03 novembre 2005

CHAPITRE III
Si le fait d’être le commandant en chef de la plus grande et de la plus hermétique des prisons de France ne suffisait pas à faire se gonfler d’orgueil la poitrine de Monsieur de Saint-Mars, la diversité de ses pensionnaires, ainsi que le mystère entourant certains d’entre eux y pourvoyaient largement.
Directeur de la Bastille depuis 1661, Saint-Mars avait accueilli ici en effet toute sorte de prisonniers; des voleurs et des criminels notoires jusqu’aux simples courtisans ayant manqué de respect à l’une des Dames de compagnie du Roi. Ou chose plus rare, au Roi lui-même. En général ces derniers cas se réglaient à la guillotine ou encore aux galères. Pourtant, des courtisans frustrés, il en avait déjà ferré pas mal: grâce à leur présence, Saint-Mars arrivait à savoir tout ce qui se passait dans l’entourage de Louis...
Mais le "joyau de sa collection", c’était cet étrange prisonnier qui lui avait été amené un soir de novembre 1694.
Une lettre mandatée par le Roi lui-même lui était parvenue quelques jours auparavant, dans laquelle on lui annonçait le transfert d'un prisonnier de la plus haute importance de la prison d' Arras jusqu'à la Bastille. Cet homme, disait la lettre, était dangereux car fou à lier, et représentait ainsi une menace pour l'équilibre du Royaume de France et qui plus est pour sa propre personne.
Mais plus étranges encore furent les conditions de son arrivée à la prison parisienne. En effet, le prisonnier arriva avec son escorte de nuit, quelques heures avant le lever du soleil. Cette mesure surprit Saint-Mars qui ne l’attendait que dans la matinée suivante. Mais le capitaine de l'escorte lui remit un pli contenant les ordres du Roi concernant le malfrat; un pli dans lequel il était stipulé que personne ne devait savoir que la Bastille abritait désormais un homme aussi dangereux. Seuls des gardes nommés par le Roi et qui accompagnaient l'homme depuis Arras, seraient habilités à le surveiller et à avoir des contacts avec lui. Monsieur de Saint-Mars, en sa qualité de gouverneur de la Bastille aurait bien entendu un droit de regard et de visite sur ce prisonnier, mais il serait le seul.

Non seulement les consignes données à monsieur de Saint-Mars sortaient de l’ordinaire, mais le prisonnier lui-même avait de quoi déconcerter le gérant de la Bastille: ses vêtements, tout d’abord, étaient des plus élégants et des plus raffinés; d’ailleurs, il avait droit à sa propre garde-robe avec lui dans son cachot. Saint-Mars, qui avait déjà connu le privilège d'être présenté à la Cour, pouvait témoigner: seuls les plus riches courtisans du royaume portaient de semblables atours. Lorsqu'on avait installé le prisonnier dans sa cellule, l'un des gardes préposés à sa surveillance s'était chargé lui-même de ranger ses effets personnels et il y en avait pour une fortune en vêtements et lingerie de corps.
Son cachot, la plus belle des cellules, aménagée pour accueillir un prince, décorée par les grands maîtres tapissiers de la capitale, et payés par le surintendant du royaume lui-même!
Si seulement Saint-Mars savait qui était cet étrange prisonnier dont on prenait tant de soin...pour lui, si quelqu’un avait voulu le protéger, on n'aurait pas agi autrement. Entre ces murs inviolables personne ne pouvait menacer qui que ce soit. Pourtant, si cet homme avait tant besoin de protection, comme le pensait Saint-Mars, il n’aurait pas dû se retrouver ici, mais bien dans un château quelque part en province, ou mieux, à l’étranger; surveillé par les meilleurs espions du Roi.
Car dans l'esprit du gouverneur, il était on ne peu plus clair que ce prisonnier n'en était pas vraiment un, même si il était traité malgré ses égards comme le pire des truands.

Mais tout ce faste autour de l’hôte mystérieux n’était rien en comparaison du personnage en question: dès son arrivée, on avait fait évacuer tous les couloirs par lesquels il devait passer pour rejoindre sa cellule: les ordres étaient on ne peut plus explicites: personne ne devait le voir ni lui parler. Mis à part les personnes autorisées dont Saint-Mars faisait parti. Sur le registre cette nuit fut enregistré un dénommé Eustache Dauger, de Valenciennes...
Eustache Dauger - c’était son nom - ne devait avoir aucun contact extérieur, excepté avec Monsieur de Saint-Mars et avec ses gardes personnels qui le suivaient depuis le début de sa captivité.
Comble de sécurité: le prisonnier se déplaçait en portant un masque de cuir sur la tête; et quand une des personnes autorisées lui rendaient visite dans son cachot, il le recevait avec un masque de velours cachant ses traits. Le Roi avait personnellement rédigé une missive à Saint-Mars, l’informant qu’un grand ennemi de l’état lui serait confié, et que de sa propre vie dépendrait de sa sécurité et de son confort.
Il l’avait autorisé par la même à contempler ce visage qui devait rester caché aux yeux du monde, et il lui avait fait jurer de ne jamais trahir le secret dont il était à présent dépositaire. Le Roi pensait en effet qu'une fois Saint-Mars impliqué dans l'affaire, il demeurerait muet comme une tombe et ce jusqu'à sa mort. Il ne s'était pas trompé quant au dévouement du directeur de la Bastille à son sujet.
Mais contre toute attente de sa part, la surprise vint du prisonnier en question; en effet, ce dernier refusa de donner suite à cette requête, promettant la mort à Saint-Mars si quelqu'un venait à apprendre qu'il s'était dévoilé devant lui...
Aussi Saint-Mars se contenta-t-il de cette tournure que prenait les événements, sans poser la moindre question sur ce prisonnier au masque de velours...de toutes façons, des prisonniers, il en avait suffisamment à surveiller sans encore s’encombrer de soucis supplémentaires: traîtres, espions, gentilshommes déchus ou ruinés, opposants à la politique de Louis...
Et puis il y avait cet autre cas, cet autre prisonnier, d’origine italienne, selon toute vraisemblance... il avait été amené par ordre du Roi, sans motif particulier, avec l’ordre de rester enfermé jusqu’à ce que les événements auxquels il était associé puissent permettre sa libération. Bien entendu, comme à l’accoutumé, Saint-Mars ignorait tout des événements en question et ne savait que faire de ce prisonnier qui finirait probablement sa vie dans un des cachots humides et pestilentiels de sa prison forteresse.
Ce prisonnier aussi avait de quoi surprendre: depuis trois années qu’il était ici, aucune maladie ni aucun virus n’avait encore eu raison de lui. Pas une fluxion de poitrine, pas même la moindre petite quinte de toux. Pas de trace sombre sur le corps, aucune excroissance pouvant laisser supposer la peste, rien ! Et malgré le manque d’hygiène et l’insalubrité des lieux, malgré le pourrissement avancé de la nourriture qui lui était distribuée, jamais on ne pu diagnostiquer chez lui la moindre intoxication alimentaire.
- Un cas exceptionnel de résistance physique et mentale, pensait Saint-Mars. Car la prison de la Bastille ne pouvait être indemne de toutes maladies et épidémies infectieuses liées aux conditions d'hygiène déplorables. Il faudra qu’il ait subi pire traitement ailleurs, et que son corps se soit endurci de façon considérable...
Dieu, qu’il aurait aimé que tous ses prisonniers soient comme cet italien ! Hélas pour lui, ce n’était guère le cas. Il ne se passait pas un jour sans que le médecin de la prison ne demande une mise en quarantaine pour un début d’infection tuberculeuse, ou pire encore, pestilentielle. Un beau jour, ce fut même le fameux Eustache Dauger qui tomba malade, victime d’un malaise après avoir déjeuné de poisson et de pomme de terre. En vertu des consignes qu’avait reçues Saint-Mars, on fit immédiatement appel au meilleur médecin de Paris...
Obligé d’informer le Roi de l’état de santé du prisonnier tous les trois jours, il avait reçu l’ordre de ce dernier d’exécuter le médecin sitôt la consultation terminée, et le traitement dispensé. Fort heureusement pour Saint-Mars, Dauger s’était très vite rétabli; et comme il le lui avait été ordonné, le médecin fut poignardé sur le chemin du retour par un voleur Parisien, grassement payé par le directeur de la Bastille.

Mais un événement tout aussi tragique eut lieu quelques jours plus tard, concernant le prisonnier italien, cette fois-ci...
Accompagné du responsable des cachots de l'étage où se trouvait sa cellule, Saint-Mars se rendit auprès du prisonnier, comme celui-ci le lui avait demandé quelques heures auparavant.
D’habitude, Saint-Mars n’est pas homme à se déplacer pour un simple détenu...seulement ce cas-là avait requis toute son attention, car l’homme l’a menacé de révéler à qui voulait bien l’entendre quelques secrets concernant l’homme au masque de Velours, comme on l’appelait maintenant à la Bastille...
Suivant le geôlier, le gouverneur cherchait dans ses souvenirs à quelle occasion il avait pu toucher un mot de son prisonnier à cet italien. Force lui fut de constater qu'il n'en trouva aucun. C’est pourquoi il s’était déplacé, afin de tirer les choses au clair. D'où cet homme pouvait-il avoir obtenu de tels renseignements, sur un homme qu'il était censé n'avoir jamais vu de toute sa vie ?

Lorsqu’il ouvrit le cachot, le garde s’effaça pour laisser entrer Saint-Mars.
Le directeur de la Bastille fut assailli par l’odeur tenace d’urine et d’excréments qui sortait de la cellule; il sortit son mouchoir de sa poche et s’en couvrit le nez jusqu’à ce qu’il parvint à s’accommoder quelque peu à l’odeur.
L’italien se tenait assis sur son lit de paille, au fond de la cellule, sous la lucarne aux épais barreaux de fer. Il se leva néanmoins pour saluer l’entrée du directeur. Mais Saint-Mars l'apostropha sans aucune autre forme de politesse:
- Don Fédérico Luigi, Comte de Vittorio Vento; je vous écoute. Qu’avez-vous de si important à me communiquer pour m’obliger à me déranger dans mon travail ? J’ai entendu par le capitaine de la garde les propos incohérents que vous avez tenus et je suis venu vous en demander explication !
Celui que Saint-Mars avait appelé Comte de Vittorio Vento se tourna vers lui:
- Monsieur, savez-vous pourquoi je croupis dans cet infâme cachot, au milieu de la vermine et des rats, depuis bientôt trois longues années ?
- Pour le meurtre de Bartholomé Esteban Murillo, espion de notre Roi Louis, que vous avez sauvagement décapité au cours d'une de ses missions, à Barcelone. Mais pourquoi cette question, Vous savez comme moi pourquoi vous êtes ici. Certes, j'ai été surpris par votre titre et le motif de votre condamnation lorsque vous fûtes amené ici, mais sans doute votre titre n’était-il qu'un subterfuge pour mener à bien votre vile besogne en Espagne...
Fronçant soudain les sourcils, le directeur de la Bastille le fixa droit dans les yeux:
- J’espère pour vous que ce n’est pas la raison pour laquelle vous m’avez fait appeler, le pourquoi de votre séjour chez nous !
- Non, non...
Fédérico Luigi se détourna vers la minuscule fenêtre à barreau de sa cellule.
- Ca n’est pas pour cela...
Saint-Mars jeta un coup d’oeil sur l’état du cachot: n’importe quel prisonnier vivant ici depuis trois ans aurait déjà attrapé soit la galle soit la peste bubonique, tant les conditions d’hygiène étaient déplorables. Il ne put s'empêcher d'y faire allusion devant le prisonnier:
- Dites-moi, depuis tout ce temps, vous n’avez pas été une seule fois touché par la maladie... vous devez avoir une santé de fer, jeune homme !
-C’est que je n’ai pas la chance de porter un masque de velours, ni d’occuper un luxueux cachot, moi ! Aussi suis-je obligé de survivre par mes propres moyens.
Cette fois, Saint-Mars commençait à prendre les sous-entendus de l’italien très au sérieux. Il murmura au garde de les laisser seuls un moment, et de se tenir prêt derrière la porte.
Une fois seul en compagnie du prisonnier, Saint-Mars retrouva un peu de son assurance.
- Fédérico, je suis certain de ne jamais vous avoir parlé de ce prisonnier. Pourtant, vous semblez le connaître, je me trompe ?
- Je n’ai jamais parlé avec Eustache Dauger, si c’est ce que vous voulez savoir; lui répondit le jeune homme, le visage toujours tourné vers le fenestron.
Saint-Mars était étonné d’entendre le nom de Dauger sortir de la bouche de l’italien.
- Vous connaissez pourtant son nom...
- Un nom n’est jamais rien d’autre qu’un nom...n’importe qui peut l’endosser, telle une cape.
- Qui vous a parlé de lui, Fédérico? Vous devez me répondre ! Vous venez de prononcer son nom, et jamais personne ne vous l'avait dit ici...
- Personne ne m’a parlé de lui...mais je le connais. Du moins connais-je son visage...
Les jambes du gouverneur commençaient à vaciller, mais il se ressaisit et son ton devint plus insistant:
- Parlez, au nom du ciel ! Dites-moi ce que vous savez !
Fédérico se tourna vers le gouverneur, les mains jointes dans son dos; un petit sourire ironique se dessina sur son visage:
- Vous craignez pour votre vie, Saint-Mars ? Alors je ne m’étais pas trompé sur l’identité véritable de cet Eustache Dauger...
Puis, reprenant son air fatigué et découragé, il s'assit sur sa paillasse avant de poursuivre:
- Monsieur de Saint-Mars, il est temps pour moi de quitter cet endroit maudit; je n’ai que trop perdu de temps ici, et mes affaires en ont passablement souffert déjà. Aussi vais-je vous dévoiler ce que je sais au sujet d’Eustache Dauger, l’homme au masque de Velours...
Pour commencer, il ne s’appelle pas plus Eustache Dauger que moi Louis le Quatorzième; son nom de baptême est tenu secret depuis le jours de sa naissance. Il a été séparé de sa mère qui ignorait jusqu’à sa naissance, et fut confié à une nourrisse d’Arras. Puis, une fois atteint l’âge d’homme, il fut capturé et emprisonné. Ensuite sa vie ne fut que séjours et voyages dans diverses prisons, toujours entouré de cet étrange mystère, avant d’échouer ici. Le motif de sa capture était une stupide histoire de vol chez un aristocrate de Paris...or Dauger ne fréquentait pas le monde, pour la bonne et simple raison qu'il ne le pouvait pas.
Vous allez sans doute me demander d’où je tiens tout ça: je sais tout cela, Saint-Mars; eh bien pour la bonne et simple raison que je me trouvais dans la chambre la nuit de la naissance de cet homme au destin si misérable.
J’étais aux côtés de ceux qui reçurent l’ordre d’endormir sa mère sitôt après la naissance de son premier enfant, après la naissance de son frère jumeau ! Car le destin tissa la toile d’un drame qui allait mettre en péril tout le royaume...
Dévisageant son interlocuteur, le prisonnier marqua un temps d’arrêt avant de reprendre:
- Je vois à l'expression de vos yeux que vous commencez à comprendre. Oui, Monsieur de Saint-Mars, j’étais un des médecins qui firent accoucher la mère de Louis... et de son frère ! Il ne pouvait y avoir qu’un seul souverain; aussi le sort du second enfant fut scellé dès son premier cri. Mais de part sa consanguinité avec le futur Roi de France, il ne pouvait être exécuté. C’est pour cela que tant que Louis vivra, cet homme vivra. Dans l’ombre et le secret.
Saint-Mars avait écouté cette abracadabrante histoire sans souffler mot.
Le comte de Vittorio Vento reprit son discours:
- Tout ce luxe, tous ces mystères commencent-ils enfin à avoir un sens pour vous ? Pendant ses jeunes années je lui rendais visite, me faisant passer pour un lointain cousin de la famille de sa mère...il avait été placé en nourrice loin de la Cour, mais la Cour ne le perdit jamais de vue... jusqu'au jour où Louis monta sur le trône...vous devinez ensuite ce qui se passa...nous sommes dépositaires du secret du Roi, Saint-Mars ! Voilà pourquoi vous ne quitterez jamais la Bastille, et moi non plus, malheureusement ! Tant que Louis et son frère pourront être confondus, l’un des deux devra tout ignorer de l’autre; et vous savez de par ses lettres que le Roi sait tout à propos de son frère. Quant au pauvre Eustache Dauger, il ignore tout du pourquoi de ce masque qui cache son visage au monde, comme si il s'agissait là du plus infâme des crimes. Tout le mystère vient de là...et cela parce qu’il plut à Dieu de donner des jumeaux à la France.

Saint-Mars avait écouté le discours du Comte sans broncher. Pourtant, au plus profond de son coeur, il n’arrivait pas à en croire ses oreilles.
Ainsi les motifs de sa présence ici étaient aussi faux que ne pouvaient l’être ceux pour lesquels le Roi avait fait exécuter le médecin qui s’était occupé de Dauger...ou quelque soit son vrai nom.
- Et qu’est-ce qui me prouve que toute cette histoire n’est pas un gigantesque mensonge ?
Il avait besoin de savoir. Il lui fallait tenter de trouver une faille dans le raisonnement de cet homme pourtant si bien huilé en apparence. Il le fallait non pas pour l'intérêt du royaume, mais pour sa propre personne, pour s'assurer qu'il n'était pas devenu subitement fou.
- Interrogez votre coeur, Saint-Mars, et vous connaîtrez la vérité. Si elle est différente de mes dires, alors vous saurez que je ne suis qu’un fieffé menteur.
Puis, se retournant vers le fenêtrons:
- Mais vous savez très bien qu’il n’y a pas une once de mensonge dans tout ce que je viens de vous confesser ici...
Saint-Mars s’approcha du Comte, et regarda par-dessus son épaule. Une étrange intimité venait de naître entre les deux hommes, liés désormais par un secret qui ne devait jamais quitter les murs suintants de la cellule de l’italien.
Il était proche du prisonnier italien, malgré l'odeur qu'il dégageait, aussi proche qu'il le serait d'un ami, songea-t-il. Sa voix ressemblait presque à un murmure lorsqu'il s'adressa à Fédérico:
- Vous savez ce que cette confession va vous coûter, n’est-ce pas ? Sans quoi vous ne m’auriez pas fait venir... Vous désirez en finir avec votre calvaire...
- Non, Monsieur de Saint-Mars; ce que je désire, c’est fuir loin d’ici, loin de ce cachot humide et moisi...et vous allez m’y aider !
- Quoi ?
Jamais Saint-Mars ne se serait attendu à un tel revirement de situation. Décidément, il allait de surprise en surprise avec cet homme, se dit-il.
- Il est hors de question pour moi de vous faire évader !
- Si vous ne me faites pas libérer, je divulgue ce que je sais à toute la prison ! Le Roi ne pourra faire exécuter tout le monde, sans attirer l’attention sur ce qui se trame en ces murs ! Beaucoup d'ennemis de la France cherchent à trouver la faille pour renverser Louis, et la présence ici d'un remplaçant potentiel donnerait le départ à des complots que même vous ne pouvez imaginer. Un roi ignorant tout des rouages du pouvoir, un bloc d’argile à modeler à la convenance de celui qui s’en sera emparé...
- Vous êtes fou, Fédérico, lui répondit posément le directeur de la Bastille. Mais il en sera fait selon votre volonté...
Fédérico Luigi sourit:
- Je sais que vous ferez au mieux, Monsieur de Saint-Mars...quelque soit le moyen que vous emploierez, le subterfuge dont vous userez. Il est temps pour moi de sortir enfin d’ici.
Saint-Mars s'approcha de la porte, frappa trois petits coups; le garde lui ouvrit.
Avant de quitter l’italien, il se tourna une dernière fois vers lui:
- Vous savez ce que je m’efforce de tenir secret, et rien que pour ça il est souhaitable que vous nous quittiez prochainement. Au revoir, Comte.
Une fois la porte fermée, il s’adressa au garde:
- Cet homme a perdu la raison. il vient de me compter une fable des plus inquiétantes. il représente un danger pour la sécurité des autres prisonniers, et pour la nôtre...tuez-le cette nuit, et jetez son corps dans la Seine. Soyez discret, ou vous le rejoindrez !

Resté seul, Fédérico Luigi contempla la Seine couler lentement entre les berges des quais parisiens.
Au loin, le soleil commençait à se coucher...

*

Cette fois-ci, Le lieutenant Goldberg était sûr d’avoir entendu du bruit dans le couloir.
Depuis plus de trois heures maintenant il était seul à cet étage; le prisonnier dormant probablement au fond de sa cellule, et Frantz parti sitôt son rapport tapé, seule la machine à café du couloir produisait un ronflement régulier qui avait tendance à bercer le lieutenant.
Lorsqu’on avait amené Maisongrande en garde-à-vue, elles étaient pleines à craquer. Aussi Goldberg avait-il ordonné qu’on le conduisit au troisième étage du poste de la rue du Fossé des Treize, dans le bureau réservé à la garde des mineurs en fugue, et qui possédait les mêmes avantages qu’une cellule de garde à vue...
Il avait accompagné Maisongrande, ainsi que Frantz et trois autres collègues qui se relayeraient pour le garder, comme l’exigeait le règlement.
Mais le bruit qu’il avait perçu quelques minutes auparavant ne ressemblait pas au doux vrombissement du distributeur de boissons. Non, on aurait plutôt dit un bruit de clé tournée dans une serrure. Cela ne l’avait pas préoccupé pour autant la première fois, mais maintenant qu’il y repensait, il se rendit compte qu’il n’y avait aucune porte fermée à clé à cet étage...
Goldberg posa le magazine qu’il était en train de lire avec attention. Atteignant son revolver rangé dans son étuis suspendu au portemanteau de son bureau, il le sortit de sa gaine, vérifia le contenu de son chargeur avant de le réenclencher dans son automatique. Tous les officiers avaient le choix de leur arme, et alors que tous avaient opté pour un revolver à barillet, lui s'était tourné vers un Beretta des plus classiques.
Il hésita avant de chambrer une cartouche dans la culasse:
- Bon sang, je deviens parano ou quoi ? Se demanda-t-il en glissant son arme dans sa ceinture. Je me conduis comme ces flics de séries américaines ! Comme si un tueur se baladait dans la maison...bon sang, quand je suis crevé, moi, je pète un plomb, mais quelque chose de sévère !
Cette pensée aurait dû le rassurer. Le bruit se reproduisit. Il se rapprochait. Goldberg n’avait aucune idée de l’identité de ce "il". Peut-être était-ce tout bêtement l’agent de garde à l’accueil qui faisait une ronde de routine!
Il sursauta encore en entendant des bruits de pas derrière la porte vitrée du couloir.
- Calmos, Sam: si tu descends un collègue, t’auras l’air fin à expliquer ta paranoïa dans ton rapport: tu seras bon pour le blâme et l'asile !
Les bruits de pas venaient de cesser. Détendu, Sam rangea l'arme dans sa ceinture.
- Tu attends que la porte s’ouvre, et surtout tu te détends ! Se motiva-t-il en serrant instinctivement son Beretta dans sa main droite.
S’il avait pu se voir, il se serait trouvé ridicule: il était à présent à genou contre sa porte de bureau, les yeux fixés sur la vitre du couloir où il distinguait maintenant une silhouette d’homme assez grand.
- Pourquoi tu portes pas ta casquette, connard, si c’est bien toi ? Murmura-t-il, dégoulinant de sueur froide. Parce qu'on ne porte pas sa casquette dans les locaux, triple idiot ! Oh dis-moi que c’est bien le planton qui s’ballade...

Soudain, un grand bruit accompagna le bris de la vitre de la porte.
Un objet long et brillant vint s’enfoncer dans la vitre, la faisant voler en mille morceaux. Goldberg ouvrit de grands yeux sur l’objet: la lame d’une épée !
La confirmation ne se fit pas attendre; lorsque le poignet de l’homme vint racler les rares morceaux de verre encore accrochés dans la porte. Puis d’un coup de pied, il défonça le verrou et la porte vint se fracasser contre le mur.
L’auteur de cette entrée spectaculaire se tenait debout dans l’encadrement de la porte, une gigantesque épée à la main droite, la main gauche ensanglantée par le "nettoyage" de la vitre. Goldberg, un instant décontenancé par les événements, se ressaisit.
Il cria à l’adresse de l’inconnu:
- Plus un pas ! Jette ton arme par terre, doucement, et pas de bêtise !
Mais l’homme ne prêta aucune attention aux dires du lieutenant. Posant son épée contre le mur, il s’appuya contre la machine à café en poussant un hurlement, parvenant à la renverser contre la porte. Goldberg eut juste le temps de s’écarter avant de la prendre dans la figure.
- Merde, pesta-t-il contre l’inconnu; ce type a une force herculéenne !
Constatant l’étendue des dégâts, il remarqua que la sortie était en partie obstruée par le distributeur de boissons, ou du moins par ce qu’il en restait. Il tendit l’oreille et entendit l’étrange visiteur s’éloigner en direction des étages et de la petite cellule de garde à vue.
- Oh bon sang, Maisongrande...
D’un bond qui le surprit lui-même, il se releva, et tenta de pousser la machine à café de devant la porte. Mais son poids lui opposa une résistance féroce.
- Saloperie ! Plus jamais je boirai de café, moi, j’te le jure !
Il chercha alors rapidement une solution à son délicat problème. Apercevant le téléphone, il se jeta sur le combiné, priant pour qu’une tonalité réponde à son geste. Miracle, pensa-t-il, l’inconnu n’a pas touché aux fils du téléphone !
Goldberg composa le numéro du central, rue de la Nuée Bleue; un préposé à l'accueil de nuit lui répondit au bout de trois sonneries:
- Hôtel de Police de la Nuée Bleue...
- Ici le lieutenant Goldberg, matricule 341 289 ! J’ai une tentative d’évasion avec violence au Fossé des Treize ! Envoyez vite du renfort...et une ambulance, parce que je crois bien que le collègue de permanence est gravement touché.
Une voix timide partagée entre la curiosité et l’incrédulité murmura dans le combiné:
- Lieutenant ?
- Vite ! Je suis seul au premier, isolé dans mon bureau. Il y a une espèce de malade qui fout tout en l'air ici, et qui risque de s'en prendre à un gardé à vue. Il reste que le gardien qui le surveille et moi, les autres sont en patrouille, alors prévenez la B.A.C, le G.I.P.N ou je ne sais qui mais faites au plus vite, c'est juste à côté.
Il raccrocha le combiné et retenta de pousser le distributeur automatique de devant sa porte.
Après s’être calmé et reconcentré sur l’obstacle, il poussa un grand cri avant de se jeter épaule en premier contre la machine. L’effet fut immédiat: celle-ci se retourna sur un autre côté, projetant du même coup Goldberg dans le couloir, entraîné par son élan. Il poussa un cri, son épaule devant être sérieusement touchée. Néanmoins, il se releva péniblement et, sortant son automatique de sa ceinture, il se précipita sur les pas de l’inconnu.

L’homme à l’épée venait d’arriver devant une porte en bois portant l’inscription: Brigade des mineurs.
Un sourire se dessina sur son visage, puis il fit jouer la poignée de la porte. Comme elle était fermée, il brandit une nouvelle fois sa lourde épée et la fit s’abattre sur le verrou qui céda au premier assaut.
Devant lui se tenait debout un gardien à moitié endormi qui ouvrit de grands yeux en apercevant sa silhouette. D'un geste, l'inconnu l'éventra et l'envoya s'écraser contre un mur, le ventre ouvert de haut en bas.
Maisongrande fut réveillé par le bruit de fracas de la porte d’entrée des cellules.
Alors qu’il se redressait sur sa couche, il fut prit d’un étrange malaise, ressentant la présence de l’inconnu. La peur s’empara un court instant de lui. Recouvrant toute sa lucidité, il se mit à regarder autour de lui, cherchant un moyen de quitter la cellule avant l’arrivée de son agresseur potentiel. Trop tard pour s’enfuir: la lumière s’alluma soudain, le faisant sursauter. L’homme à l’épée venait juste de faire son apparition dans la salle de sa cellule. Maisongrande ouvrit de grands yeux, sans que la brusque intensité lumineuse ne lui provoquât aucune gêne, et dévisagea l’homme.
Ce dernier avait l’air satisfait de sa trouvaille; il s’avança vers les grilles qui le séparaient de Maisongrande, resserrant le manche de son épée dans sa main droite:
- Comme on se retrouve, Cuchùlainn...
Le prisonnier fixa son regard dans celui de son interlocuteur:
- Rodrigues...
- Eh oui, Rodrigues...comme tu vois, le temps ne m’a pas eu, pas plus que tous les autres cinglés qui ont cherché à avoir ma peau...
Il serra le manche de son épée plus fort dans sa main:
- Ca fait un bail depuis notre dernière rencontre...
- Arrête, coupa Maisongrande qui visiblement n’avait aucune envie d’évoquer leurs souvenirs communs. Qu’est-ce que tu me veux ? Je croyais qu’on avait réglé nos différents !
Rodrigues ricana:
-Tu avais réglé les choses selon ton bon plaisir, MacDatho ! Mais pour moi, elles ne seront définitivement réglées que lorsque tu perdras ta tête...on dirait que ta nouvelle vie t'a fait oublier le sens de certaines valeurs ! On règle toujours ses dettes si on veut vivre en paix.
- Ecoute, Luis, je suis sûr qu'au nom de notre vieille amitié...
- Comment oses-tu parler d'amitié après ce que tu m’as fais, espèce de salopard ? On dirait que vous avez tous pété les plombs ! Comment peut-on être des amis les uns pour les autres, alors que l’issue de notre affrontement est certaine ? Seule ta mort m'apportera la paix...cette paix dont tu m'as frustrée. Eh mais on dirait que tu trembles ? Toi, le grand guerrier...
Le bruit des sirènes se fit soudain entendre au dehors: les renforts demandés par Goldberg arrivaient enfin sur les lieux du drame. Déjà les premiers policiers montaient les escaliers conduisant au troisième étage.
Entendant l’agitation, Rodrigues leva son épée en direction du verrou de la cellule de Casagrande:
- Bien, c’est pas tout ça, mais finissons-en avant que les autres ne rappliquent !
Poussant un grand cri, il brisa le verrou de la cellule.
Maisongrande recula, rencontrant le mur dans sa retraite. Le Portugais s’avança lentement, prenant le manche de son arme avec ses deux mains. Ses yeux s’animèrent d’une étrange lueur de satisfaction, et la bave lui dégoulinait d’entre les lèvres, donnant à son sourire un air inquiétant et fanatique.
- Depuis le temps que j’attendais cet instant...adieu, Cuchùlainn MacDatho.
Brandissant son arme, il poussa un hurlement:
- Il ne peut en rester qu’un !!
Au même moment, Maisongrande saisit l’oreiller de sur sa couche, et le jeta à la figure de Rodrigues. Profitant de l’effet de surprise, il se rua sur le portugais. Le poussant à la renverse, il parvint à se jeter hors de la cellule, au moment où les agents de la brigade d’intervention firent leur apparition dans la pièce.
- Que personne ne bouge ! Jetez votre arme à terre et pas un geste !
Rodrigues écumait de rage. Jetant un regard vers Maisongrande, il lui décocha un sourire en coin:
- On se reverra, MacDatho, pour ça tu peux me faire confiance ! J'ai passé des années de ma vie à te retrouver, ce n'est pas pour lâcher le morceau maintenant !
Puis il se tourna vers les policiers qui le tenaient en joue de leurs fusils d’assaut. Il fit un pas en leur direction, ce qui eut pour effet de leur faire armer les fusils. Le responsable de l’unité réitéra son avertissement:
- Plus un geste! Couchez-vous sur le sol, mains bien à plat !
Rodrigues éclata d’un rire gras.
Tout se passa alors très vite: le portugais fit un bond de côté, et prit son élan avant de se jeter contre la fenêtre du mur opposé aux cellules. D’un coup d’épée il brisa la vitre en morceaux avant de passer au travers en hurlant comme un démon.
Goldberg se dressa derrière le responsable de l’unité d’intervention:
- Dieu tout puissant ! On est au troisième, il va se rompre le cou !
Il couru vers la fenêtre afin de repérer le cadavre du Portugais. Alors qu’il se penchait, il poussa un cri lui aussi:
- C’est pas vrai! C'est Houdini, ce gars ou quoi ?
le capitaine de l’équipe d’intervention le rejoignit:
- Quoi, qu’est-ce qui se passe ?
- Regardez vous-même, sinon vous ne me croirez pas...
Le policier se pencha vers la rue du fossé des Treize.
Celle-ci était déserte. Pas un corps sur la chaussé, pas un passant.


Frédéric Maisongrande but une autre gorgée de thé noir.
Il avait fini de déposer à l’instant pour la seconde fois de la nuit, et enveloppé dans une couverture grise, il était assis dans le bureau de Goldberg dont on avait dégagé correctement l’entrée. Dans le couloir, le commissaire principal et les experts du laboratoire d’analyse relevaient les empreintes laissées par Rodrigues un peu partout sur les différentes portes qu’il avait fracassées.
Au rez-de-chaussée, l’ambulance venait d’embarquer le garde de nuit, dont le visage était atrocement mutilé. Le décès avait été constaté par la brigade d’intervention dès leur arrivée.
Le commissaire principal entra dans le bureau suivi de Goldberg.
Dévisageant Maisongrande, il se tourna vers son subordonné:
- C’est lui, la victime ?
Goldberg acquiesça d’un signe de tête:
- L’autre espagnol allait proprement le décapiter si on était pas intervenu à temps.
- Encore heureux que vous soyez intervenus, lui rétorqua le commissaire principal. On est dans un poste de police ou dans une fête foraine, ici ?
Se tournant vers Maisongrande:
- Vous connaissiez l’agresseur, n’est-ce pas ? Il paraît qu’il vous a appelé par votre nom...
- Il lui a donné un autre nom que celui que nous possédons sur sa déposition, rectifia Goldberg. Mais visiblement ils s’étaient déjà vus auparavant. Un pseudonyme, probablement...
- Vous faîtes erreur, lieutenant: je ne connais pas cet homme.
Casagrande avait répondu sur un ton glacé, avec une fermeté qui surprit le principal.
- Voyons, s’avança Goldberg, vous l’avez appelé Rodriguez tout à l’heure ! Et maintenant vous affirmez que vous ne le connaissez pas ?
- Je l’ai confondu avec un autre, voilà tout...
- Eh bien pourquoi pas, railla le commissaire principal; vous devez en rencontrer tous les jours, des gars qui veulent vous couper le sifflet, pas vrai ? Un bon conseil, ne vous foutez pas de nous, et dites-nous ce que vous savez sur ce type qui, a le pouvoir de disparaître après une chute d’au moins vingt mètres !
- Je vous répète que je n’en sais rien. Bon, vous comptez me garder encore longtemps ou bien je peux disposer ?
Le principal se tourna vers lui, rouge d’indignation:
- Non mais vous vous croyez au cirque, ma parole ? On ne sort pas d’ici comme de dans une gare !
- Certes, mais on y rentre comme dans un moulin, lui répondit posément Maisongrande en se levant. Si vous n’avez plus de question à me poser, je me retire. Sauf votre respect, je me sens plus en sécurité dehors qu’ici !
Il se dirigea vers la sortie du bureau. Derrière lui, le commissaire principal était hors de lui:
- Ca suffit ! Vous dépassez les bornes ! Revenez immédiatement ici, vous m’avez bien compris ?
Maisongrande releva le col de sa veste:
- Sans chef d’accusation, vous ne pouvez me retenir contre mon gré, lança-t-il sans se retourner. Bien le bonsoir, messieurs !
- Eh ! On vous a quand même coffré pour tentative de cambriolage !
- Mais comme rien n’a été volé, que personne n'a porté plainte, je m’en vais...
- La tentative est punissable !
- Je me préparais à entrer par effraction. Rien ne laissait supposer que je comptais voler quelque chose...bien le bonsoir, messieurs.
Goldberg sortit dans le couloir et le rattrapa par la manche:
- Vous en savez bien plus que ce que vous avez bien voulu nous dire, déclara-t-il posément à Maisongrande. Mais vous avez raison, on ne peut vous garder sans déposition contre vous ou sans preuve tangible. Or tout ce que nous possédons pour le moment, c’est un fou de plus de un mètre quatre-vingt se baladant avec une épée à deux tranchants quelque part dans les rues de Strasbourg après avoir survécu miraculeusement à une chute vertigineuse. Mais je compte bien éclaircir toute cette affaire, croyez-moi !
Maisongrande le regarda à son tour:
- Je vous souhaite bien du plaisir, lieutenant Goldberg.
Puis il tourna les talons et s’engagea dans l’escalier.
- MacDatho !
- Quoi encore ?
Maisongrande pâlit: il venait de se faire avoir comme un bleu ! Le lieutenant devait avoir entendu Rodrigues l'appeler ainsi, et il venait de répondre à son nom naturellement sans se soucier des conséquences.
Goldberg lui sourit:
- On se reverra...


Luis Rodrigues se frappa l'épaule contre un mur de béton des entrepôts du quai du port.
Personne ne l'avait suivi, et personne ne pourrait retrouver sa trace: il était trop doué pour disparaître dans la nature au gré de sa fantaisie.
Mais le sentiment d'échec qui le rongeait le rendait nerveux et colérique. Il avait été à deux doigts de tuer celui qu'il recherchait depuis plus de dix ans déjà, et comme pour leur dernière rencontre il se trouvait encore quelqu'un pour contrecarrer ses projets!
Le souvenir de sa dernière rencontre lui revint en mémoire, aussi net que s'il venait juste d'avoir lieu...
...dans ses bras gisait le corps sans vie d'Isabella, sa jeune fiancée. La carcasse de la voiture brûlait toujours dans le fossé, encastrée dans la remorque du poids lourd qui venait de la faucher.
Il avait tenté de tirer son corps hors de la voiture en flamme avant qu'il ne soit trop tard, mais il n'avait pas été assez prompt.
Quelques mètres plus loin, son meilleur ami revenait à lui. Il s'approcha d'eux et constata le décès de la jeune femme, le corps à moitié brûlé. Elle avait conservé son sourire qui faisait son charme. Luis quant à lui pleurait à chaudes larmes.
Son compagnon se tenait debout derrière lui, ne trouvant pas les mots pour réconforter son ami. Finalement il parvint à lui dire ces mots:
- Je sais, mon ami. Mais il était écrit qu'elle devait mourir avant nous; tu le savais aussi bien que moi en t'engageant avec elle. Si tu avais oublié, voilà la pire des façons de te le rappeler.
- De quoi ?
Luis déposa le corps de la jeune femme dans l'herbe et se leva, les deux poings serrés:
- Tu m'accuses de m'être laissé embobiné par une femme, c'est donc ça? Tu oses m'accuser d'avoir été inconscient en voulant partager quelque chose avec cette femme ?
Frédéric conserva son calme, et ses grands yeux devinrent des poignards:
- Je t'accuse de l'avoir tuée, oui ! Tu sais que nous ne pouvons nous permettre ces petites choses qui rendent la vie meilleure comme pour de simples mortels! Tu savais que peut-être tu partirais un matin en la laissant et que le soir tu ne reviendrais sans doute pas!
- C'est faux! Vociféra Luis. Personne ne me menaçait...à part toi et Cornélius, personne n'était dans ce secteur! Aucun des autres n'est assez puissant pour me gêner ! Je menais une vie tranquille...
Cuchùlainn lui montra le cadavre calciné:
- Et pourtant elle est morte par ta faute! Pourquoi avoir cherché à l'épater en faisant la course avec cette autre voiture? Le camion qui venait, pas même toi tu n'aurais réussi à l'éviter! Moi j'y aurais survécu, mais pas elle! Je te laisse admirer le résultat des courses...
- Tais-toi! Tu m'accuses d'un crime que je n'ai pas commis! Je devrais te tuer pour ça!
- Alors qu'attends-tu? Ironisa Cuchùlainn en scrutant une dernière fois le corps de l'amie du Portugais.
Les deux hommes se défièrent. Mais Luis ne parvenait pas à remuer le petit doigt, paralysé par la douleur et la haine.
- Tu vois, reprit son ami. Tu en es incapable...écoutes arriver les secours. Je vais disparaître pour éviter d'expliquer pourquoi moi je m'en suis sorti et pas elle. Mais médite bien cette leçon de la vie, et n'oublie jamais que nous sommes différents des autres, et ce jusqu'à la fin…

...C'est en le voyant se fondre dans l'obscurité de la nuit que Luis s'était juré de le retrouver et de lui faire ravaler ses paroles blessante dans la gorge. Depuis cette nuit d'octobre, il avait remué ciel et terre pour retrouver celui qui avant ça avait été son meilleur ami...
Après dix ans, il l'avait enfin à portée de la main!
Enervé et fatigué, Luis reprit le chemin de l'arrêt de bus le plus proche, afin de rentrer chez lui se reposer un peu.
La chasse ne faisait que commencer, après tout...
Un sourire haineux se dessina alors sur son visage.


* * *

Maisongrande gara sa Jaguar devant une grande maison alsacienne, le long du trottoir.
Il avait roulé environs dix minutes du commissariat jusqu’ici et ses paupières se fermaient toute seules à présent. La fatigue commençait à le gagner, et l’envie de se plonger sous ses draps virait carrément à l'obsession.
Fouillant dans la poche de sa veste, il en sortit le trousseau de clés et chercha celle qui ouvrait la porte d'entrée de l'ancien presbytère de la rue Jeanne d'Arc. Il gravit lentement les quelques marches du perron avant de glisser la clé dans la serrure.
Sa fiancée n'avait pas laissé de clé dans la porte malgré l'heure plus qu'avancée, cette négligence lui permit de pousser la porte et d'entrer chez lui.
Sa fiancée...comment allait-il expliquer son retour à une heure si tardive ? Il lui avait annoncé la veille qu’il se rendrait à une réunion d'anciens étudiants qui ne durerait probablement pas plus de quelques heures, et le voilà rentré d'une garde à vue à cinq heures du matin ! Bah, il trouverait bien une explication à lui fournir. Pour l’instant, il était trop fatigué pour penser à autre chose qu’à son lit.
Cependant l’idée de lui mentir le mettait très mal à l’aise. Jamais il ne l’avait fait auparavant, et ce n’était sûrement pas cette nuit qu’il allait commencer ! Et pourtant...la solution de facilité aurait achevé de le séduire si il n'avait pas décidé de remettre les explications au lendemain, dès son lever.
Ouvrant délicatement la porte vitrée de l'étage, il la referma avec la même attention, veillant à ne pas faire le moindre bruit susceptible de réveiller sa compagne probablement endormie dans un profond sommeil.
Se débarrassant de sa veste qu’il jeta sur le séchoir à linge, il ouvrit la porte de leur chambre. Devinant la silhouette endormie de sa fiancée dans leur lit, il sourit avant de s’effondrer sur le fauteuil qui trônait devant la cheminée de leur chambre...
Ses yeux fixèrent l’âtre où mourrait un feu de bois de chêne; il regarda danser les petites flammes tantôt bleues tantôt orangées. Puis son esprit se mit à vagabonder et il revit les flammes se lever vers le ciel… …léchant le haut des remparts de bois. A l’intérieur de la citadelle la panique gagnait tous les soldats, tous cherchant à fuir loin du charnier.
Fièrement campé sur la selle de sa monture, le chevalier souriait A ses côtés se trouvaient ses compagnons d’armes, ses frères de la Table Ronde, de preux chevaliers qui avaient promi à leur souverain le Haut-Roi de Grande Bretagne de débarrasser les terres du nord du joug romain...
Voyant flotter la bannière de Pendragon au sommet de la hampe tenue par un des soldats de Ban d’Armorique, le chevalier leva le bras en criant:
- Allons-y, mes frères: l’heure du châtiment à sonné pour ses soldats, et par le Christ puisse cette noble bannière nous conduire à la victoire !
- Capturons le roi Méléagrant, et purifions cette terre une fois pour toute !
Caï et Gauvain saluèrent à leur tour la décision prise par Lionel et les chevaliers lancèrent leurs montures en direction du château en flammes.

Après avoir capturé les derniers résistants ainsi que Méléagrant le parjure, le château fut rasé et déjà l’expédition commandée par Lancelot et Lionel rentrait vers Camelot...après plusieurs jours de marche, alors qu’ils traversaient la forêt proche des terres de l’abbaye de Glastonbury, Lionel et Lancelot ressentirent une violente douleur dans leur poitrine. La petite armée vit alors se dresser devant elle une femme menue, toute vêtue d’une cape noire et arborant sur son front le croissant de lune bleu symbole des prêtresses d’Avalon.
Demandant à Caï de rester en arrière avec le reste des soldats, Lionel et Lancelot partirent au devant de la femme montée sur une jument blanche.
Arrivés à sa hauteur, Lionel la salua:
- Le bonjour, dame Morrigann...
La prêtresse lui rendit son salut et se tourna vers Lancelot:
- Votre cousine m’a envoyée au devant de votre armée afin de vous prévenir d’un grand danger. A la cour du roi on murmure que les fêtes de la Pentecôte seront entachées par le sang et la discorde entre les chevaliers de la Table Ronde.
Lancelot, qui voyait Morrigann pour la première fois depuis son départ de l’Ile Sacrée, il y a de cela plusieurs années, ne pu détacher son regard de la belle chevelure brune qui lui tombait sur les épaules. Son fin visage et ses grands yeux d’un bleu semblable à celui des eaux paisibles du lac firent naître ne lui un feu de passion qu’il se sentait incapable de maîtriser.
- Morgane a-t-elle réellement entrevu cette issue déplaisante en Avalon ? Parvint-il à articuler en dépit de son émoi.
- Douterais-tu de son pouvoir, Galaad du Lac ? Le réprimanda Morrigann d’un ton plein de reproche. Ta mère Viviane, la Dame du Lac, possédait elle aussi le Don; et jamais il ne te serait venu à l’esprit de douter de ses capacités à interpréter les messages de la Déesse.
Lancelot se souvint alors de sa rencontre avec ce chevalier blessé à mort, sur les routes des Galles du Nord; ce fou impétueux qui cherchait en vain un dragon, pure chimère née des divagations des paysans du Lothian...sa ressemblance avec lui, ses traits semblables aux siens...il l’avait écouté lui parler de sa terre de Camelot, de son enfance auprès de la Dame d’Avalon sur cette île mystérieuse perdue entre deux mondes dans les brumes du Lac...à sa mort, il avait endossé ses oripeaux et avait fait route vers le trône d’Arthur...lui, Cuchùlainn l’apatride, était devenu Galaad du Lac, citoyen d’Avalon.
seul Lionel, devenu son plus fidèle ami, connaissait son secret, son vrai nom, son passé. Lui, Lionel, son semblable.
Lancelot reprit ses esprits et répliqua à la prêtresse:
- Galaad est le nom qu’Avalon m’a donné. Celui que je porte aujourd’hui est celui qu’Arthur m’a donné en même temps que le baptême. Aussi te prierais-je de m’appeler comme le font mes amis et mes ennemis.
Mais Morrigann ignora la réplique du chevalier de la Charrette.
- Arthur a besoin de vous auprès de son trône. Hâtez votre retour et demeurez à ses côtés, quels que soient la tournure des événements et les intrigues fomentées par les ennemis du royaume.
- Il en sera ainsi, la remercia Lionel. Je rejoins les autres et nous nous remettons en route sans tarder.
Sur ces mots il fit faire demi-tour à son cheval et rejoignit Caï et les soldats restés en retrait.
Lancelot cependant retint Morrigann:
- Attend...avant de te voir partir pour Avalon, berceau de mon enfance où malheureusement je ne pourrai plus me rendre, dis-moi une chose encore.
La jeune prêtresse le regarda de ses grands yeux bleus:
- Que désires-tu de moi, chevalier ?
- Lorsque tu es apparue telle une fée sur ce chemin, j’ai ressenti en moi une grande douleur, comme si une lance m’avait traversée le coeur de part en part. Est-ce que...
- Oui, le coupa la jeune fille. Je sais ce que tu ressens. Je sais aussi ce que cela signifie pour nous.
Lancelot poussa un soupir de désespoir.
- Un jour, donc, nous serons amenés à nous retrouver...pour la dernière fois...
- Ne pense pas à ce jour, Galaad du Lac, chevalier de la Charrette. Ta vie est ici et aujourd’hui. Pour ma part, l’île sacrée est désormais mon domaine. J’y demeurerai en sécurité, peut-être jusqu’à ce qu’Avalon se soit entièrement détachée de ce monde qui semble basculer dans la folie…
Sur ces mots, elle fit elle aussi demi-tour et s’apprêta à prendre le chemin d’Avalon.
- Une chose encore, Morrigann !
La prêtresse arrêta sa monture, mais ne se retourna pas:
- Parle.
- Si les circonstances avaient été autres...
- Mon coeur a senti naître en son sein la flamme de la passion sitôt que mes yeux se sont posés sur toi, lui avoua la jeune femme sans se retourner. Mais mon attachement à la Déesse ne me dicte pas d’autre conduite que celle que tu me vois prendre...
- Fort bien, donc, répondit le chevalier en esquissant un sourire empreint de chagrin: j’aurai au moins la satisfaction de savoir qu’aucun autre homme sur cette terre ne te possédera et fera ainsi de toi sa femme...adieu, belle Morrigann.
La prêtresse ne bougea pas. Les paroles de Lancelot pénétrèrent son coeur et son âme aussi sûrement qu’une épée pénètre la chair du vaincu. Au bout de quelques secondes, elle daigna se retourner vers le chevalier:
- Attends !
Elle s’en voulu immédiatement de cet accès de faiblesse, d’avoir succombé aux élans de son coeur, elle, une prêtresse consacrée.
Lancelot tourna la tête, mais sans arrêter son cheval:
- Pourquoi dis-tu que jamais Avalon ne te reverra ?
- Parce que j’en ai perdu le chemin, dans mon coeur et dans mon âme...Dieu guide désormais mes pas, et ils ne sauraient me ramener dans l’Ile Sacrée. Mais jamais ton visage ne quittera mes nuits; je te fais ici ce serment...

- Debout, gros ours...
Maisongrande sursauta et sortit de sa torpeur; il n’y avait qu’une personne au monde qui pouvait l’appeler ainsi pendant qu’il dormait, et cela lui fit reprendre conscience de l’endroit où il se trouvait. Un rapide coup d’oeil en direction de la cheminée; le feu était bel et bien mort.
Se retournant sur le dos, il ouvrit les yeux; mais son regard restait embrumé par le sommeil:
-Mmhh... c’est toi, 'riane?
La jeune femme qui jusqu'ici lui caressait les cheveux lui en tira une mèche d'un petit coup sec.
- Qui veux-tu que ce soit, gros bêta ?
- Je n'en sais rien, répondit-il évasivement. La police...
Sa réponse lui donna un coup de fouet avant même qu'elle ne soit entièrement sortie de ses lèvres. Mais la jeune fille n'y prêta aucune attention particulière.
- Et pourquoi pas les pompier, tant que tu y es ?
Elle avait remarqué qu’il s’était endormi tout habillé.
- Pourquoi as-tu dormi sur ce canapé ? Tu pouvais me rejoindre, tu sais...tu es rentré tard ? Je ne t’ai pas entendu cette nuit.
Casagrande se redressa sur le canapé en s’étirant:
- Non, je suis rentré...disons très tôt ce matin, et je voulais pas te réveiller...ça va, toi ?
Après avoir écarté les tentures des fenêtres pour laisser pénétrer les rayons du soleil, elle s'assit près de lui. Il approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa tendrement. Elle entoura son cou de son bras, laissant descendre sa main sur son épaule.
Mais lorsqu’elle atteignit le biceps droit, il grimaça de douleur.
- Oh ? Ne me dis pas que je t'ai fait mal ?
- Ce n'est rien...
- Qu’est-ce que tu t’es fait, montre-moi ?
- Rien, c’est juste un bleu, laisse...
Elle n’insista pas.
Depuis les trois ans qu'ils vivaient ensemble, Oriane savait que son Frédéric était tout sauf chatouilleux et douillet; aussi s’il avait mal au bras, c’est que cela devait être sérieux. Mais elle savait aussi que s’il ne voulait pas lui en parler, il ne le ferait pas non plus.
Son fiancé restait secret pour tout ce qui touchait à son corps et il lui avait demandé de respecter ça et elle le faisait.
Contrairement à ce qu’elle pouvait attendre, il s’approcha d’elle et l’enserra de ses bras puissants:
- J’ai eu un...accident en rentrant, cette nuit...
- Avec la voiture ? Demanda-t-elle, inquiète. J'espère pas, étant donné que j'en ai besoin pour donner mon cours à Colmar demain après-midi...
- Non, je me suis cogné assez violemment contre le lampadaire en bas de chez nous en sortant de la voiture, c’est tout ! Je vais prendre une bonne douche, ça me réveillera...
- Bonne idée, et ça te rendra moins "ours" aussi !
Il se leva et se dirigea vers la salle de bain.
Oriane était en train d’ouvrir les volets de la petite pièce adjacente à leur chambre, sorte de boudoir où se trouvaient divers objets de grande valeur; soudain elle lui reposa sa question:
- En te cognant au lampadaire, c’est ça ?
Frédéric lui répondit de la salle de bain:
- Pardon ?
- Tu t'es cogné au lampadaire en sortant de la voiture ? C'est bien ça ?
- Ouais ! Un coup de pot, j’ai pas esquinté la portière...j'étais fatigué, alors je me souviens plus trop.
- Oui, un coup de pot, comme tu dis, répondit-elle machinalement en regardant par la fenêtre...
La voiture était garée devant la maison le long du trottoir, mais le lampadaire était devant elle...
- Pourquoi m'a-t-il sorti une telle ânerie concernant sa douleur au bras ? Se demanda-t-elle. Ce n’était vraiment pas dans ses habitudes de mentir, encore moins dans de tels cas...plutôt n'aurait-il rien dit.
Elle s’approcha de la salle de bain et se plaça devant la porte:
- Je peux entrer ?
Le bruit de l’eau s’échappant du pommeau de la douche couvrait à moitié la voix de Frédéric:
- Bien sûr...
Elle se faufila en souriant par la porte entrebâillée qu’elle referma sitôt à l’intérieur.
La vapeur avait couvert le miroir de buée, et des nuages d’eau remplissaient la grande salle de bain. Elle regarda le corps de son fiancé brillant sous l’effet conjugué de l’eau et du savon. Laissant glisser son peignoir le long de ses jambes, elle se retrouva nue devant la douche. Tirant le rideau, elle vint se placer en face de lui avant de poser sa main sur son torse velu.
Elle avait envie de lui, depuis la veille au soir et jusqu’au réveil ce matin...
- Tu me fais une petite place s'il-te plaît ?
Continuant à le caresser, elle l’embrassa, frottant ses seins contre son corps trempé. L’eau lui collait les cheveux sur le front, et d’un geste elle les repoussa sur l'arrière de son crâne, bombant le torse et donnant du même coup plus de volume à ses seins. Elle continuait à l’embrasser tout en continuant son massage; elle descendit finalement jusqu’à son sexe qu’elle sentit se dresser entre ses doigts.
S’agenouillant, elle l’embrassa. Frédéric lui caressa à son tour les cheveux tandis qu’elle s’occupait de son membre, le faisant disparaître dans sa petite bouche aux lèvres pulpeuses.
Ils restèrent là quelques instants à goûter tous deux à ce jeu de l'amour, Frédéric poussant de petits soupirs de bonheur. Puis elle se releva, et l’embrassa fougueusement. Il répondit à son baiser avec la même fougue; malaxant ses seins de la paume de sa main, l'autre attrapant son cou pour l'attirer à lui, jouant avec le mamelon qu’il sentait durcir sous l’effet de ses caresses. Il glissa jusqu’à son bassin, empoignant ses fesses avec fermeté, barrant l’accès à sa raie de ses mains.
Puis il hasarda deux doigts entre les cuisses de la jeune fille qui se mit à gémir en le regardant avec des yeux de braise. Lentement il fit aller et venir ses doigts qui disparaissaient dans la petite touffe de sa fiancée caressant ses seins de son autre main. Puis n’y tenant plus, il la pénétra doucement, de toute sa vigueur de mâle, son corps tendu et aiguisé par le plaisir qu’elle lui procurait et l’envie qu’elle avait suscitée.
Poussant de petits cris, elle ne tarda pas à vaciller de plaisir, sentant le membre dressé la pénétrer avec rudesse et force, la menant tout droit vers l'orgasme. Elle y parvint en même temps que lui. Lorsqu’il se répandit en elle, il poussa à son tour un petit râle de satisfaction.
Elle le regarda en souriant et l’embrassa; sa langue roulant dans sa bouche et se tortillant tel un serpentin.
Puis elle rit doucement avant de se blottir contre lui en lui murmurant:
- Je t’aime, mon beau guerrier...
Elle ne pu s'empêcher de jeter un oeil sur le bras endolori et elle y remarqua une cicatrice presque disparue. Elle n'eut pas le temps d'en voir plus car déjà il lui embrassait les cheveux:
- Je t’aime, moi aussi, mon ange...
Puis il s’empara du flacon de gel douche et lui aspergea les seins en riant.
La fin de toilette s’annonçait aussi mouvementée que le début !

Frédéric vida son troisième bol de café et le reposa en souriant. Assise en face de lui, Oriane lisait le journal en terminant un croissant préalablement tartiné de beurre et de confiture de fraise.
- Tu reprends un croissant ? Ou je termine les deux qui restent, lui demanda-t-il en caressant sa joue du revers de sa main.
- Tu peux les terminer, vas-y...
Elle ne décolla pas les yeux de l’article qu’elle parcourait. Frédéric mordit dans le croissant en se reversant un quatrième bol de café.
- Tu ferais bien de freiner sur le café, c'est pas bon de trop en boire le matin.
- Mhhh... j'aime quand tu t'occupes de moi, comme le ferait une maman.
- Me cherche pas là-dessus.
Il sourit et but une gorgée de café avant d'entamer le dernier croissant.
- C’est quoi que tu lis de beau ?
- Un truc sur la Cathédrale...quelqu’un a essayé d’y entrer par effraction cette nuit...'y a de ces cons, je te jure ! Mais je te le passerai après.
Frédéric avala de travers, et toussa plusieurs fois, manquant de recracher son petit déjeuner.
- Qu’est-ce qui te prends, tout à coup ? Demanda Oriane en posant le journal et en levant les yeux vers lui.
Il avait recraché des miettes qui s'étaient répandues dans son bol et sur la table, malgré sa volonté.
- Fais voir cet article !
Il prit le journal que lui tendit sa fiancée. Oui, c’était bien de sa mésaventure nocturne dont il était ici question. Son nom n'y était heureusement pas mentionné, mais le témoignage du lieutenant Goldberg était assez proche de la réalité.
Oriane se leva, débarrassant la table du petit déjeuner:
- C’est parce que quelqu’un a tenté de violer TA Cathédrale que tu as manqué de t’étouffer ? C'est ridicule, parce qu'elle n'est plus à toi tout seul. Mais bon, il n'y a pas de quoi fouetter un chat, je te signale que la police a fait son boulot, sur ce coup !
- Le type qui a essayé de rentrer, cette nuit...
- Oui ? Eh ben il s'est fait avoir. Un point c'est tout; tu ne vas quand même pas me faire un fromage de ce fait divers ? Tu imagines ta vie si chaque fois que tu vois rôder quelqu'un autour d'elle tu venais à t'étouffer ? On dirait presque que tu as peur que ton trésor soit menacé...
- Non, fit-il en reposant le journal... tu n'y es pas.
Oriane rinça un bol avant de le déposer dans le lave-vaisselle:
- Pourquoi tu dis ça ?
Frédéric reconsidéra le journal avant de lui répondre d'une traite, presque penaud:
- C’est moi qui ai essayé d’entrer cette nuit.
- Quoi ?!
La casserole de lait, heureusement vide, lui échappa des mains. Elle dévisagea Frédéric d’un air circonspect, abasourdie par la révélation de son ami.
- J’ai essayé d’entrer par le chantier de restauration de la façade est, cette nuit, reprit-il en fixant son amie dans les yeux. Les flics m’ont chopé et j’ai failli passer la nuit au poste...Rodrigues m’a retrouvé, et c’est un peu "grâce" à lui que j’ai pu sortir...
La jeune femme se rassit lentement:
- Les flics ? Rodrigues ?! Attend que je m'asseye, parce ça fait beaucoup pour un coup, tout ça. Comment t’a t’il retrouvé ? Tu m’avais pourtant dit qu’il n’y avait presque aucune chance qu’il retrouve ta trace...tu me l'avais dit...
- Oui, eh ben presque ne veut pas dire certain, tu m'excuseras...
- Est-ce qu’il t’a...menacé ?
- Il a failli me tuer, oui...mais les flics l’ont arrêté à temps, et de toute façon, il ne m’aurait pas eu, tu sais...
- Et je suppose que c’est là-bas que tu t’es fait mal au bras, pas vrai ? Le coupa-t-elle.
Elle semblait en colère.
- Oui, c’est pendant la bagarre entre lui et moi.
- Et tu n’as pas jugé la chose assez important pour m’en parler ! Tu as préféré m’inventer je ne sais quelle histoire de garage, plutôt que de m’avouer la vérité !
- Je ne voulais pas te mêler à ça...
Cette fois Oriane s'emporta.
- Mais de quel droit régis-tu ma vie ? Je suis encore assez grande pour décider de ce qui est important à mes yeux et de ce qui ne l’est pas ! Tu ne voulais pas me mêler à tout ça, dis-tu ? Eh bien figure-toi que j’y suis mêlée depuis le jour où je t’ai rencontré ! Et en plus de ça tu me dis qu'il a failli te tuer et que de tout façon il ne t'aurait pas eu ? Tu es inconscient, ma parole ? Où étais ton épée, dis-moi ?
- Dans la voiture, mais.
- Dans la voiture ! Et avec ça il ne t'aurait pas eu ? Bon sang, tu es drôlement culotté, toi...
Frédéric se leva et s’approcha d’elle:
- 'riane...
- Ne me touche pas ! Tu n’avais pas le droit de me cacher ce qui t’était arrivé cette nuit ! Tu m'as toujours dit que personne n'était jamais à l'abri des "autres", pas même toi ! Tu as failli mourir cette nuit, que tu le veuilles ou non, ce sont les faits !
Elle avait les larmes au bord des yeux.
Il parvint à l’entourer de ses bras. Elle vint nicher sa tête contre son torse, sentant battre son coeur à travers le tissu de son peignoir.
- Je te demande pardon...je suis désolé de t’avoir menti, j’ai agi comme un imbécile, cette nuit.
- Pas que cette nuit, lui fit-elle remarquer en le serrant contre elle. Tu as failli te faire tuer, je te le rappelle...
Il lui adressa un sourire, et lui essuya une larme du doigt:
- Je suis le plus puissant des Immortels connus à ce jour, ne l’oublie pas ! Luis n’aurait pas pu me tuer hier soir; je suis trop fort pour lui !
- Mais tu n’avais pas ton épée sur toi: elle est toujours accrochée au mur de la chambre.
Elle marquait un point. Il lui avait encore menti et elle le lui faisait sentir.
- Tu te conduis comme ça depuis notre première rencontre, continua la jeune femme. Tu te crois invincible. Peut-être est-ce le cas, peut-être pas.
- Je cherche à te protéger...
- Je le suis déjà par mon sortilège. Tu sembles oublier que j’ai été élevée en Avalon, que j’y ai appris la magie et l’art des sortilèges. L'enchantement qui me protège parvient à dissimuler ma condition au regard des autres, et fausse leur perception. Nul ne peut détecter ma présence...
- Oui, mais il ne m'a pas empêché de te retrouver quand même, lui fit observer Frédéric.
- C'est parce que je l'ai bien voulu. Tu ne devrais pas sous-estimer les pouvoir des prêtresses d'Avalon, tu sais. Tu es trop sûr de toi, et ça te conduira à ta perte si tu n'y prends pas garde.
Frédéric était gêné vis-à-vis de sa fiancée. Elle n’avait absolument pas tort, cependant il lui était difficile de ne pas lui reprocher son manque de confiance. C’est vrai que sans l’intervention de la police cette nuit, Dieu seul sait ce qu’il serait advenu de lui.
- Pardon, ma puce; je suis désolé de tout ce qui arrivé.
Oriane le regarda en souriant:
- J’ai choisi de vivre avec toi, tu sais...je savais bien ce qui m’attendait, nous en avions parlé... un beau jour viendra où l'un d'entre nous provoquera quelque chose d'irrémédiable, et il nous faudra nous séparer. Mais dis-toi que même si tu es le plus puissant de tous, tu n'en demeures pas moins une proie ! Et d'ailleurs, ta puissance peut susciter bien des convoitises. N'oublie pas que personne n'est à l'abris. Personne...
- Peut-être bien, mais rien ne t’y avait franchement préparée avant cette nuit. Ca risque de continuer et pire encore, de s’éterniser !
- Tu cherches à faire de l'humour ?
- Ce que je cherche à te faire comprendre, ce n'est ni plus ni moins ce que j'ai déballé à Luis après la mort d'Isabella, il y a dix ans maintenant.
La jeune femme l’embrassa.
- Chut...personne, pas même toi, ne peut dire de quoi sera fait demain...


Il n’y avait presque jamais personne à cette heure matinale à la Cathédrale. Les touristes ne débarquent pour la plupart qu’après neuf heures trente, une fois que les commerces de la place sont ouverts.
Au mois de mars, en plus, la saison débutant à peine, la foule des grandes heures d'été n'existait pas encore.
Il était neuf heures dix-neuf.
Maisongrande s’arrêta devant l’immense portail de l’édifice, et en examina une fois de plus les minutieux détails qui en composaient les ornements. Combien de fois avait-il posé les yeux sur ces fresques et ces gravures maintes et maintes fois retouchées à l’origine de leur installation, lui-même ne le sait plus; mais ce qu’il n’a pas oublié, ce sont tous les moments de bonheur, de joie, mais aussi de souffrance et de dur labeur qu’il aura passé à l’ombre de cette flèche unique qui se dressait à présent de manière orgueilleuse vers le ciel, comme un défi au temps qui passe.
La flèche qui se dressait fièrement au sommet de la Cathédrale...revenant sur terre, il se décida à pénétrer à l'intérieur de l'édifice.
L’une des trois portes de la façade, celle de droite, était déjà ouverte, et Maisongrande entra.

Le silence fit naître un sourire sur son visage.
Quel contraste avec tous les bruits liés à l’agitation du chantier, pensa-t-il. Les trois personnes qui méditaient en silence, assis sur les chaises du fond ne l’avaient pas entendu entrer, trop occupées à contempler le soleil darder l’orgue magnifique de ses rayons matinaux. La chaire de grès sur sa gauche attira une oeillade mais il ne s'attarda pas. N'importe qui se serait laissé bercer par la magnificence d'un tel lieu, mais Maisongrande avait autre chose en tête que la contemplation des mystères divins, ce matin.
Il traversa la nef d’un pas lent, le regard rivé sur le maître-autel; à sa droite, le pilier lui dévoila l’entrée de la crypte, fermée par des barrières de bois. Il s’arrêta devant le panonceau mobile indiquant en différentes langues la crypte.
Bien sûr elle était fermée et inaccessible au public. Derrière elle, des bâches se dressaient pour protéger le chantier de fouilles qui n'allait pas tarder à commencer.
Puis il jeta plusieurs regards autour de lui: personne à gauche ni à droite. Avec une agilité déconcertante pour un homme de sa corpulence, il prit appui sur la barrière avant de la franchir d’un bond. A peine de l’autre côté, il s’engagea dans l’escalier menant à la porte de bois qui fermait la crypte de façon à se trouver hors de portée des regards des badauds.
Là, arrivé en bas et les deux mains contre la porte de chêne, il souffla un grand coup, remerciant le ciel de n’avoir pas été pris une seconde fois.
- Et pourtant, songea-t-il, que c’était simple: il m’aurait suffi d’attendre ce matin, avant l’arrivée des premiers ouvriers ! Au lieu de ça, je me fais stupidement attraper hier soir ! Quel con, pensa t-il en souriant de sa mésaventure.
Il abaissa le loquet de la porte; les gongs parfaitement huilés ne bronchèrent pas.
Maisongrande pénétra dans la crypte.

Elle n'avait pas changée depuis sa dernière visite, il y a très longtemps de ça. Les statues de la Vierge et de Saint Joseph avaient été remplacées, certaines ajoutées et d'autres changées. Mais les colonnes et l'autel n'avaient rien subi des outrages du temps. Il s'engagea dans l'allée centrale entre les bancs de prière, et respirait lentement pour s'imprégner de la sérénité de l'endroit.
Mais alors qu’il se dirigeait vers l’autel de grès rose, il se figea.
Un étrange malaise s'empara à nouveau de lui, un peu comme l’autre nuit à l’approche de Rodrigues. Il ouvrit de grands yeux et commença à scruter les lieux: ils étaient vides.
Il se trouvait bien tout seul dans cette crypte. Mais pourquoi ressentait-il cette oppression, sorte d'avertissement le prévenant d'un danger imminent, dans ce cas ? Y aurait-il un Immortel dans la Cathédrale ?
Luis Rodrigues ?
Si ce devait être ça, il descendrait à coup sûr lui aussi dans la crypte, ayant ressenti le même phénomène s'emparer de ses sens. Maisongrande se tint sur ses gardes.
Tout à coup, le bruit de la porte le fit sursauter: quelqu’un venait le rejoindre dans cet endroit dont l'accès était interdit.
- Les ouvriers, déjà ? Se demanda-t-il. Non, c’est encore trop tôt...ce doit sûrement être l’Immortel que j’ai senti il y a quelques secondes... Et je n'ai toujours pas mon épée sur moi !
Il inspira profondément et se ressaisit :
- Nous sommes sur un Sol Sacré, je n’ai rien à craindre…

La porte s’ouvrit sur un homme élégamment vêtu.
Il n’avait rien d’un ecclésiastique, encore moins d’un ouvrier. Il portait une veste verte assez sombre sur un pull noir à col roulé, ainsi qu’un pantalon de tweed noir et des mocassins assortis. Ses cheveux étaient grisonnants mais cependant très bien coiffés, avec une vague sur le côté gauche. Il portait également une barbiche grise et une moustache en collier. Il n’avait aucunement l’air surpris de rencontrer un visiteur à cet endroit, et à cette heure avancée.
Au contraire, il salua Maisongrande d'un sourire:
- Tiens, mais il semblerait que nous ayons de la visite, dit-il d’un ton posé, avec un fort accent germanique. Bien que l'endroit vous soit théoriquement interdit, jeune homme, laissez-moi vous y souhaiter la bienvenue.
Casagrande se tint droit, les mains le long du corps, poings serrés:
- Je suis...
-Je sais qui tu es, coupa l’inconnu. Tu es Cuchùlainn MacDatho de Leinster, Grand Maître de la Guilde des Forgerons...
Maisongrande ne pu cacher sa surprise. Cet homme connaissait son identité, et il ne l’avait jamais vu de sa vie ! Revenant de sa surprise, il répondit:
- Autrefois, peut-être que je l’ai été, mais ce temps est révolu...la Guilde n'existe plus.
L’homme ricana:
- La belle excuse ! Tant que tu vivras, elle existera. Tu le sais comme je le sais.
Il s'avança et effleura de sa main un des bancs, en détachant une mince pellicule de poussière.
- C'est logique, non ? Reprit-il en regardant de nouveau celui qu’il avait appelé par son vrai nom. Etant le maître fondateur de cet ordre, il ne peut mourir tout à fait tant que son « père » demeure.
- Vous vous trompez: ce temps est bel et bien terminé.
- Allons ! Tu sais aussi bien que moi que rien n’est terminé, du moins pas encore. Nous sommes les derniers Immortels vivants sur cette planète, et l’heure de la Rencontre est proche...
Il s’avança vers Maisongrande.
- Je connais pas mal de choses sur toi...à peu près tout ce qu'on doit savoir sur son adversaire le plus tenace, je dois bien l'avouer...
- La Rencontre ? Pourtant je n'ai senti aucun signe avant coureur de cet événement. Etes-vous sûr de vous ? Ou bien est-ce une supposition gratuite destinée à m'impressionner ?
- Je vois que tu as de la répartie, très cher. Mais te sera-t-elle utile au moment du combat ?
Maisongrande pâlit. Si cet homme avait son arme sur lui, c'en était scellé de son destin.
Mais l'inconnu ricana sans aucune méchanceté apparente:
- Mais je ne suis pas ignorant, reprit-il; je connais les Règles sacrées qui régissent notre Combat; aussi ne crains-tu rien en ces lieux. Cela dit, si tu es venu chercher la confrontation, je serais ravi de te fixer rendez-vous à un autre moment...et dans un autre endroit plus...approprié pour ce que nous aurons à faire.
- Si je suis ici, c’est pour une tout autre raison. J’ignorais qu’un Immortel rôdait dans les parages.
L’homme se dirigeait vers l’autel à pas lents.
- Ah ? Tiens donc...et que fais-tu, dis-moi, de Rodrigues ?
Il ne s’était pas retourné en posant cette question. Caressant d'une main la nappe blanche qui recouvrait l’autel de grès, il observait du coin de l'oeil les réactions de Casagrande. Mais il devinait aisément la surprise qui devait s’être emparée de lui.
- Cette nappe d'une pureté enfantine...gardienne de l'héritage de ces vieilles pierres...
- Où voulez-vous en venir ? Interrogea Maisongrande un peu agacé par les manières théâtrales de cet inconnu.
- Cela t’étonne que je connaisse Luis, n’est-ce pas ? Dit-il en tournant la tête vers son interlocuteur. Je sais beaucoup de choses, sur le monde, sur nous... sur toi en particulier.
- Sur moi ? Mais...
- ...Mais tu ignores qui je suis, et tu ne m’as jamais rencontré, c’est juste. Cependant, nous avons des amis en commun; ou plutôt devrais-je dire:"avions". Car ils ne sont plus, à l’heure où nous parlons...
Casagrande se tourna à son tour vers l’autel. Il remarqua que le poing qui le caressait venait de se crisper et tremblait comme s'il était agité d'un soudain accès de rage contenue:
- Qui es-tu alors, pour savoir tant de choses sur moi ?
- Mon nom ne te dira rien.
- J’ai déjà entendu ça quelque part ! Et la personne qui prononça ces paroles est morte, elle aussi.
L’inconnu se retourna en riant:
- Oh ! Oh ! Des menaces, Cuchùlainn ?
- Absolument pas: ce n'est là qu'une simple mise en garde.
- Je sais très bien ce que tu es venu chercher ici, MacDatho ! Jadis tu y as déposé un objet d’une très grande valeur sentimentale, et tu crains aujourd’hui que les fouilles entreprises ne le ramènent à la lumière du jour, et du même coup à la curiosité des hommes, je me trompe ?
Maisongrande pâlit.
- Tu sais ça aussi, alors ?
- Pour qui me prends-tu ? Je sais absolument tout de toi ! Je te suis à la trace depuis plus d’un siècle. Et jamais tu ne t'en es douté un seul instant.
- Au nom du Ciel, me diras-tu enfin quel est ton nom ?
- Cela attendra. Maintenant, je vais te demander de quitter ce lieu avant que je n’avertisse les gardiens du culte qu’un cambrioleur a tenté de s’introduire une fois encore dans une zone interdite au public.
- Une fois encore...
L'inconnu sourit:
- Ne me dis pas que tu as déjà oublié ta petite aventure de cette nuit ? Tu es une des vedettes du journal de ce matin, tu sais !
Maisongrande serra les poings. Il détestait cette situation, ce sentiment d'infériorité vis-à-vis ce cet allemand surgi de nulle part et faisant irruption dans sa vie en déballant des secrets connus de lui seul.
- Je ne partirai pas. Pas sans ce que je suis venu chercher.
- Ne crains rien pour ta fidèle compagne; son repos n’est pas menacé...du moins pas encore...
Maisongrande jura entre ses dents:
- Espèce de salaud, je te jure que si jamais j’apprends que tu as osé l'exhumer de sa cache, je te retrouverai ! Et crois-moi, ce sera pour la dernière fois.
Sur ces mots, il tourna les talons et quitta la crypte. Le visage de l'homme se renferma en le regardant partir.
- Nous nous reverrons plus tôt que tu ne le penses, fais-moi confiance, Cuchùlainn...
Il éclata de rire, un rire qui emplit la crypte en raisonnant.
Fier de sa prestation, il leva les yeux au plafond et grimaça de joie.


Le téléphone sonna deux, puis trois coups avant que l’homme ne le décrochât:
- MhhRodrigues, qui est à l’appareil ?
- Je constate que le travail pour lequel j'ai requis tes services n’est pas terminé...pire encore, j'en viens à me demander si il n'a jamais été effectué.
Rodrigues se redressa dans son lit en reconnaissant la voix à l'autre bout du fil.
- Quel heure est-il ?
- Bien assez tard à mon goût.
- Eh, c’est pas de ma faute ! Les flics l’ont serré avant moi là-bas, que voulais-tu que je fasse ?
- Débrouille-toi pour que ce soir au plus tard, cette histoire soit réglée. Me suis-je bien fait comprendre? Je crains que dans l'état actuel des choses il nous faille agir au plus vite.
- Oh, minute ! Si je le tue, c’est pour moi, pas pour vous ! On est bien d’accord là-dessus ? Que les chose soient bien claires entre nous: quand j'aurais choisi le moment propice à ma vengeance, j'interviendrai. Je veux bien te rendre service, mais c'est avant tout mon bon plaisir qui prime.
- Pas d’affolement, Rodrigues: sur ce point nous sommes bien d'accord. Cependant je te prierais de ne pas employer ce ton avec moi. N’oublie pas les termes de notre marché: je veux qu’il souffre avant de mourir. Il a une dette envers moi que seul son sang peut acquitter.
Rodrigues attrapa le paquet de cigarettes posées sur la table de nuit à côté de lui et en porta une à sa bouche:
- T’as l’air sérieusement remonté contre lui, ma parole ! Remarqua-t-il en cherchant des allumettes dans le tiroir.
- Ce ne sont pas tes affaires. Occupe-toi de le tuer, c’est tout ! Il me semble, aux vues de ton échec précédent, que cette tâche te parait déjà assez ardue...
- Oh ! Reste courtois, mon pote !
- Pardon si je t'ai vexé.
Oui, il l'avait vexé, mais Rodrigues ne voulait pas le lui montrer; aussi prit-il un ton plus détaché lorsqu'il reprit la conversation.
- Bon, bon...mais moi aussi j'ai une dette envers lui !
- Ne cherche pas à comparer mes motivations aux tiennes, car on ne compare pas le lion avec la hyène.
- De quoi ?
Trop tard : l’homme au bout du fil venait de raccrocher.
Rodrigues se leva et s’empara de l’épée qui se trouvait sur un fauteuil de l'immense chambre dans laquelle il se reposait. C'était une magnifique épée datant du dix-septième siècle, la lame de Tolède brillant comme un diamant. Sa garde et le pommeau étaient gravés des armoiries de la famille Rodrigues, ancienne famille notable de Lisbonne.
La faisant tournoyer dans le vide, il s'agita comme s'il luttait contre un adversaire imaginaire redoutable, simulant un combat durant lequel il enchaînait défense et parades, ainsi que divers schémas d'attaque, de bottes et de coups d'estoc.
- T’affole pas; une fois débarrassé du Celte, je viendrai finir le boulot avec la cerise sur la gâteau, à savoir ta tête, fais-moi confiance...
Il brandit l’épée au plafond en ricanant sournoisement…


Oriane aimait beaucoup ces après-midi où elle ne travaillait pas; cela lui permettait de faire toutes les boutiques de la ville, ou presque.
Elle appréciait tout particulièrement quand ces fameux après-midi tombaient sur un jour où son cher Frédéric travaillait à son magasin !
Il avait une sainte horreur de la suivre dans ce genre d’expédition, et elle trouvait ça très drôle. Lui qui avait déjà vécu tant et tant de choses dans sa longue vie, plus dangereuses les unes que les autres, tremblait à l’idée de perdre ne serait-ce qu’une heure de sa journée pour ce qu’il jugeait être une véritable corvée !
La journée n’avait pas été mauvaise: profitant des soldes, elle avait acheté du parfum, et en passant devant chez Morgan, elle avait craqué pour un ensemble coordonné. Chez Gaulthier une nouvelle robe du soir figurait aussi au tableau des achats. Mais elle en avait aussi sauté sur l'occasion pour faire les courses de vivres, les réserves étant presque épuisées.
Elle marchait à présent dans la rue des hallebardes, et devant elle se dressait majestueusement la Cathédrale. Elle frissonna en levant les yeux en direction de la flèche montant vers le ciel telle une fusée prête au décollage. Elle pensait à Frédéric, au temps qu’il avait dû passer à corriger tous les plans de cet édifice titanesque.
Souvent il lui avait raconté cette époque...

...et nous nous levions le matin, le visage fouetté par les bourrasques de vent qui balayaient la plate-forme. Jhen Roque et moi aimions à dormir là-haut; nous avions l’impression d’entendre respirer les pierres que nous avions assemblées comme si la Cathédrale prenait vie jour après jour! Mais ce n’était vraiment pas un travail de tout repos: l’Evêque Guillaume venait presque tous les jours pour inspecter les travaux, bavarder avec Jhen, Parfait Létoile, ou encore avec les contremaîtres du chantier; et cela avait pour effet de ralentir considérablement la construction et l'érection de la flèche. Je me souviens même d’un jour où il était passé pour jeter un oeil sur les plans de cette fameuse flèche: je les avais retouchés la veille au soir, Parfait m’ayant fait remarquer une anomalie dans l’assemblage des frises de la base et le manque de coordination que cela entraînerait au moment de l'assemblage. Il avait tout d’abord trouvé l’ensemble magnifique, jusqu’à ce que je vienne à parler du coût de l’opération:
- Comment ? Avait-il crié; prenez-vous l’Eglise pour une banque aux ressources inépuisables monsieur Louis ? Où pensez-vous que nous allons trouver pareille somme en si peu de temps ? Les crédits sont presque épuisés, et je ne vois hélas qu’une solution: refaites des plans moins coûteux, voilà tout!
- Si l’Evéché ne prenait pas plus dans les caisses que ce qu’il lui est nécessaire, avais-je répondu, peut-être aurions nous eu plus d’argent pour achever ce monument à la gloire de Dieu !
L’évêque Guillaume s’empourpra:
-Oseriez-vous insinuer que nous sommes des voleurs ? Cette fois c’en est trop! Je vous sommes de nous présenter des excuses !
- Que nenni, Monseigneur! Si encore je n’avais pas dit là la vérité, peut-être aurais-je compris votre emportement...cependant les faits sont là: les caisses sont vides, et la Flèche est sculptée...qui me payera ainsi que mes deux Compagnon pour ce travail de plus de cinq ans ?
- Emparez-vous de ces hommes! Qu’ils comparaissent demain devant un représentant de la très Sainte Inquisition pour ce blasphème; répondit l’Evêque en s’adressant à sa garde personnelle...

Elle se souvint aussi que c’était la nuit précédant son arrestation que Frédéric avait enseveli un trésor d’une grande valeur à ses yeux dans la crypte de la Cathédrale. Il ne lui avait jamais dit ce dont il s’agissait, mais elle se doutait bien que cela devait être plus qu’important pour son homme.
Et au fil des années, il s'était un petit peu considéré comme le gardien de ce sanctuaire, plus parce qu'il renfermait son trésor personnel que pour ce qu'elle avait pu représenter pour lui.

Soudain, alors qu’elle contemplait évasivement les frises entourant le portail principal, le Christ siégeant entouré de ses disciples, une main vint se poser sur son épaule, ce qui eut pour effet de la faire sursauter Deux paquets s'échappèrent de ses mains et vinrent s'écraser sur les pavés à ses pieds; elle étouffa un petit cri et se retourna.
L’homme qui se tenait derrière elle lui était inconnu. Pourtant il lui inspira de prime abord un sentiment de sécurité; ce n’était ni un sadique, ni un voyou quelconque. Plutôt une sorte de mécène comme on en voyait dans ces nombreuses séries télévisées américaine Le genre d'homme que tout le monde voudrait avoir pour oncle, tant son côté protecteur avait de quoi rassurer.
La qualité de ses vêtements et le raffinement qui se dégageait de sa personnalité eurent vite fait d’apaiser ses craintes premières.
L’inconnu se découvrit et sourit à la jeune femme:
- Je vous ai effrayé, veuillez me pardonner, mademoiselle; dit-il dans un français presque impeccable qui cependant trahissait un léger accent germanique. Il est vrai que la manière dont j'ai usé pour vous aborder n'est digne que d'un rustre.
Oriane lui rendit son sourire:
- Ce serait plutôt à moi de m’excuser pour ma réaction instinctive; je vous en demande pardon.
Mais l’homme saisit sa main et y déposa un baiser.
- Il serait incorrect et contraire aux bienséances que j’accepte vos excuses, car elles n’ont aucune raison d’être. Permettez-moi de me présenter; je suis le responsable de la campagne de fouilles entreprises dans la Cathédrale. Walther Reinhardt.
L’annonce de l’identité de l’inconnu fit sursauter Oriane, mais elle se domina et fit comme si le nom ne signifiait rien pour elle.
- Ah, c’est vous dont parlent les journaux depuis une semaine; répondit-elle comme pour justifier son attitude. Je suis ravie de faire votre connaissance.
Elle rougit et se sentit ridicule; elle ne pouvait écarter de son esprit le lien entre Frédéric et la Cathédrale, et le fait que Reinhardt y soit acteur pour quelques temps la perturbait. Pourtant, elle ne l’avait jamais vu auparavant.
Alors pourquoi diable se sentait-elle si mal à l’aise?
Reinhardt du se rendre compte de la gêne se la jeune femme. Aussi lui proposa-t-il de prendre un verre à l’une des terrasses de la place.
- Que diriez-vous d'un rafraîchissement en ma compagnie, mademoiselle ? Il se trouve que je profite là d'une rare pause dans mon travail, et rien ne me ferait plus de plaisir que de la passer à vos côtés.
Oriane accepta de bon coeur.
- C'est demandé avec une telle élégance, que je ne saurais refuser.
- Que dites-vous de la terrasse de la Kammertzel ?
- Ca me va très bien.
- Dans ce cas, allons-y. Permettez-moi...
Il prit le bras de la jeune femme et lui porta ses paquets jusqu'à la terrasse du célèbre restaurant.
- Ainsi vous faites des fouilles sous la Cathédrale ? Lui demanda-t-elle en reposant sa tasse de café sur la petite soucoupe argentée. Mais dans quel but exactement ? Pensez-vous y découvrir quelque chose, comme des sarcophages de nos anciens évêques ?
Reinhardt parut surpris par la question:
- Vous intéressez-vous à l’archéologie, mademoiselle ?
Oriane sentit se mettre en place le piège. Surtout ne pas se dévoiler, et faire comme si le désintéressement primait sur tout le reste:
- En fait, je suis étudiante en histoire médiévale, et tout ce qui touche de près ou de loin à la Cathédrale m'intéresse énormément: c’est le sujet de mon mémoire, mentit-elle.
L’archéologue se pencha vers elle:
- Pouvez-vous garder un secret, mademoiselle ?
- Bien sûr, vous pouvez avoir confiance en moi. De quoi s’agit-il, d’un trésor caché ?
Elle regretta aussitôt ses paroles. Elle était en train de se trahir, et Reinhardt manipulait habilement la conversation en la laissant diriger les débats. Petit à petit elle allait s'aventurer sur un terrain dangereux et là il serait trop tard pour faire volte-face. Il risquait bien de se poser un problème si Reinhardt venait à l’interroger sur le sens de sa dernière phrase.
Mais l’effet produit la soulagea. En effet, il éclata de rire:
- Dieu que votre imagination est fertile ! Non, il ne s’agit pas de trésor caché et oublié par les siècles... du moins pas dans le sens où vous l’entendez. En fait, il s’agit d’une quête tout ce qu’il y a de plus personnelle...comprenez, cette Cathédrale renferme quelque chose que je recherche depuis des années et je suis à deux doigts de voir quinze années de ma vie récompensées de tant de sacrifices.
Cette fois-ci, Oriane se figea. Il venait de prononcer ces mots d'un ton neutre et les yeux de l’allemand la glaçaient d’effroi. Il n’avait pas cet air démoniaque; ni cette lueur dans le regard il y a cinq minutes.
Elle avait franchement peur de lui, à présent.
- Excusez-moi, il faut que je parte; je n’ai pas vu le temps passer...
Elle se leva, consciente de la maladresse de son intervention. Mais elle lui semblait nécessaire, car quelque chose en elle lui criait de fuir cet homme avant qu'il ne soit trop tard.
Alors Reinhardt lui agrippa le bras en un éclair.
- Vous me quittez déjà ? Sans avoir obtenu de réponse à votre question ? On dirait que vous cherchez à fuir, mademoiselle Sattler... je me trompe ?
La phrase prononcée d'un ton mielleux glaça la jeune femme:
- Comment connaissez-vous mon nom ? Qui êtes-vous ? Lâchez mon bras, vous me faites mal !
Cette fois la panique s'empara d'elle. Il connaissait son nom, et elle ne l'avait jamais vu! Que voulait-il donc d'elle ?
- On ne joue pas avec le feu si on craint de se brûler...vous vouliez savoir pourquoi je fouille dans cette Cathédrale, n’est-ce pas ? Pour qui travaillez-vous, mademoiselle Sattler ? Est-ce pour un journal quelconque, avide du scoop de la semaine... ou bien est-ce pour le compte d'un tiers qui chercherait à conserver l'anonymat ? Un concurrent ? Qui ?!
En disant ces mots, il l’avait forcé à se rasseoir.
Etrangement, elle ne voulait plus s’en aller; au contraire, elle tenait à l’affronter, à lui tenir tête. Il la connaissait peut-être, mais apparemment il la prenait pour ce qu'elle n'était pas. Une lâche et une maladroite. Cette situation présentait un atout considérable qui allait lui permettre de se retrouver en position de force face à lui:
- Pourquoi pensez-vous que je sois à la solde de quelqu’un, monsieur Reinhardt ? Auriez-vous des scrupules quant à la légalité de vos travaux, ou sont-ce d’autres craintes qui vous animent comme celle de devoir rendre des comptes à une tierce personne, je ne sais pas, moi... un mécène, pour reprendre votre expression ?
L’archéologue se renversa dans sa chaise.
- Vous êtes très forte, mademoiselle Sattler ! Vous venez de renverser une situation où vous ne partiez pas grande favorite...j'aime assez ce trait de caractère chez une femme, qui plus est si elle a votre beauté comme second atout.
- Répondez à ma question, Reinhardt. S'il vous plaît. A moins que vous n'en déteniez pas la réponse ; auquel cas je ...
- Pourquoi le ferais-je ? Pour satisfaire votre curiosité personnelle, ou pour satisfaire celle de celui qui vous envoie ? Vous pensiez me retourner l'effet de surprise ? Nenni, mademoiselle Sattler. Ici c'est moi qui pose les questions. En vous observant tout à l'heure en train de scruter la façade de la Cathédrale comme si vous recherchiez quelque chose, ça m'a mis tout de suite la puce à l'oreille. C'est pourquoi vous voici à cette table en train d'essayer de me faire cracher le morceau !
Oriane gardait son calme et son sang-froid; Reinhardt cherchait à la percer à jour, car visiblement il devait se sentir traqué. Il avait peur de quelqu'un ou de quelque chose, et il s'imaginait qu'elle représentait concrètement cette menace. Cette pensée excitait Oriane qui fit fi de toute prudence en continuant dans sa lancée.
- Et si notre rencontre était le fruit du hasard ? Et si vous m’aviez pris pour quelqu’un d’autre; ça vous arrive d’y songer ?
Reinhardt rit à la question de la jeune femme:
- Oh non, je sais très bien qui vous êtes, mademoiselle Sattler. Je ne suis pas homme à me tromper quand j'invite une dame à prendre un verre avec moi. Oh, je vous en prie, ne prenez pas cet air offusqué avec moi: je ne tiens absolument pas à abuser de vous. Croyez-moi; si je vous ai accosté tout à l’heure, c’est parce que je savais précisément qui vous étiez. Je n’ai aucun doute à ce sujet, soyez-en certaine.
- Dans ce cas, votre intuition à du vous dire que vous pouviez avoir confiance en moi, et me dire ce que vous cherchez, si réellement vous pensez savoir qui je suis et ce qu'éventuellement je représente.
- On dirait que, par vos propos et la rudesse de votre verbe vous défendez cet endroit comme si il vous appartenait...
- Je vous l’ai dit; j’écris un mémoire sur la Cathédrale et sur l'historique de sa construction. Alors au fil du temps passé ici, je me suis prise d'affection pour...
- Vous mentez.
- ...pour ces pierres qui...
- Vous mentez !
Un lourd silence suivit l’explosion de Reinhardt. Aux tables voisines, les gens les observèrent un court instant avant de reprendre le fil de leurs discussions.
Oriane perdait de son extraordinaire assurance, et Reinhardt semblait en profiter. Une fois de plus, la situation venait de changer de tournure et se montrait défavorable à la jeune femme.
L'allemand se pencha vers elle et sourit, d'un rictus qui se voulait machiavélique:
- Pourquoi ne pas m’avouer que c’est votre compagnon qui vous envoie m’espionner ? Poursuivit-il en la regardant droit dans les yeux. Car c'est bien pour ça que vous êtes ici, n'est-ce pas ?
Elle pâlit.
- Frédéric ? Il ne sait même pas que je vous ai rencontré. Je revenais de ma journée de course lorsque je passai par ici; et c'est en regardant la Cathédrale un instant que vous êtes venu m'accoster.
Reinhardt ne remit pas en cause la validité de la théorie avancée par la jeune femme.
- C’est juste, comment l'aurait-il su ?
Oriane posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment déjà:
- Vous le connaissez, pas vrai ?
- Quoi donc ?
- Frédéric.
Reinhardt vida son verre de bière d’un trait et fixa la Cathédrale derrière les épaules de la jeune femme.
- Non...du moins je ne crois pas le connaître...si nous nous étions rencontrés par le passé, je crois que je m'en souviendrais. En réalité je ne l'ai jamais vu.
- Dans ce cas, c’est lui qui vous connaît, peut-être.
L'homme lui adressa un sourire de complaisance:
- Il ne me connaît pas, ça je peux vous l’assurer. Cependant nous nous sommes déjà rencontré par le passé. Mais dans des circonstances que vous n'imaginez peut-être pas.
Oriane remercia le sortilège qui la protégeait; Reinhardt ne se doutait pas un seul instant de la véritable nature de la femme qui était assis en face de lui.
- C’était quand ? Demanda-t-elle d’un ton sec. Vingt, cent, mille ans ? Plus ? Moins ? Répondez !
Reinhardt était surpris de la question de la jeune femme.
- J’ai bien peur de ne pas vous comprendre...
- Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi, Reinhardt: si vous êtes un Immortel comme lui, vous devez me le dire!
L’homme éclata à nouveau de rire:
- Immortel, moi? Je voudrais bien, croyez-le ! Mais j’ai passé l’âge de croire en ces contes de fées. Non, vraiment, vous avez une imagination fertile, chère Oriane !
Il connaît même mon prénom, songea-t-elle. Mais qui peut-il bien être ?
- Je n'ignore rien de votre combat. Frédéric m'a révélé son secret...ainsi que le vôtre. Aussi ne faites pas celui qui est surpris quand j'évoque les Immortels.
- Un bon conseil, dit-il en se levant; ne vous approchez plus de la Cathédrale tant que j’y travaillerai. Je pourrai très bien vous faire arrêter pour entrave à la bonne marche de mes travaux.
- Où allez-vous ? Nous n’avons pas terminé notre discussion ! Revenez !
- Notre "discussion" s'arrêtera là pour votre bien, je vous l'assure, et dans votre intérêt, ne cherchez plus jamais à me revoir. Je vous salue, mademoiselle...
- Je...
Trop tard; Reinhardt avait tourné les talons et déjà il se dirigeait vers l’entrée du chantier de la Cathédrale.
Oriane avait du mal à ne pas trembler. La nervosité l’avait gagnée, et un sentiment de frustration la travaillait.
Qui était ce Reinhardt, et d’où la connaissait-il ? Il prétendait n’avoir jamais rencontré Frédéric, et l'instant d'après il lui parle de circonstances exceptionnelles ! Et quand bien même ils ne s'étaient réellement jamais rencontrés, il savait pourtant parfaitement qui il était...en fait, il savait beaucoup trop de choses pour quelqu'un qui ne l'avait jamais vu.
Elle se leva et quitta brusquement la terrasse du café en renversant sa chaise, la heurtant avec ses paquets.



" L' ECHELLE " - Antiquités achat-vente. F. MAISONGRANDE


Il avait acheté ce magasin à Strasbourg en 1919.
A cette lointaine époque, les prix n’étaient pas très élevés, l'immobilier ne connaissant pas encore l'intérêt qu'il suscite aujourd'hui et son immense fortune avait même permis d’ y entreprendre une longue série de restaurations.
Située sur les quais en face du vieux quartier touristique de la Petite France, sa boutique recevait un nombre important de visiteurs, aussi bien en période de morte saison qu’en plein été.
Beaucoup de ses acquisitions valaient plusieurs millions; cependant, l’argent n’étant pas un besoin immédiat pour Maisongrande il s’était autorisé une dévaluation assez impressionnante de la plupart des pièces exposées. Mais les nombreux collectionneurs des quatre coins du monde qui le contactaient n’étaient pas dupes: ils connaissaient la valeur et la qualité de ce que leur fournissait l’antiquaire.

Il faisait relativement bon, ce matin-là, sur Strasbourg.
En regardant l’enseigne se balançant, accrochée par de minces chaînes de bronze, Maisongrande se rendit compte que cela faisait presque un mois qu’il n’était pas revenu à son magasin.
Il n’avait pas été dans ses projets d’y revenir, à vrai dire, mais sa rencontre avec Reinhardt quelques minutes auparavant l’avait quelque peu déstabilisé, et il cherchait à présent à se plonger dans une activité qui lui prendrait du temps et monopoliserait son attention.
La lumière entra progressivement avec le lever du rideau de fer, illuminant les diverses pièces de collection, faites d’or ou d’argent du 18ème siècle. L’effet fut immédiat; les objets se mirent à irradier, comme si la vie s’était à nouveau emparée d’eux.
Maisongrande posa son manteau sur une commode en ébène ornée d’ivoire, et se dirigea vers son bureau: comme il s’y était attendu, les fax s’amoncelaient au pied du meuble en acajou. Cela le fit sourire:
- Encore des commandes du monde entier, pensa-t-il en prenant place dans son fauteuil de cuir. Eh bien soit, au travail ! Epluchons ces messages !

Lorsqu’il jeta un oeil sur sa montre, il remarqua qu’il était une heure passée. Il se renversa dans son fauteuil en s’étirant.
Il avait passé toute la mâtiné à classer les commandes et les autres messages, vérifiant sur sa liste si les pièces demandées figuraient encore dans son stock; et à présent il avait vraiment faim. Aussi se leva-t-il, prêt à fermer boutique pour se rendre dans l’un de ses restaurants préférés. Mais au moment où il enfilait son manteau, il entendit le bruit caractéristique de son fax. Désirant déjeuner tranquillement, il préféra consulter son dernier message avant de partir.
- Juste au cas où, dit-il à haute voix comme pour se justifier.
Ce dernier était court, mais clair.
Ce qui ne l’empêchait pas cependant d’être des plus intriguant.
Les mots lui firent froncer les sourcils:

« Prends garde à toi, mon ami; méfie-toi de Reinhardt. »

1 commentaire:

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Mon nom est aspirateur, ma fille de 18 ans, Tricia a été diagnostiquée d'herpès il y a 3 ans. depuis lors, nous allons d'un hôpital à l'autre. Nous avons essayé toutes sortes de pilules, mais tous les efforts pour se débarrasser du virus étaient vains. Les cloques ont réapparu après quelques mois. Ma fille utilisait des comprimés d'acyclovir 200 mg. 2 comprimés toutes les 6 heures et crème de fusitine 15 grammes. et H5 POT. Le permanganate avec de l'eau doit être appliqué 2 fois par jour mais tous ne montrent toujours aucun résultat. J'étais donc sur Internet il y a quelques mois, à la recherche de tout autre moyen de sauver mon enfant unique. à ce moment-là, je suis tombé sur un commentaire sur le traitement à base de plantes dr imoloa et j'ai décidé de l'essayer. Je l'ai contacté et il a préparé des herbes et me les a envoyées avec des directives sur la façon d'utiliser les herbes via le service de messagerie DHL. ma fille l'a utilisé comme dr imoloa dirigé et en moins de 14 jours, ma fille a retrouvé sa santé .. Vous devriez contacter le Dr imoloa aujourd'hui directement sur son adresse e-mail pour tout type de problème de santé; lupus, ulcère de la bouche, cancer de la bouche, douleurs corporelles, fièvre, hépatite ABC, syphilis, diarrhée, VIH / sida, maladie de Huntington, acné au dos, insuffisance rénale chronique, maladie addison, douleur chronique, maladie de Crohn, fibrose kystique, fibromyalgie, inflammatoire Maladie intestinale, mycose des ongles, maladie de Lyme, maladie de Celia, lymphome, dépression majeure, mélanome malin, manie, mélorhéostose, maladie de Ménière, mucopolysaccharidose, sclérose en plaques, dystrophie musculaire, polyarthrite rhumatoïde, maladie d'Alzheimer, maladie de Parkison, cancer vaginal, épilepsie Troubles anxieux, maladies auto-immunes, maux de dos, entorse dorsale, trouble bipolaire, tumeur cérébrale, maligne, bruxisme, boulimie, maladie du disque cervical, maladies cardiovasculaires, néoplasmes, maladies respiratoires chroniques, troubles mentaux et comportementaux, fibrose kystique, hypertension, diabète, asthme , Médiateur auto-immun inflammatoire arthrite. maladie rénale chronique, maladie articulaire inflammatoire, impuissance, spectre d'alcool féta, trouble dysthymique, eczéma, tuberculose, syndrome de fatigue chronique, constipation, maladie inflammatoire de l'intestin. et beaucoup plus; contactez-le sur email- drimolaherbalmademedicine@gmail.com./ également sur whatssap- 2347081986098.