivant sur Terre doivent rêver de le posséder, non ?
- Le Prix ?...le Prix viendra à celui qui aura su le mériter, et ce mérite, à mon sens, ne passe pas par la trahison. Vous pouvez prendre la mort de Mitchell en exemple; c’est moi qui l’ai tué, parce qu’il avait trahi ses compagnons Immortels. Si on choisit de se lier malgré notre condition et les désagréments qu’elle comprend, on s’en tient là, un point c’est tout. J'avais une femme, elle est morte en 1901. Je savais très bien qu'elle disparaîtrait sans doute avant moi, mais j'ai choisi de vivre comme les mortels, sans me soucier du Prix. Encore aujourd’hui une femme chère à mon coeur me donne envie de me retirer et de passer le reste de notre existence ensemble. Seuls certains fanatiques sont cause des massacres perpétrés entre Immortels.
Goldberg se leva et se tourna vers la fenêtre.
Restés en retrait, Esméralda, blottie dans les bras puissants de Cornélius cherchait le regard de son Chef; ce dernier ne donnait aucun signe de nervosité ou d’impatience. Au contraire, il affichait une sérénité assez inhabituelle pour ce genre de circonstance. Elle comprit alors pourquoi lui seul pouvait diriger la Guilde. Il fallait des qualités extraordinaires de contrôle et de maîtrise de soi qu'il semblait maîtriser à la perfection.
Finalement le policier tendit la main à Lebeau:
- Je marche avec vous...ne me demandez pas pourquoi, je serai incapable de vous répondre ! Mais je crois que votre combat est juste, même s’il parait en contradiction avec la justice des hommes ! Et sans vouloir vous vexer, vous n’êtes pas des hommes.
Esméralda sourit et embrassa Cornélius, heureuse du dénouement de leur discussion. Rémy accepta la poignée de main:
- Vous avez fait le bon choix, Sam...
- Mais je serai obligé de rester avec vous tout le temps, maintenant...en me rangeant de votre côté, je deviens une sorte hors-la-loi!
La jeune voleuse rangea la bouteille de Sherry dans un buffet et répondit à Goldberg:
- On vit très bien ce genre de situation, vous savez; regardez moi ! Je ne me suis jamais aussi bien sentie que dans la peau d’une hors-la-loi...vous me direz, c’est facile pour moi: je n’ai jamais été autre chose qu’une voleuse, de par ma naissance, alors...
- Ne craignez rien; je me porte garant de votre intégrité dans cette histoire, répondit Lebeau au lieutenant. Personne ne saura jamais que vous avez pris part aux événements qui vont suivre, je vous le promets.
- Je sais que je peux avoir confiance en vous, Rémy...
Cornélius s'avança à son tour, tendant une main calleuse que le policier serra avec la même conviction.
- Maintenant que vous savez, dit-il, nous vous aiderons dans les difficultés que vous rencontrerez avec votre hiérarchie.
- Merci, Cornélius...et merci à vous, Lebeau.
- En ce moment, je m’appelle Bollinger.
- Très bien... Oh bon sang, je n’arrive pas à me faire à l’idée que vous pourriez être mon fils, et que vous avez l’âge de mes ancêtres !
- N’y pensez plus, répondit le cajun. A présent, reposez-vous un peu...Esméralda et moi devons organiser le vol de cette nuit. Nous ne serons pas absents très longtemps, ne vous inquiétez pas et essayez de dormir un peu; vous aurez besoin de toutes vos forces, cette nuit.
- Si ça ne vous dérange pas, je préfèrerais rentrer chez moi, afin d’essayer de faire le point et de prendre une bonne douche ! J’ai besoin de retrouver mes repères, après tous ces événements...
- A votre guise, Sam, lui répondit Lebeau en le raccompagnant à la porte.
- J'insiste pour vous raccompagner chez vous, lui proposa Cornélius. Il faut que je retourne à mon travail, expliquer mon absence injustifiée.
- Comptez sur mon aide, lui retourna Goldberg.
Lorsqu’ils se trouvèrent tous les deux sur le pas de la porte, Lebeau salua le lieutenant.
- J’ai juste une question encore...j’espère que vous ne la trouverez pas indiscrète!
- Je vous écoute.
- Quand vous avez...comment dire...absorbé tout ces rayons, ces trucs de lumière et d'électricité cette nuit, qu’avez-vous ressenti, à ce moment-là ?
Lebeau regarda les touristes déambuler dans les rues de la Petite France avant de répondre:
- Une immense tristesse...Luis était un ami, avant qu’il ne rencontre Reinhardt...maintenant si vous voulez parler physiquement, c’est indescriptible. La douleur doit être prédominante, et elle s’efface très vite pour l’assimilation du Quickening. Je ne peux pas vous en dire d’avantage, vu que c’est à chaque fois une expérience unique et différente.
Goldberg se contenta de cette réponse.
- Je vous dis à ce soir, lieutenant ?
- Vous pouvez compter sur moi.
Sur ce, il lui tendit une main que le cajun s’empressa de serrer. Goldberg sourit:
- C’est pourtant vrai que vous êtes différent de nous...
- Pourquoi ?
- Parce qu’il faut vraiment être Immortel pour accepter de serrer la main d’un flic!


Esméralda achevait les préparatifs pour l’expédition nocturne qui allait suivre.
Elle avait troqué son jean et son tee-shirt bleu contre un juste au corps noir, tenu à la taille par une ceinture de soie bleu nuit.
Elle chaussait des mocassins japonais, et avait endossée un bombers noir sans reflets. Ses cheveux étaient lâchés, et un bandeau de cuir noir lui barrait le front, retenant sa frange. Sur cette couronne était fixée une dague en argent, symbole de son accession à la Guilde. Ce bijou lui avait été offert par Lebeau et depuis elle ne s'en séparait quasiment jamais quand elle partait en mission.
Tout en finissant de remplir son sac à dos de cordes, passes et divers autres objets utiles lors d’un cambriolage, elle répétait une ultime fois à son chef de Guilde comment elle avait réussi à persuader Reinhardt de sa bonne foi en matière d’archéologie.
- Il a tout de suite cru à mon histoire de Musée de Londres. L’accent y a été pour beaucoup; il s’est ensuite confié à moi en ce qui concerne sa découverte. Il ne m’a pas montré l’épée, malheureusement; elle se trouve déjà dans son salon. Je sais qu’il ne l’a pas enfermée dans une cache quelconque, mais que son orgueil l’a poussé à l’accrocher au-dessus de sa cheminée. Il faut que tu réussisses à le tenir éloigné de chez lui au moins une demi-heure; sinon je ne te promets pas de pouvoir la sortir à temps! Je ne suis au courant de rien en ce qui concerne son éventuel système de sécurité.
Lebeau avait écouté très attentivement sa jeune élève.
Il était assis dans un des fauteuils du salon; torse nu, il portait une sorte de collant noir. Il terminait un MonteCristo, un verre de Bourbon dans la main gauche.
Les yeux fermés, il se concentrait sur son opération de tout à l'heure.
Il tira une bouffée de son cigare et s’adressa à la jeune femme:
- Jamais dans ma longue vie je n’ai rencontré d’adversaire aussi dangereux et aussi machiavélique. Il est capable de tout, à tout instant.
Il se leva et se dirigea vers le divan où étaient posées ses affaires. Il enfila un juste au corps noir, et par-dessus une sorte de côte de maille en kevlar fuchsia et bleue.
- Ca va faire vingt ans que je n’avais pas enfilé ces vêtements; j’espère que je ne me suis pas trop rouillé avec l’âge !
- C’est comme la bicyclette...
Rémy enfila ensuite ses gants noirs, et endossa son pardessus brun.
- D’autres membres de la Guilde sont dans les parages ?
La jeune femme acheva de fermer les deux sacs:
- Personne du Cercle Intérieur, en tous cas…
Lebeau consulta le cadran de sa montre avant de la retirer de son poignet. Le moment était venu de passer à l’action…
Esméralda s'approcha de lui.
- Rémy...où vas-tu ?
Lebeau la dévisagea en souriant :
- J'ai un travail urgent à faire...
- Ce soir ?
- Oui, ce soir. Ecoute, je n'aipas le temps de t'expliquer, mais il faut que j'agisse seul et au plus vite. Je ne sais pas du tout comment les choses vont tourner, mais un grain de sable est venu enrayer la formidable machinerie de mon plan, et ça m'agasse.
La jeune femme comprit à son ton qu'elle n'obtiendrait plus rien de lui ce soir. Aussi acheva-t-elle de se préparer en silence...



La nuit était calme et tranquille, et une légère brise soufflait dans les sapins et les arbres.
Florence jeta deux nouvelles bûches dans les flammes du petit feu de camp allumé à l’entrée de la grotte des Druides. A côté d’elle se tenait Morrigann, allongée sur son sac de couchage, le menton reposant sur ses deux mains croisées.
La forge de la nouvelle épée de son fiancé était à présent terminée. En six heures de temps, il avait redonné vie à un morceau de fer sans âme ; et par la communion du fer et du sang, le miracle s’était reproduit.
- Tu sais où il est parti ? Demanda Florence à son amie.
- Plus loin, dans la montagne, répondit Morrigann sans détacher son regard des flammes qui léchaient le bois mort. Il doit à présent accomplir un très vieux rite qui consiste à offrir son œuvre à la Déesse Mère.
- Pourquoi ?
- Cuchùlainn a forgé une épée, un instrument de mort… il souhaite que par cet offrande elle soit reconnue comme arme de justice et non de guerre.
Florence se leva:
- Et Rémy qui n’est toujours pas rentré...il m’avait dit que normalement il serait de retour pour ce soir, et il est déjà minuit moins vingt. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de grave…
Morrigann se redressa et fit craquer sa nuque endolorie :
- Rassure-toi, je connais bien Lebeau; il est très prudent. Il sait que Reinhardt est dangereux et qu’il doit s’en méfier. D’ailleurs, il n’a que très peu de chance de le rencontrer…sauf si c’est ce qu’il cherche vraiment.
Mais Florence savait que son chef de Guilde était parti affronter l’Immortel qui avait dérobé l’épée sacrée de Cuchùlainn. Certes elle avait juré le secret...tout était confus en elle: il lui fallait faire un choix au plus vite; sinon Lebeau risquait de mourir.
Elle se tourna vers Morrigann, prête à lâcher le morceau. Cette dernière s’en rendit compte et se leva à son tour :
- Quoi ?
- Il faut qu’on prévienne Cuchùlainn: Rémy est parti affronter Reinhardt pour tenter de lui reprendre Tir Inna M’Béo ! J’avais promis de ne rien lui dire, mais maintenant j’ai peur pour lui. Oh, je m’en veux de ne pas te l’avoir dit plus tôt, mais comprends-moi...
Morrigann poussa un profond soupir :
- Et c’est maintenant que tu me dis ça … bon, on rentre au Couvent ! J’espère que Cuchùlainn s’y trouve encore et qu’il ne s’est pas déjà rendu en forêt pour accomplir le rite…

Les deux jeunes femmes arrivèrent en vue des portes du couvent vingt minutes plus tard. Elles étaient en nage, et au bord de l’épuisement, mais aucune d’elles ne tenaient à se reposer avant d’avoir trouvé Cuchùlainn. Florence avait buté plusieurs fois sur des racines et des rochers instables ; sa cheville gauche lui faisait mal mais elle préféra ne rien dire. Elle craignait la réaction de Morrigann.
La grande porte cochère qui fermait l’accès au couvent était fermée à clé. Morrigann fouilla dans son sac à la recherche du trousseau que lui avait remis Lebeau avant son départ. Elle mit la main dessus et introduisit la clé de bronze dans la serrure.
- Prie pour qu’il n’y ait pas de linteau de l’autre côté…
Par chance, la porte s’ouvrit sans prblème, et les deux femmes pénétrèrent dans la Cour des pèlerins.
Les tilleuls centenaires pour la plupart, dessinaient leurs silhouettes imposantes sur le rideau de la nuit étoilée, tels des gardiens de la sérénité de l’endroit sacré.
L’église se dessinait au fond à droite, et les filles empruntèrent le petit passage qui conduisait au cloître et par lequel il était possible d’accéder au tombeau de Sainte Odile et à la chapelle où repose la patronne d’Alsace.
Juste à côté se trouvait le gisant d’Adalric, son père, Duc d’Obernai.
Elles entrèrent dans le couloir et tombèrent sur la porte vitrée qui les séparait de la chapelle où devait s’être retiré Cuchùlainn.
Elles le trouvèrent à genoux au pied du sarcophage de grès, l’épée posée à ses pieds.
Elle était magnifique, sa lame resplendissait sous les flammes des bougies disposées autour d’elle. Il semblait qu’on pouvait presque l’entendre respirer, tant la lueur dansante des flammes lui donnaient l’air vivante.
Cuchùlainn, lui, était en prière, les yeux clos, il invoquait les âmes de ses défunts maîtres.
Il avait apporté diverses offrandes qu’il s’était empressé de déposer sur les autels de la chapelle; à présent il se préparait pour son combat à venir.
Morrigann s’approcha de lui.
Florence, par respect, se tenait à l’écart, préférant que ce soit sa fiancée qui lui annonça la nouvelle. Son coeur cognait dans sa poitrine, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle culpabilisait de ce qui arrivait ; elle ne pouvait s’ôter de la tête qu’elle aurait dû rompre son serment plus tôt.
Elle sortit en hâte et erra sur l’esplanade à la recherche d’un réconfort qui ne viendrait pas...elle devina l’une des deux chapelles qui se dressaient devant elle et entra dans la première.
Là, elle s’effondra sur le sol et sanglota. Si jamais il arrivait quelque chose de fâcheux à son mentor, elle s’en voudrait à vie. Elle pria Dieu en silence de le protéger contre Reinhardt.
Plongée dans son désespoir, elle ne remarqua même pas que quelqu’un se tenait derrière elle, dans l’encadrement de la porte. Sa voix la fit sursauter, et elle échappa un cri.
- Florence...
Elle reconnut Cuchùlainn et vint se jeter dans ses bras.
- Je...je te demande pardon pour tout ce qui arrive! J’avais promis à Rémy de ne rien te dire, mais je sais qu’il est parti te voler l’épée que tu avais enterrée dans la crypte de la Cathédrale !
Cuchùlainn la serra contre lui en la calmant:
- Tu n’es pour rien dans ce qui arrive; tu sais aussi bien que moi qu’il serait parti quand même et ni toi ni moi n’aurions pu y changer quoi que ce soit...vois-tu je crois que je t'en aurais voulu si tu ne m'avais rien dit de tout ça. Maintenant c’est fait, et c’est sans doute mieux ainsi.
Il la prit par l’épaule et sortant une pièce de monnaie de l’une de ses poches, il la glissa dans la fente de l’appareil chargé d’éclairer la chapelle.
- Un jour que nous nous promenions ici, Lebeau m’a emmené dans cette chapelle. Elle se nomme la chapelle des Larmes, car la légende prétend que Sainte Odile est venue pleurer pour le salut de son père durant des jours et des nuit, et que ses larmes ont creusées la pierre que tu vois ici...ce n’est pas un hasard si tu es venues te réfugier ici, à ton tour; les prières qui sont sincères et qui sont formulées dans cette chapelle se réalisent, crois-moi.
Florence essuya ses yeux du revers de sa manche et regarda Cuchùlainn.
Il avait l’air extraordinairement serein malgré la situation. Son visage semblait marqué par une détermination nouvelle.
Elle lui demanda si il était en colère:
- Bien sûr, répondit-il; mais Conchobar, mon Maître, m’enseigna jadis que la colère était le pire ennemi de la concentration; or j’aurai besoin de toute ma concentration pour venir à bout de Reinhardt. Il est très fort, lui aussi, et la vengeance guide ses actes. Un jour il commettra une erreur, et ce sera à moi d’en profiter. Maintenant, je vais te demander de veiller sur Morrigann; je veux que tu la protèges pendant mon absence. Tu as loué une chambre ici, non ? Alors tu vas y rester avec elle jusqu’à mon...notre retour, à Lebeau et à moi. Vous ne serez en sécurité qu’ici, sur un sol sacré. Je serai quant à moi plus tranquille si je te savais auprès de ma bien-aimée...
- Tu me demandes de veiller sur une Immortelle…
- Elle a traversé plusieurs vies humaines, mais elle demeure fragile et vulnérable. Le sortilège qui la protège ne lui assure pas l’invulnérabilité…promets-moi de veiller sur elle ; sinon, veillez l’une sur l’autre !
- Je te le promets.
Cuchùlainn lui sourit et Florence retrouva le sourire à son tour. La minuterie cessa et la chapelle fut à nouveau plongée dans l’obscurité.
- Sortons, dit Florence. Morrigann doit s’inquiéter de nous savoir partis depuis ce temps.
- Va la rejoindre et allez vous coucher. Moi, je retourne à la grotte pour ranger ses affaires et les miennes, puis je descendrai à mon tour pour en finir une fois pour toute avec Reinhardt. Mais auparavant je dois encore me rendre dans la montagne. Il faut que le rite s'accomplisse...
Florence sortit de la chapelle, puis elle se retourna vers Cuchùlainn qui s’apprêtait à longer la falaise par le chemin qui donnait accès à la cour des pèlerins sans passer par le cloître:
- Tu ne lui dis pas au revoir ?
- Fais-le pour moi...et dis-lui que je reviendrai la chercher.
Florence le suivit du regard jusqu’à ce qu’il se mêle à la pénombre. Puis elle sentit l’air frais de la nuit à travers ses vêtements, et elle rentra auprès de Morrigann qui l’attendait dans la chapelle.

Cuchulainn était à présent nu dans la forêt, à genoux devant un arbre centenaire. Derrière lui, le rocher du Canapé dessinait son ombre sur le corps tendu du guerrier Celte.
L'épée nouvellement forgée était déposée sur le rocher, posée sur un drap de lin.
Le celte n’était pas seul ; tout autour de lui, tenant des torches allumées, de petites formes immobiles et muettes l’assistaient dans sa méditation.
Pour la première fois depuis des siècles, il avait réussi à entrer en communion avec le Petit Peuple, gardien de la forêt et des secrets du temps jadis. Ces êtres sans visage ni forme, tantôt nains, tantôt esprits avaient ressenti son appel, et il s s’étaient montrés au grand jour.
Il n’y eut pas un mot échangé, car ils pouvaient lire dans le cœur des hommes.
A présent ils se tenaient près de lui, éclairant de leurs torches la scène où allait se dérouler le rituel ; éparpillés dans les buissons et les bosquets…
Soudain Cuchùlainn ouvrit les yeux et lança au ciel une incantation reprise en cœur par le Petit Peuple. Il psalmodia ensuite de vieilles prières Celtes. A cet instant précis un vent tourbillonnant se leva, enveloppant l’endroit où il se trouvait. Des éclairs zébrèrent le ciel, et le tonnerre gronda.
Les flammes des torches vacillèrent, mais ne moururent pas.
Cuchùlainn debout au centre de ce maëlstrom levait les bras au ciel, en invoquant la Déesse de la Terre d'accepter son offrande sacrée.
Le vent souffla en rafales d'une violence inouïe, et il perdit l’équilibre un court instant. Mais ses jambes tinrent bon et il se redressa, le torse bombé vers le ciel. Dans un ultime râle, il serra les poings et tendit les mains vers le rocher où reposait son épée.
A cet instant précis un éclair vint la foudroyer, et un halo d'énergie pure l'enveloppa tel un linceul de lumière.
Cette fois-ci la déflagration qui accompagna la chute de la foudre le renversa sur la mousse. Lorsqu’il se releva, une femme vêtue de noir et portant une couronne de baies cramoisies et de fleurs séchées se tenait devant lui, l’épée déposée dans ses bras.
Cuchùlainn était bien incapable de dire si il s’agissait d’une illusion ou si la Déesse s’était matérialisée sous ses yeux.
Lentement elle avança vers lui, sans mot dire, et lui tendit l’arme scintillante.
Le Celte s'en empara et l'énergie dégagée par le fer pénétra tout son corps. Il caressa la lame et s'ouvrit la paume de la main droite, laissant un mince filet de sang couler le long de l'épée lumineuse.
Puis il se retourna en direction de l'arbre centenaire, et d'un bond il se rua sur lui, l'épée fermement maintenue entre ses deux mains.
Il la brandit bien haut et fendit le tronc en deux parties égales, qui tombèrent chacune d'un côté. Un nouvel éclair vint s'abattre, mais sur l'arbre cette fois-ci, le faisant s'embraser avec l'aide du vent. La terre se mit à trembler légèrement et une pluie fine succéda à l'orage sec.
En quelques instants le feu fut éteint, et le calme revint progressivement sur le secteur du rocher du canapé.
Cuchùlainn, trempé, regarda sa main cicatrisée, puis son épée. L’eau, la Terre, l’Air et le Feu…les quatre éléments venaient de la reconnaître comme une des leurs.
Il chercha du regard la femme et le petit peuple, mais il n’y avait plus personne sur le plateau. Trempé et grelottant, il souriait : les Dieux avaient accepté son offrande.
Il pouvait désormais affronter Reinhardt.
Il était prêt.




La voiture s’arrêta devant la demeure de Reinhardt.
Esméralda consulta sa montre: le cadran lumineux indiquait une heure et trente cinq minutes. Elle avait déposé Lebeau un quart d’heure plus tôt devant le magasin de la rue du Vieux Marché Aux Poissons, et maintenant il ne lui restait plus qu’un quart d’heure pour s’emparer de l’épée sacrée de Cuchùlainn.
Elle descendit de la voiture et s’approcha de la grille de la porte d’entrée: bien sûr, elle ne s’ouvrait que par code.
La jeune femme sortit aussitôt de son sac à dos un électrorossignol et le pointa en direction du clavier à code.
Quelques secondes plus tard, le code se chiffra automatiquement, et la porte s’ouvrit.
Arrivée dans le jardin, elle sortit de son sac trois beaux morceaux de boeuf qu’elle lança devant elle, à gauche et à droite. Puis elle se terra dans un buisson contre le mur de l’entrée. Il ne fallut pas plus de trente seconde pour voir surgir trois pittbulls aux colliers cloutés brillant dans la nuit.
Esméralda frissonna en les voyant déchiqueter la viande, et respira plus calmement lorsqu’ils s’assoupirent sous l’effet du somnifère qu’elle y avait injecté.
Sortant de sa cachette, elle courut vers les chiens et examina l’un d’eux: on leur avait coupé le larynx, les empêchant ainsi d’aboyer, et devenant du même coup des armes mortelles parfaitement silencieuses.
Esméralda gravit les quelques marches du perron et s’immobilisa devant la porte d’entrée de la maison.
La serrure était cette fois-ci assez banale. De son sac, elle tira une petite fiole et une pipette. Elle plongea la pipette dans le flacon avec beaucoup de soin, et aspergea le creux entre la porte et son cadre. L’acide agit en quelques instants, faisant fondre le loquet. Puis elle poussa alors la porte doucement, évitant de la faire grincer de peur que d’autres chiens ne montent la garde à l’intérieur.
Mais l’intérieur de la maison semblait silencieux et désert.
Avant d’entrer, elle chercha un éventuel boîtier de commande d’une autre alarme, mais elle ne distinguait rien dans la pénombre.
La jeune voleuse alluma sa lampe torche, le temps de trouver ses lunettes infrarouge.
- Pourvu que son truc ne soit pas une alarme muette…
Elle fouilla à nouveau dans son sac et sortit un appareil semblable à un portable qu’elle alluma sur le côté. Le détecteur balaya le hall et lui rendit son verdict : aucun dispositif anti-intrusion n’avait été détecté.
- ‘faut pas avoir confiance dans ses chiens, Walter…pensa-t-elle en rangeant le détecteur dans son sac.
Puis elle progressa dans le noir jusqu’au salon. Les portes vitrées en chêne étaient fermées, et au travers des vitres elle pouvait distinguer une faible lueur dans l’âtre, qui indiquait que du bois achevait de se consumer.
Elle tourna la poignée de la porte et se ravisa aussitôt. Un flash lui revint en mémoire: lors de son tout premier test avec le demi-frère de Lebeau, Lièvre, elle s’était fait piégée pour n’avoir pas vérifié la possibilité d’existence d’un troisième système d’alarme autonome. Elle se souvint aussi ne pas avoir vérifié si des caméras surveillaient ses faits et gestes.
- Bah, se dit-elle, le temps que les flics arrivent, je serai déjà loin !
Esméralda sortit de son sac un petit sachet de farine et un soufflet sarbacane. Plaçant le bout du soufflet dans la serrure, elle envoya la farine dans la pièce. Elle sentit la sueur lui tremper le cou lorsqu’elle aperçut de faibles filets de lumière rouge, révélées par la farine.
Il y avait bien un système de protection supplémentaire.
La jeune femme consulta sa montre: plus que huit minutes.
Elle se colla contre la vitre et chercha à déceler l’émetteur de ses rayons. Quand enfin elle le repéra, elle se rendit compte qu’il était inaccessible de l’endroit où elle se trouvait. Ressortir et tenter de pénétrer par une des fenêtres prendrait trop de temps.
- Merde… merde, merde et merde !
Elle s’assit quelques secondes et réfléchit. Puis elle réexamina les faisceaux lumineux: ils étaient assez espacés pour qu’elle puisse tenter de passer entre eux, à la manière d’une contorsionniste. Elle prit la décision de tenter le coup. Ouvrant la porte, elle se repéra par rapport aux meubles, et compta trois rangées de faisceaux lumineux.
- Maintenant, ma vieille, ‘s’agit de pas rater ton coup…
Prenant son élan, elle plongea sous le premier, prit appui sur ses mains et se propulsa au-dessus du second avant de se cambrer complètement pour replonger sous le troisième. La manoeuvre se termina par une pirouette sur le tapis persan où se dressait une armure médiévale qu'elle faillit heurter à quelques centimètres près!
Elle souffla un grand coup et s’épongea le front. Puis elle se redressa et chercha la cheminée.
Elle se trouvait à l'autre bout de la pièce; la jeune femme la traversa sur la pointe des pieds avec une extrême prudence.
Enfin elle la vit.
Elle était immense. Ses deux lames parallèles en forme de diapason brillaient faiblement à la lueur de l'âtre dans lequel se consumait encore une bûche ; comme si elle venait juste d’être forgée. Le pommeau était lui aussi impressionnant, tout comme la garde et le manche.
Reinhardt l’avait fixée au mur sur un support de bois verni. Le tout reposait dans une cache de verre.
Esméralda s’approcha de la cheminée et monta sur le rebord de l’âtre.
Elle observa avec attention la cache de verre et remarqua un petit fil d'argent qui longeait une des parois. Elle sortit alors de son sac un domino et une pince, ainsi qu'une bobine de fil de cuivre. Avec minutie, elle fixa un diamant au bout d'un compas et traça un cercle qu'elle retira à l'aide d'une ventouse. Introduisant ses deux mains,elle commença son travail d'orfèvre:il fallait placer le fil de cuivre d'un bout à l'autre du fil d'argent pour pouvoir le couper et y fixer un domino pour relier le fil de cuivre, donnant ainsi une longueur d'environ deux mètres au fil de sécurité. Ainsi pourrait-elle ouvrit la cache sans rien déclencher.
Quelques minutes plus tard, elle ouvrit la cache de verre et retira le panneau mobile qu'elle posa devant la cheminée.
L'opération avait été un franc succès.
Elle tenta de s’emparer de l’épée par la lame, mais elle était tellement aiguisée qu’elle lui coupa le gant.
La jeune femme eut le bon réflexe de retirer sa main à temps. Sa seconde tentative eut une fin plus heureuse, puisqu’elle parvint à saisir l’épée par la garde. Mais elle avait sous-estimé son poids, et elle tomba lourdement sur le tapis avec l’épée. Elle ne se releva pas tout de suite, craignant que le bruit de sa chute n’ait donné l’alerte. Mais quelques instants plus tard, elle se dirigea vers la sortie, après avoir emballé l’épée dans la nappe qui se trouvait sur la table.

Mais un nouveau problème se posait: comment refranchir le système de sécurité avec la lame sur le dos ? Elle s’accroupit et vérifia si il lui était possible de la faire glisser sur le sol. La place y était. Elle lança alors l’épée sous les rangées de faisceaux et réédita sa manoeuvre précédente.
Mais alors qu’elle se réceptionna dans le couloir, elle remarqua que l’épée était restée à mi-chemin, sous les faisceaux.
Elle se coucha alors à plat ventre et tendit le bras pour s’en saisir.
Mais le poids de l’épée l’obligeât à lever son bras, ce qui eut pour effet de couper un des faisceaux lumineux.
A cet instant, une lourde grille tomba devant la porte du salon Et une sirène se mit à hurler dans la maison.


Lebeau pénétra dans la Cathédrale.
Contrairement à Cuchùlainn, il ne s’était pas fait pincer au moment où il fracturait la porte latérale de l’édifice. Son épée bien cachée sous un pan de son manteau, il s’avança dans la nef de la Cathédrale.
Il avait regretté de ne pouvoir s'emparer lui-même de l'épée, mais sa présence ici était nécessaire pour tenir Reinhardt loin de chez lui ; Esméralda avait besoin de temps, et lui seul pouvait lui en donner.
Sans doute à cette heure-ci devait-elle déjà avoir terminé son boulot…peut-être était-elle déjà en route pour le lieu de rendez-vous qu'ils avaient fixés dans leur plan de marche.
- Esméralda…
Esméralda...Il l'avait rencontré pour la première fois il y a plus de cent ans, en 1834, très précisément...

...les rues de la Nouvelle-Orléans grouillaient de monde, et partout les boutiques faisaient recette.
Assis à la terrasse du balcon de l'appartement de son ami Bernard Labranche, Lebeau buvait une tasse de thé en compagnie de Bernard et de sa jeune épouse Marie.
Les deux hommes discutaient d'un prochain coup à monter pour des voleurs de la Guilde.
- Réfléchis, Rémy : si nous mettons la main sur ces bijoux maintenant, nous parviendrons peut-être à les revendre à Darceneau avant son départ pour New-York. Là il les fera sans aucun doute fructifier en les revendant le triple de ce que nous lui avons payé. Qu'en penses-tu ?
- L'idée n'est pas mauvaise, cousin, mais je me demandais si la tâche n'était pas trop ardue pour le jeune Villon.
- Marc Villon a seize ans, Rémy. Cette nuit , Jean Martin sera officiellement son chaperon pour son vol d'intronisation. Quel risque court-il, à ton avis ? Les Sicaires ?
Bernard lança un regard en direction de celle qui partageait sa vie, car c’était de son jeune frère qu’ils discutaient depuis quelques minutes maintenant.
Mais Rémy, qui jetait un oeil sur la foule ne l'écoutait plus: son attention avait été attirée par une jeune femme qui se livrait à un exercice d'acrobatie devant la foule de badauds venus en spectateurs de ce numéro improvisée.
- Je t’ai posé une question, il me semble…
- Observe la grâce et la finesse de cette fille, Bernard...
Tous les trois se penchèrent par-dessus le balcon.
- Elle évolue avec une agilité exceptionnelle, fit remarquer Marie. Elle me fait penser à Michèle, la même grâce émane de chacun de ses gestes.
- Oui, un peu...
Les trois voleurs profitèrent du spectacle donné par la saltimbanque.
Son style, très proche de son public physiquement, le faisait frissonner par moment lorsque le contact devenait un heurt, une bousculade frémissante.
L’audace jusqu’ici innocente fit place à l’intrépidité et à la vivacité quand tout à coup la jeune acrobate se mit a exécuter un exercice de pirouettes entre les rangées du public.
Marie sourit :
- Belle technique, jeune fille…
C'est à ce moment-là qu'une voix s'écria:
- Au voleur! Ma bourse !
Trop tard pour tenter de rattraper la jeune voleuse: suite à une série de pirouette, elle bondit sur un fiacre qui passait non loin de là, déposant au passage un baiser furtif sur le front du cocher ébahi, en atteignit le toit et s'élança sur un balcon.
Du premier étage, elle envoya un autre baiser, à ses victimes celui-là, puis disparut après avoir grimpé le long de la colonne de cuivre qui soutenait le toit.
- Tu as vu ça ? Demanda Bernard à sa femme. Quelle rapidité...
- Oui, on dirait tout à fait Michèle Martin.
- En tout cas, elle les a laissé sur place, tous ! Regardez leurs têtes: on dirait qu’ils ont vu le démon!
- Je reconnais qu'elle a du talent, remarqua Rémy. L'un d'entre-vous la connaît ? Toi, Marie ?
- Son visage ne m’est pas familier, répondit la jeune femme en rassemblant les trois tasses à café sur un plateau d'argent. Demande voir à mon cher mari si au court de ses négociations sur le marché il ne l’a pas déjà croisée au détour d’une ruelle sombre et sordide…
- Jamais vue, fit Bernard en se levant. Je vais chercher du Bourbon. Il commence à faire chaud, ici. Quant à toi, femme, cesse de m’attribuer des pensées qui ne seront jamais miennes !
Il la gratifia d’une tape amicale sur la fesse et la regarda s’éloigner dans l’appartement assombri par les volets fermés.

Le lendemain, Rémy se promenait dans Bourbon Street, laissant son esprit vagabonder. Soudain, alors qu'il regardait la devanture d'une vitrine d'un magasin de vêtements à l'angle de Charles Street, il sentit une légère bousculade. Il se retourna et vit une femme blonde qui s'excusa de sa maladresse. Il la salua et la regarda disparaître dans la foule.
Un sourire illumina son visage.
Le poisson avait mordu à l'hameçon.

La jeune voleuse se tenait assise à côté d'une gargouille de l'église Notre Dame des Voleurs Perdus, et comptait son butin de la journée.
Le soleil se couchait à l'horizon, et le vent qui se levait la fit frissonner. Légèrement vêtue, elle ne portait sur ses solides épaules qu’une tunique d’esclave volée elle aussi chez ses parents adoptifs.
Ses cheveux blonds lui revenaient sans cesse dans le visage; aussi les attacha-t-elle en un chignon bâclé au sommet de son crâne, puis elle se pencha sur son baluchon où s’entassaient montre gousset et autres bracelets.
Lorsqu'elle ouvrit le portefeuille de cet aristocrate qui l'avait poliment saluée, elle ne pu réprimer un sourire en repensant à la naïveté de cet imbécile.
- Il doit tellement aimer les femmes, se dit-elle qu’il doit être à mille lieux de s’imaginer combien nous pouvons être dangereuses et rusées. Le plumer fut un jeu d’enfant, presque trop facile pour mon talent.
Mais son expression changea du tout au tout quand elle constata qu'il était vide !
Elle le tourna et le retourna, abasourdie par l’absence d’un contenu qu’elle avait imaginé opulent, fouillant tous les compartiments, et tomba finalement sur une feuille pliée en quatre.
Elle la déplia et lut à haute voix son contenu:

- Leçon numéro un: discrétion et habileté sont toujours de rigueur lorsqu’on se sert chez une tierce personne non consentante.

- Ce sont là deux points essentiels dans notre métier, ma chère...
Sa voix la fit sursauter.
L'homme à qui elle avait volé le portefeuille en question se tenait debout derrière elle. Elle ne l'avait pas entendu arriver, et ne s'était pas tenue sur ses gardes, pensant être en sécurité dans ce lieu que seuls les oiseaux et quelques rares chats sauvages avaient l‘habitude de fréquenter avec elle.
- Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle à l'inconnu en se relevant d'un bond, les poings crispés.
- Du calme, jeune fille, Répondit l'inconnu en allumant un cigare avec une allumette frottée sur la pierre de l’épaule d’une gargouille au visage diaboliquement déformé. Si j'ai réussi à retrouver ta trace, ce n’est pas dit que n'importe qui en ferait autant. La discrétion n'est pas ton fort, à ce que je puis constater.
- Comment avez-vous...
- Tu es en plein coeur du vieux Carré, chère, la coupa-t-il, le regard soudain sévère; et c'est le fief de ma Guilde. Je n'apprécie pas vraiment qu'une inconnue, aussi jolie soit-elle, vienne chasser sur mon territoire. Quel est ton nom ?
- Mon nom ? Et le vôtre ?
- C’est moi qui t’ai posé la question en premier, lui sourit-il, visiblement amusé par le ton agressif qu’elle employait, en proie à une certaine angoisse.
- Les gens qui m'ont trouvé m'ont appelé Esméralda.
L’homme fronça les sourcils :
- Les gens qui t'on trouvé, dis-tu ? Tu es donc orpheline ?
Comme moi, pensait-il...le destin réunit-il donc les êtres seuls pour ne former qu'une seule et unique famille ?
- Non. Je n’en sais rien...peut-être...je ne me souviens de rien avant d'arriver dans cette ville. Ce sont de riches planteurs qui me trouvèrent au bord d'un chemin, la tête ensanglantée. Il semblerait que j'aie été tabassée à mort par une bande d'assassins et laissée là pour morte. Mais ma mémoire flanche...au fait, je me demande pourquoi je vous confie tout ça: je ne vous connais même pas !
- Je m'appelle Rémy Lebeau.
- Je ne vous connais toujours pas, répliqua-t-elle avec un brin d’ironie dans la voix. Un nom, il n’y a rien de plus facile à balancer.
- Qu’est-ce qu’un nom, après tout ? Si la fleur qu’on appelle la rose portait un autre nom, ne sentirait-elle pas aussi bon ?
En voyant l’air surpris de la jeune femme, il expira une bouffée de son cigare avant d’éclairer sa lanterne:
- Shakespeare...Roméo et Juliette.
- Ah. Et c’est votre nom, ça, Shakespeare ?
Il rit franchement.
- Non, bien sûr que non.
- Bref, je ne vous connais toujours pas.
- Le contraire m'aurait étonné. C’aurait été surprenant que par le passé tu aies déjà entendu parler de moi. Mais là n’est pas le problème, pour le moment. Une autre chose me préoccupe à ton sujet, jeune fille: dis-moi...n'as-tu rien senti dans ton corps lorsque je suis arrivé ? Une sorte d’oppression...
La jeune fille éclata de rire:
- Vous plaisantez? Qu’est-ce que vous croyez, que je vais tomber amoureuse de vous dès le premier regard? Vous ne vous mouchez pas du coude, vous alors!
Mais Lebeau gardait son air grave et sérieux :
- Il ne s’agit pas de ça, désolé. Non, je veux parler d’un sentiment d’angoisse, comme une sorte d'oppression ?
La jeune femme ouvrit de grands yeux.
- Oui, quelque chose comme ça…mais je n’y ai guère prêté d’attention particulière. Je crois me souvenir que j’ai déjà ressenti cette angoisse au contact d’une personne, un ami, peut-être… pardonnez-moi,mais tout est flou encore… Est-ce si important que ça ?
- Et comment, petite…mais il se fait tard. Accepteras-tu de m’accompagner pour un dîner ? J’ai pas mal de choses à te raconter…et ça risque de prendre un peu de temps.

Mais tout à coup la douleur de l’Accélération l’arracha à ses pensées.
La voix de Reinhardt raisonna dans la Cathédrale obscurcie:
- Comment, c’est toi, Lebeau ? Que me veux-tu, pourquoi ce rendez-vous ?
Lebeau se retourna et vit l’archéologue debout au milieu de la nef.
- Bonsoir, Walter. Je suis heureux de constater que tu as répondu présent à mon invitation. Ca me touche beaucoup.
Mais l’Allemand ne semblait pas enclin à plaisanter ce soir.
- Je suis attendu au restaurant par une jeune femme, et à cause de ton coup de téléphone, je serai probablement en retard. Alors fais vite ! Dis ce que tu as à me dire, et ...
Mais il ne termina pas sa phrase.
- Tu disais, Walter ?
- ...à moins que tu ne veuilles en finir avec la vie ce soir…
Lebeau sourit; il commença à arpenter le transept lentement:
- Je suis venu m’assurer que tu respecterais bien le caractère sacré de ce lieu, rien de plus.
- Nous ne pouvons combattre sur un sol sacré, tu le sais très bien, s’impatienta Reinhardt. Que veux-tu de plus ? Si c'est pour vérifier cette évidence que tu m’as dérangé, j'aime autant te dire que tu vas le payer très cher !
- Je te l’ai dit : je voulais juste m’assurer que...
- Arrête ton cirque, cria Reinhardt. Je viens de te dire que je respecterais cet endroit !
- Faux !
Rémy se tenait maintenant juste en face de lui, à quelques mètres de distance, le doigt tendu vers l'Immortel, accusateur:
- Tu as violé cet endroit, poursuivit le cajun. La crypte a été pillée par tes soins ! J’en ai la preuve formelle; alors comment puis-je te croire lorsque tu dis que tu éprouves un semblant de respect pour ce lieu sacré ?
Cette fois, Reinhardt semblait en colère.
- Espèce de salaud, murmura-t-il à l’adresse de Lebeau; c’est toi qui a envoyé la femme ce matin pour me piéger et me séduire...
-...et je peux te dire qu’on a tout le temps avant que tu ne la revoies, parce que t’es vraiment pas son genre; donc fissa pour le restaurant. Désolé, mon vieux !
Reinhardt tira son épée qui dormait dans son étui sur une chaise de la Cathédrale et s’avança vers Lebeau:
- Puisque j’ai brisé la Règle sacrée selon toi, tu ne verras aucune objection à ce que j’achève ce que j’aurais dû terminer depuis longtemps déjà ?
Mais le plus vieux des deux Immortels ne semblait pas décidé à se battre dans la Cathédrale:
- Doucement, Walter, dit-il à l’adresse de son adversaire; on ne va quand même pas en venir aux mains !
- Tu m’as frustré de ma vengeance en aidant Cuchùlainn à échapper à une mort certaine et programmée! Ta présence dans cette ville a été contrariante pour moi dès le début. Mais tu vas néanmoins m’accorder une faveur pour te faire pardonner de tous ces tracas: tu vas me dire où il se cache, avant de mourir ! Je sais que tu connais l'endroit de sa retraite…je sais également que tu es très malin et que seul, je ne parviendrai pas à le savoir...
Rémy sortit son épée à son tour.
- Pas question que je te dise quoi que ce soit, Reinhardt ! Ta vengeance est sans fondement, puisque la mort de Charlotte était inévitable. Et en ce qui concerne tes petits...tracas, tu m’en vois navré pour toi.
Reinhardt s’immobilisa:
- Qu’entends-tu par là, que veux-tu dire par sa mort était inévitable ?
- Il fallait qu’elle meurt, poursuivit Lebeau, parce qu’elle avait volé Cuchùlainn. Et même si il n’avait pas tenu à la justice, il l’aurait tuée quand même. Sinon ça aurait été moi, ou un autre...elle était Immortelle, Walter, donc condamnée à mourir un jour de la main de l'un d'entre nous. Notre combat était le sien, à part entière. Et aussi vile qu’ait pu être cette femme, elle n’échappait pas à la fatalité de son sort.
Reinhardt s’empourpra et sa main se crispa sur le manche de son épée:
- Tu es en train de salir sa mémoire ! Je t’ordonne de te taire !
- Pourquoi ? Parce que tu refuses d’admettre la vérité ? Charlotte Guest était une profiteuse, une vipère ! Elle fut ta femme après avoir été ma maîtresse, Reinhardt ! Si tu veux tout savoir, elle a même failli me tuer pour prendre ma place à la tête de la Guilde des voleurs. Elle était la pire d’entre nous! C’est sa mort qui a fait de toi ce que tu es devenu aujourd’hui! Regarde-toi...donnerais-tu ta vie actuelle contre une vie normale, je suis sûr que oui. Ces souffrances, personne ne les a demandées... pas même Charlotte. Et comme il ne peut en rester qu'un, sa mort...
- Oui...oui, je le sais, maugréa-t-il, la bave au bord des lèvres; et je sais aussi que ce ne sera pas toi le dernier d’entre nous! Charlotte représentait ce que la vie pouvait offrir de mieux à un homme. Vous l'avez tuée par vos discours et votre morale stupide ! Moi seul suis digne du Prix. Il ne serait resté que nous deux, et jamais je ne l’aurai tuée ! Je l’aurais protégé contre vous tous, jusqu’à la fin...
La colère faisait trembler ses lèvres.
- Cuchùlainn devra payer, comme toi aujourd'hui car tu es devenu complice de son meurtre…
Ayant dit ces mots, il se rua sur Lebeau en poussant un cri.
Le cajun évita l’assaut en se dérobant et l’épée de Reinhardt vint fendre un chandelier de cuivre qui tomba lourdement sur le sol.
- Tu refuses le combat ? Soit, fit Reinhardt. Mais dans ce cas, accepte au moins que je te tranche la tête !
Le chef des voleurs recula face à l’allemand déchaîné.
Il voulait éviter l’affrontement, et c’est pour ça qu’il lui avait donné rendez-vous dans la Cathédrale.
Mais il ne pensait pas que Reinhardt irait jusqu’à violer un sol sacré pour assouvir sa vengeance. Aussi du -t-il se résoudre à contre-attaquer.
Les lames se croisèrent et le combat fit rage. Physiquement, Lebeau dominait son vis-à-vis, mais la rage décuplait les forces de l’allemand.
- Tu vas regretter de t’être mêlé de mes affaires, alors que tu n’y avais pas été invité!
- Ce sont mes affaires aussi, quand il s’agit de la vie d’un ami !
- Un ami ! Et que feras-tu au jour de la Rencontre ? De toutes les façons, tu n’auras bientôt plus à t’en préoccuper...
- C’est toi qui me poses cette question ? Toi qui était prêt à conserver Charlotte à tes côtés jusqu’à cet instant ?
- Silence et bats-toi mieux que ça ! C’est trop facile, on dirait que tu n’es pas à l’aise.
- Tu me forces à combattre dans un lieu sacré...pour la seconde fois de ma vie j'enfreins la Règle. Le premier qui me poussa à cette extrémité l'a payé de sa vie. Voyons si tu feras exception à la règle, en sortant victorieux de notre affrontement...
Lebeau para une attaque de son adversaire, et réussit à lui envoyer un coup dans le bras droit, ce qui eut pour effet de le faire reculer.
Le sang coulait de la plaie, et Reinhardt regarda le voleur. La haine dévorait son visage et le rendait méconnaissable.
- Tu vas regretter ça, je te le jure !
Mais au moment où il allait fondre sur le cajun, une voix se fit entendre derrière lui:
- Mains en l’air et plus un geste, Reinhardt !

L’allemand sursauta et se retourna : Goldberg le tenait en joue avec son arme de service.
A côté de lui, Cornélius, son épée à la main considéra la scène avec mépris.
- Eh bien, Lebeau, on dirait qu’on arrive à temps…à quelques minutes près c’en était fini de toi.
Lebeau tomba à genoux et murmura:
- Juste à temps. Merci, ô Déesse, pour votre aide!
Puis, à l’adresse de Cornélius:
- Tu veux prendre ma place, peut-être ?
Cornélius le dédaigna :
- Ce sont tes affaires, Lebeau. Démerde-toi.
Il considéra le Lieutenant de police du regard:
- Vous vouliez un flagrant délit, vous l’avez...on fait pas mieux comme cadeau.
Goldberg s’avançait vers Reinhardt qui avait baissé ses bras. Il tenait toujours aussi fermement son épée.
Ses traits déformés par la rage et la colère lui donnaient l’aspect d’un dément. Le mince filet de bave dégoulinant de la commissure droite de ses lèvres et ses yeux exorbités achevaient de lui donner cet aspect inquiétant:
- Tiens, tiens ! Un mortel qui veut chasser de l’Immortel ! Ainsi tu avais tout prévu, cria-t-il en se tournant vers le cajun...et si ça se trouve, en ce moment même, ta copine est en train de me voler...
La pupille se contracta et un léger tremblement le secoua soudain.
Il pâlit et se mit à murmurer en Allemand de façon inaudible pour son entourage.
- Comment ai-je pu tomber dans un piège si grotesque ? Tu m’as berné depuis le début...sale chien de voleur...
Puis à haute voix:
- Sale chien de voleur !!
Il se rendit compte alors du stratagème monté par Lebeau et combien sa haine l’avait aveuglée, au point de tomber dans ce piège grossier. Il poussa un hurlement terrible et se tourna vers le cajun:
- Ainsi tu avais tout prévu, tout calculé ! J’aurais dû me méfier de ta ruse de renard, espèce de chien galeux…tu n’as pas le droit de me voler ma vengeance, tu m’entends ?! Jamais vous ne gagnerez! Ni toi ni cet abruti de flic! Cette épée est le chemin direct vers Cuchùlainn! C’est par elle que je parviendrai à le retrouver et à lui faire payer ce qu’il me doit, toutes ces années de solitude et de souffrance. Je ne te laisserai pas l’occasion de me voler ça aussi ! Elle doit rester en ma possession! Il faut que j’empêche ta salope de me la voler...
Sur ces mots il avança vers Goldberg, lame en avant.
- Ne bougez plus ou je vous jure que je vous descends.
Mais Cornélius s'interposa.
- La salope en question est ma femme, Reinhardt. Maintenant, je vais te tuer : tu as osé combattre sur un sol sacré, brisant la Tradition. Désormais plus personne ne sera à l’abri nulle part, par ta faute…tout ça pour une femme !
La bâtarde du grand blond frappait deux fois plus fort que l'épée de l'allemand. Mais ce dernier esquivait plus vite les assauts portés avec lenteur par son vis-à-vis, compte tenu du poids de l'épée de Cornélius.
Il parvint donc à se jouer de l'Immortel en faisant tomber sur lui un chandelier de bronze qui manqua d’assommer le grand blond.
Ce dernier s'effondra, laissant Reinhardt foncer sur Goldberg.
- Patience, je m’occupe de toi tout de suite, lui dit-il en crachant sur sa nuque. Tout d’abord, réglons le sort de ce flic qui se croit plus fort et plus malin que tout le monde…
Il brandit son épée et fondit sur Goldberg tel un aigle sur sa proie.
Le policier tira deux coups de feu, mais trop tard.
Ils raisonnèrent dans la nef et le choeur, amplifié par un formidable écho assourdissant. Les vitraux tremblèrent mais tinrent bon.
Tandis que tous étaient occupés à se protéger les tympans, Reinhardt profita de la confusion pour s’approcher suffisamment de Goldberg et lui trancha la gorge d'un revers de la main.
Lebeau poussa un cri:
- Non !! Goldberg !
Le lieutenant tomba à genoux devant l’allemand, les yeux convulsés d’horreur et tentant de stopper le flot de sang qui jaillissait de sa gorge par petits jets, éclaboussant le dallage de la cathédrale.
- Et en voilà un de moins, ricana Reinhardt en regardant le corps agité par les derniers soubresauts d’une vie qui le quittait à jamais. Auf viedersehen, Lieutenant. Maintenant, l’épée...souffla-t-il en se dirigeant vers la sortie
Lebeau se précipita vers le policier qui gisait à terre, oubliant Reinhardt qui lui se dirigeait vers la porte cochère qui donnait sur le parking de la place du château.
Le lieutenant fixa le cajun, des larmes dans les yeux.
- R...Rémy...
- Non, ne parlez pas, je vais vous appeler une ambulance ! Mais ne cherchez pas à parler, votre gorge est…
Il aurait voulu lui cacher la gravité de son état, mais le regard du policier lui ordonnait de ne pas essayer de lui mentir. Aussi ne dit-il plus rien.
- Pas la peine...promettez-moi...
- Quoi ? Que voulez-vous ?
Le lieutenant peinait pour articuler:
- Tue-le...pour moi...
Goldberg cracha un dernier filet de sang et sa tête tomba sur le côté.
Lebeau ferma les yeux du lieutenant.
- Encore un innocent qui tombe…
Il venait de perdre un ami, un de plus.

Cornélius, qui venait de reprendre ses esprits, se leva et prit appui sur une des colonnes du transept.
Cherchant Lebeau des yeux, il découvrit le spectacle de Goldberg gisant au milieu d’une mare de sang.
Il s'approcha lentement des deux hommes, se frottant le crâne.
- J'ai été stupide de m'attaquer ainsi à Reinhardt sans aucune stratégie, murmura-t-il en fixant la blessure de Goldberg. C'est ma faute s'il est mort. Je te demande de me pardonner…
Les poings serrés, il renversa un chandelier et répandit les bougies sur le sol; certaines flammes ne vacillèrent pas et d’autres moururent noyées dans la cire.
- Ne te reproche rien, ami, murmura Lebeau en soulevant le cadavre du policier. Il savait ce qui l’attendait, mais j’aurais voulu le préserver de tout ça…sa mort ne restera pas impunie, sois-en convaincu.
Et, lui adressant un regard vide:
- Il sera pour toi, si on arrive à le coincer encore ce soir.
Cornélius demeura sombre:
- Il a réussi à s’enfuir. Nous devons le rattraper avant qu’il ne rencontre Esméralda!
- Un moment…
- On a pas un moment ! Lui cria le géant en courant vers la sortie.
Mais Lebeau n’écoutait plus. Il transporta le corps de Goldberg au pied d’un autel d’une des chapelles latérales, se signa maladroitement et couru vers la sortie rejoindre Cornélius…



Esméralda essayait une nouvelle fois d’atteindre la garde de l’épée au travers de la grille.
Ses doigts n’avaient cessé de l’effleurer au cours de ses précédentes tentatives.
Le temps la stressait, plutôt le manque de temps, et elle ne parvenait pas à coordonner ses mouvements. Il lui fallait retrouver de sa sérénité avant qu’il ne soit trop tard. Mais pouvait-elle encore s’accorder de trop précieuses minutes à retrouver sa concentration ?
Soudain un bip se fit entendre.
Il provenait de sa ceinture. Elle sortit le téléphone cellulaire et répondit d’une voix feutrée:
- Oui...
La voix de Cornélius hurlait dans le combiné:
- Esméralda !
- Tu sais, ce n’est vraiment pas le moment de me déranger, mon chéri...
- Où es-tu ? Tu as réussi ?
La jeune femme s’essuya le front du revers de sa manche avant de répondre:
- Presque...encore deux petites minutes et je lève le camp.
- Dégage au plus vite ! Reinhardt a découvert le plan de Lebeau et il est en route pour t’épingler ! Il a tué Goldberg, et il est prêt à tout pour se venger.
- C’est pas possible, articula-t-elle d’une voix tremblante; Rémy devait s’en occuper...
Cornélius prit un ton qui se voulait plus rassurant:
- Ne t’en fais pas, on est sur ses talons. Tu as l’épée ?
- Oui, je l’ai, mentit la jeune femme. Je serai dans la rue dans deux minutes. Ne vous inquiétez pas pour moi. Je filerai au lieu prévu et le plan se terminera sans accrocs.
La voix de Lebeau succéda à celle de Cornélius dans le combiné:
- Si tu l’as, tu reprends ta voiture et tu dégages au plus vite, tu m’as bien compris ? Oublie ce qu’on avait prévu : il est trop rusé pour ne pas découvrir ça en plus du reste.
- Je file où avec l’épée ? C’est qu’elle pèse une tonne, cette lame ! Je crains de ne pas avoir la force de la monter jusqu’à notre cachette de l’avenue des Vosges…il me faut trouver un autre endroit.
- Dans ce cas, tu fonces vers la Petite France. Je t’attendrai à la maison mère, tu passes me prendre et je te dépose chez toi avec ta caisse. Je monterai jusqu’à la grotte pour la rendre à Cuchùlainn !
- Très bien...
La jeune femme rangea le portable dans sa ceinture et se remit au travail.
Après quelques efforts de contorsion et de dextérité, elle parvint enfin à saisir la garde confortablement et tira la lourde épée à elle.
Heureuse d’y être parvenue, elle la serra contre elle.
- Enfin je te tiens, ma belle...tu vas voir, toi et moi, on va super bien s’entendre.
Puis elle se leva et couru vers la sortie…

Les chiens dormaient toujours dans le parc.
Elle arriva jusqu’à la grille et sortit sur le trottoir. Sa voiture était garée juste devant elle; au moment où elle déposa l’épée sur le siège arrière, le rugissement d’un moteur se fit entendre à l’angle de la rue opposée à celle où elle se trouvait:
- Putain, il est déjà là…
Elle sauta par-dessus la portière et s’installa au volant de la décapotable.
Rapidement elle tourna la clé de contact et fit rugir le moteur du petit cabriolet, démarra et fila en direction de la Petite France, comme le lui avait ordonné Lebeau quelques instants auparavant....


Reinhardt découvrit ses chiens endormis sur sa pelouse.
Il songea à la somme qu’il avait dépensée en pure perte pour s’assurer de la meilleure protection possible avec ces deux molosses, et voilà qu’une femme parvenait à les neutraliser avec un simple morceau de viande froide empoisonnée !
Ivre de rage, il leur trancha la tête à l’aide de son épée et leur frappa les flancs à coup de talon. Puis il pénétra chez lui par la porte laissée ouverte par Esméralda dans sa fuite. Fonçant dans le corridor de l’entrée, il ne prit même pas la peine de débrancher le système d’alarme qui continuait de hurler dans ses oreilles.
Il tomba sur la grille baissée devant son salon et comprit qu’il était arrivé trop tard. Il entra dans une colère démente et brisa tout son mobilier à coup d'épée, éparpillant les morceaux dans tout le salon.
Il quitta alors sa maison, retraversa son jardin et se retrouva sur le trottoir.
Il remonta dans sa voiture et composa le numéro de la chambre de Rodrigues sur son portable.
Un temps, puis une jeune femme décrocha:
-Allô ? Qui est à l’appareil ?
- Passe-moi Rodrigues, poufiasse ! Hurla t-il dans le combiné.
- Qui ça ? Demanda la jeune femme d’un ton vulgaire.
- Passe-le moi !
- Le précédent client est parti, monsieur, et je vous prierais de ne pas être grossier ! Qui êtes-vous, d’abord pour me parler sur ce ton ?
Reinhardt coupa la communication.
- Comment ça, parti ? Qu’est-ce qu’il me fabrique encore, celui-là ? Personne ne lui a ordonné de partir, que je sache !
Il postillonnait de colère.
- Si jamais tu cherches à me doubler, toi aussi, je te garantis une mort rapide...
Il démarra et fonça sur le boulevard de l’Orangerie.
- Où peu-tu être, Portugais de mes deux ? Et si...
Il composa alors un second numéro de téléphone, se fiant à son intuition.
Après trois tonalités, il tomba sur le médecin de garde de la morgue de l’hôpital de Hautepierre dont la voix indiquait qu’il avait dû être réveillé tout comme la femme de l’hôtel.
- Allô, oui...je voudrais un renseignement; demanda Reinhardt en s'efforçant de conserver son calme. Je suis de la brigade criminelle…oui, vous a-t-on amené un dénommé Luis Rodrigues, cet après-midi ?...Oui, j’attends... allô ? Oui, il s’agit d’un collègue de travail...Oui ? Et il est mort, dites-vous ?...comment ? Décapité ? Quelle horreur! Je vois...l'oeuvre d'un déséquilibré, sans doute…Je vous remercie...
Reinhardt était trop énervé pour feindre plus longtemps le dégoût et la tristesse. Il raccrocha en serrant les dents:
- Bravo, Lebeau, bien joué là encore! Tu t’es débarrassé de Luis, mais tu ne gagneras pas contre moi! Je vais trouver ton ami et le tuer; ainsi ma victoire sera complète ! Je sais où il se cache ; il n’y a qu’un endroit où tu as pu l’amener…j’aurais du y songer plus tôt.
Après quelques minutes de conduite à tombeau ouvert, la voiture entra sur l’autoroute, et Reinhardt prit la direction de Molsheim-Obernai.
La route du mont Sainte-Odile s'ouvrait devant lui.
- J’arrive, Cuchùlainn !



Esméralda gara sa voiture le long du quai Finkwiller, et se précipita dans la cabine téléphonique qui se trouvait juste à côté de la caserne des pompiers de la ville.
Lebeau lui avait donné comme consigne d’éplucher l’annuaire qui s’y trouvait en cas de changements concertés ou non, dans le déroulement de l’opération de récupération de l’épée.
Elle transpirait à grosses gouttes, plus par nervosité qu’à cause de la chaleur de cette nuit.
Elle avait sans cesse regardé à travers son rétroviseur de peur que Reinhardt ne la poursuive. Une fois elle s’était crue suivie, mais lorsqu’elle remarqua que les passagers de la voiture dans son rétroviseur étaient trois, elle avait poussé un soupir de soulagement.
Entrant comme une furie dans la cabine, elle ouvrit l’annuaire téléphonique et se mit à le parcourir frénétiquement.
Quand enfin elle tomba sur la page qu’elle cherchait, elle esquissa un sourire.
Des instructions lui avaient été griffonnées au marqueur, et la jeune femme reconnut la patte de son chef de Guilde:
"Consignes à appliquer en cas de changement de programme de dernière minute: porter l’épée à Frédéric Maisongrande, au couvent du mont Sainte Odile. Si il ne s’y trouve pas, prendre le mur païen en direction du Maënnelstein »
Le message portait la signature de Lebeau.
Comme elle en avait l’habitude maintenant, elle arracha la page et sortit son briquet pour la faire disparaître. Elle contempla la fine feuille se consumer à ses pieds, l’écrasa pour en étouffer la flamme et une fois la feuille en cendres, elle quitta les lieux.


Cuchùlainn quittait Obernai et s’apprêtait à s’engager sur la petite nationale le conduisant à Strasbourg.
La nuit était tombée depuis quelques heures déjà, et la Jaguar entra dans le village de Bischoffsheim, dernière étape avant la bretelle qui le conduirait sur l’autoroute pour Strasbourg.
Sa nouvelle épée était posée sur le siège arrière de la voiture, et il pouvait de temps en temps apercevoir une lueur reflétée par la lame lorsque les feux d’un camion venaient à le croiser.
Il demeurait calme, assez maître de lui malgré la colère et la rage qui bouillonnaient dans sa tête.
Une angoisse s’était emparée de lui au moment de quitter la montagne sacrée et de passer les barrages disposés par les acolytes de Lebeau pour interdire tout accès par la route au mont Sainte Odile; la peur de ne plus revoir Morrigann avait été plus forte que celle de perdre la vie, et cela signifiait pour lui que cette seule motivation suffirait peut-être à l’aider à terrasser son ennemi.
Son ennemi...Walter Reinhardt...l’un des plus farouches Immortels qui lui ait été donné d’affronter. Un ennemi motivé non seulement par le Prix, mais aussi animé par un esprit de vengeance plus fort encore...
Cependant, Cuchùlainn n’était pas disposé à lui pardonner ses actes pour autant: il lui avait volé Tir Inna M’Béo, et il devait réparer cette offense en lui faisant payer son crime de sa vie.
C’était comme ça. C’était sa règle…

La Jaguar prit le giratoire à la sortie du village et Cuchùlainn s’engagea sur la voie rapide le conduisant à Strasbourg.
Mais soudain, alors qu’il se préparait à accélérer avant de se déporter sur sa gauche et de quitter la bretelle d’accès, il remarqua une forme allongée au loin en travers de la chaussée.
Freinant d’un coup de patin brusque, il ne parvint cependant pas à éviter ce qu’il identifia comme étant une voiture; il la percuta de plein fouet et envoya sa Jaguar dans le bas côté.
Un buisson vint freiner la course sans contrôle de la voiture et celle-ci s’immobilisa brutalement, envoyant son chauffeur à travers le pare-brise s’écraser dans un champ de maïs.

Lorsqu’il revint à lui, quelques instants plus tard, Cuchùlainn frissonna.
Mais ce n’était pas le froid qui l’avait sorti de sa transe. Encore moins la peur de la solitude ou son isolement sur une route où étrangement ne circulaient ce soir aucune voiture...
Non, il fut surpris de constater que son angoisse provenait du plus profond de son être, il comprit alors qu’il ressentait en ce moment même l’accélération.
Un Immortel se trouvait près de lui...
Alors tout se passa très vite.
Persuadé que Reinhardt était derrière cet accident, il se releva d’un bond et couru à la voiture pour chercher son épée restée sur le siège arrière.
Il transpirait à grosses gouttes, et d’un revers de sa main il essuya ses tempes où le sang des plaies cicatrisées de son front se mêlait à la sueur. Il trébucha sur une pierre et poussa un juron en vieux Gaélique avant de se rétablir. Le temps pressait, il ne pouvait se permettre de se fouler encore une cheville !
Remontant le talus jusqu’à la voiture, sur la courte distance qui le séparait de son épée, il angoissait: si Reinhardt était déjà arrivé à la voiture, tout était fini...cette pensée lui donna un coup de fouet, et il sentit ses jambes reprendre de la vigueur.
Il arriva enfin à sa voiture; l’avant était en miette et toutes les vitres avaient volé en éclats. Il plongea sa main à la recherche de son épée à travers la portière arrière; mais sa main ne rencontra que des débris de verre sur les coussins.

C’est alors qu’une voix venant de l’autoroute le fit sursauter.
- C’est ça que tu cherches, dis-moi ?
Il se tourna vers une silhouette qui brandissait bien haut son épée, dont la lame brillait, éclairée par un lampadaire.
La fumée qui se dégageait de la carcasse ayant provoqué l’accident l’empêchait de distinguer les traits de l’Immortel qui se tenait devant lui. Reinhardt ou Rodrigues, peut lui importait dans le fond, puisque tous les deux en voulaient à sa vie.
- Approche, et qu’on en finisse, lui cria Cuchùlainn, les poings serrés contre ses cuisses, rageant de n’avoir pas été plus rapide à revenir à lui.
Mais en guise de réponse, la silhouette ricana.
- Es-tu si pressé de quitter ce monde ? N’as-tu pas encore quelques belles années à vivre en compagnie de ta charmante fiancée, l’autrichien ?
L’autrichien!
Une seule personne au monde connaissait ce surnom.
Il détestait ce surnom ! Et cette personne le savait bien. Aussi, pour le taquiner l’appelait-elle sans cesse par ce sobriquet ridicule.
Oui, ce ne pouvait être que...
- Lebeau ! Rémy, c’est toi ?
- Bien sûr que c'est lui, mon pauvre ami! Lui répondit une autre voix, une voix qui n’appartenait pour l’instant à aucune autre silhouette visible.
- Cette voix...Cornélius ? Mes amis !
L’homme dévala le talus et s’approcha de Cuchùlainn; il pu enfin distinguer les traits du cajun. Il se jeta dans ses bras, plus par soulagement que par épuisement. Lebeau le serra contre sa poitrine. Cornélius vint achever le trio en embrassant son vieux compagnon d'arme.
Le cajun desserra son étreinte et considéra le celte de pied en cape:
- Je craignais d’arriver trop tard; mais puisque tu es là, c’est que tout espoir n’est pas perdu!
Cuchùlainn dévisagea à son tour son compagnon:
- Que m’est-il arrivé ? Il y avait cette voiture, et puis boum !
- C’est de ma faute, commença Lebeau alors que les deux hommes entamaient l’ascension du talus; Cornélius soutenant Cuchùlainn le temps qu’il recouvre toutes ses forces. Quand j’ai appris le vol de ton épée, je me suis empressé de la récupérer. D’ailleurs, en ce moment, notre chère Esméralda, est en route pour le couvent où elle espère pouvoir te la remettre en main propre...mais vu que tu es là, elle ne trouvera personne…
- Tu as réussi à récupérer mon épée ?
- Oui; après quoi, avec Cornélius, je me suis mis en route pour te rejoindre et te mettre en garde. Reinhardt ne va sans doute pas tarder à monter te chercher pour t’affronter...il a fini par découvrir où je te cachais...mais comme j’ignorais tout de tes projets, et incapable de dire si tu allais ou non rejoindre Strasbourg ou non, je me suis permis de condamner l’autoroute avec ma voiture. Un coup de chance que tu sois passé par là !
Cuchùlainn ouvrit de grands yeux:
- Ta voiture ? J’ai percuté ta voiture ?
- Oui, enfin...quand je dis ma voiture...j’ai volé ce break et avec l’aide de Cornélius on l’a couché sur la voie. On pensait te stopper, pas provoquer cette chute toute folle !
- Mais...imagine qu’un autre que moi soit passé par là !
- Impossible, sourit Cornélius; j’ai condamné tous les accès à l’autoroute au moyen de panneaux volés par Lebeau à une entreprise de travaux publics; seule la bretelle de Bischoffsheim était accessible en voiture, mais pour ça il fallait descendre du massif du mont Sainte-Odile...et personne ne pouvait venir de là, la route étant fermée plus haut par les barrages de la DDE
Cuchùlainn ouvrit de grands yeux :
- Vous aviez vraiment tout prévu…c’est machiavélique!
Lebeau sourit
- C’est mon métier...
Ils venaient d’arriver devant l’épave de la voiture volée par le cajun lorsque le portable du chef des Voleurs sonna dans la poche de son trench coat. Il sortit l’appareil et l’approcha de son oreille:
- J’écoute.
La voix qui lui répondit le fit sourire: c’était Esméralda.
- J’ai l’épée; j’ai bien reçu ton dernier message et comme convenu je me dirige vers Obernai.
Cornélius demanda à son ami à qui il parlait au téléphone:
- Esméralda est en route, répondit-il en posant la main sur le combiné.
- Elle a réussi ?
Lebeau fit signe du pouce que tout se passait pour le mieux à Cuchùlainn et à Cornélius, puis il reprit le fil de sa conversation:
- Tu es en route pour Obernai ? Bon. Tu t’arrêteras quand tu apercevras une colonne de fumée au niveau de la sortie pour toi; on t’attendra sur le bas-côté ! Je suis avec Cuchùlainn, j’ai réussi à l’empêcher de rejoindre Strasbourg...
Rémy coupa la conversation et se tourna vers son ami:
- Cher Cornélius, ta douce ne va pas tarder à nous rejoindre, avec ton épée, mon frère, termina-t-il en se tournant vers Cuchùlainn...mais au fait, j’ai deux questions à te poser: d’où vient cette épée-là; et comment se fait-il que tu aies quitté le couvent en laissant Morrigann et Florence ?
- Florence est venue me raconter ce que tu lui avais révélé au sujet de Reinhardt...mais c’est de ma faute, ne l’en blâme pas: c’est moi qui ait insisté pour qu’elle parle. Alors je me suis mis à l’ouvrage, plus déterminé que jamais, forgeant une nouvelle lame...
Il la brandit et la caressa avec amour:
- La voici; dit-il en la présentant à ses deux amis.
Lebeau considéra l’épée :
- J’ai eu tout le loisir de l’admirer quand tu pionçais dans l’herbe tout à l’heure...elle est superbe !
- J’ai retrouvé les secrets du Fer et du Feu, leur mariage ne s’est pas fait tout de suite, crois-moi ! Il m’a fallu du temps avant d’obtenir cette merveille.
- Je te crois...
Cuchùlainn s’approcha de Cornélius:
- Maintenant, je suis très inquiet pour Morrigann: si Reinhardt venait à les trouver, elle et Florence, je n’ose imaginer la scène...je m’en veux d’avoir quitté la montagne ! Le sortilège de Morrigann faiblit avec le temps.
- Moi aussi je suis pas tranquille...Esméralda ne va plus tarder, à présent...tiens, écoute !
Le vrombissement d’un moteur de voiture se fit entendre, et les deux compagnons traversèrent la double voie pour se rendre du côté où la voleuse était censée les embarquer.
Lebeau, resté en arrière, prit au passage son épée dans le coffre du break cabossé et rejoignit Cuchùlainn.
Au bout de quelques secondes, ils purent enfin distinguer deux phares les éblouissant; mais la voiture ne semblait pas ralentir.
- Elle ne nous a sans doute pas vu, hasarda Cornélius. Je vais mettre ma lame face à ses phares pour l’éblouir et la forcer à ralentir.
Soudain, Cuchùlainn prit le bras de Lebeau:
- Ce n’est pas Esméralda…
- Quoi ?
- Couchez-vous.
Mais déjà le celte s’était approché de Cornélius et le fit se coucher à plat ventre.
- Bon sang, Cornélius...tu ne sens rien ?
La voiture passa à quelques mètres d’eux, et elle disparut vers la montagne. Cornélius se releva:
- J’ai ressenti quelque chose quand elle est passée...
Son regard se porta sur son compagnon, son visage était blême:
- C’était lui, j’en suis sûr ! Il se dirige vers la montagne ! Oh, mon Dieu!
- Laisse Dieu où il est, lui répliqua Lebeau, et calme-toi. Rien ne nous dit que ce que nous avons ressenti était bel et bien l’Accélération.
- Je suis formel, répliqua Cornélius. C’était Reinhardt.
Cuchùlainn s’était assis, abattu:
- C’est ma faute si il leur arrive malheur...jamais je n’aurais dû quitter la montagne.
Mais Lebeau s’était relevé et il lui attrapa le bras:
- Tais-toi et regarde !
Une voiture faisant des appels de phares arriva sur la voie, et elle ralentit en apercevant la colonne de fumée.
Esméralda s’arrêta et agita le bras vers Lebeau:
- Je me suis fait doubler par une voiture, il y a cinq minutes ! J’ai peur que ce soit...
Le cajun sauta à côté de la jeune femme dans la voiture, tandis que Cuchùlainn prit place à l’arrière. Cornélius embrassa avec fougue son autre moitié avant de prendre le volant.
- Repose-toi, poussin, et laisse faire l'expert...on a une poursuite au programme et ça c’est mon rayon!
- Tu as été géniale, ma chère, la félicita Lebeau. Et pour répondre à ta question, c’était bien Reinhardt qui vient de passer ! Maintenant il s’agit de foncer au Sainte-Odile, car s’il arrive malheur à Florence et à Morrigann...
Cuchùlainn sentit son coeur battre la chamade: à côté de lui reposait Tir Inna M’Béo, son épée, sa toute première épée, le fruit de toute une enfance...
Une larme coula le long de sa joue lorsqu’il empoigna le manche de sa lourde et vieille compagne. Il avait rêvé d’elle bien des nuits, et ses souvenirs ne l’avaient jamais trahis. Elle n’avait pas changée; la rouille et les outrages du temps ne l’avaient pas touchée...elle donnait l’impression de sortir de la forge.
Lebeau aperçut son compagnon à travers le rétroviseur, et il se retourna:
- Alors c’est elle, Tir Inna M’Béo...elle est fascinante, du moins en apparence.
- Cette épée est différente des autres...tu auras l'occasion de le voir si nous arrivons à temps. Fonce, Cornélius!
- Surtout arrange-toi pour ne pas esquinter ma bagnole, implora Esméralda.
Cuchùlainn serra son épée dans ses deux mains.
Désormais son esprit était entièrement obnubilé par l’image de Reinhardt s’en prenant à Morrigann. Il sentit la rage se réveiller en lui.
Il était prêt, maintenant.
Une tâche de lumière se détachait de la voûte céleste, silhouette du couvent endormi au sommet d’une montagne, et la voiture filait en sa direction…






* * *