13 novembre 2005

Avant-dernier chapitre...

Reinhardt freina en voyant les premiers panneaux annonçant la fermeture de la route conduisant au Mont Sainte-Odile.
Mais au lieu de rebrousser chemin, il descendit de voiture, et attrapant un des panneaux, le lança en contrebas, dans un des lacets qu’il avait emprunté pour monter jusqu’ici.
- Quelle ruse grossière…tu me prends vraiment pour un demeuré, Mac Datho !
Un sourire narquois se dessinait sur son visage: ah, il avait bien organisé sa retraite, ce chien. Isolé sur un sol sacré, à l’abri de toute tentation et du monde extérieur, il avait dû se préparer en vue d’un éventuel affrontement ! Rodrigues avait raison quand il vantait les qualités morales de son futur adversaire...
Reinhardt remonta à bord de sa voiture dont il fit crisser les pneus avant de foncer dans les panneaux restants.
Un violent fracas de métal froissé accompagna sa percée, et l’allemand continua sa montée vers le couvent.


Tentant de s’accrocher à ce qu’il pouvait tandis que Cornélius les faisait valdinguer d’un bout à l’autre de la voiture, Lebeau criait dans son téléphone:
- Ma soeur, il est très important pour moi de joindre cette jeune personne ! Voulez-vous bien me la faire chercher, s’il vous plait ? Chambre 8…
Mais par trois fois déjà sa demande avait essuyé un refus catégorique:
- Ces deux jeunes femmes sont ici pour le repos de leurs âmes, et pour goûter un peu de sérénité, m'ont-elles dit. Nous nous sommes par ailleurs engagées à ne jamais nous occuper de la vie privé de nos hôtes, quels qu'ils soient ! Je suis désolé pour vous, monsieur Lebeau mais il est hors de question que j’interrompe leur pèlerinage, surtout à une heure aussi avancée!
- Je vous en prie, au nom de Dieu, supplia le cajun; elles courent un grand danger, laissez-moi les prévenir !
Mais la soeur haussa elle aussi le ton en entendant le parjure de Lebeau:
- Reprenez-vous, monsieur ! Je ne vous permets pas de jurer et d’invoquer le nom de notre Seigneur à des fins purement personnelles...
- Il s’agit bien de ça maintenant, bougonna le cajun en jetant un regard noir dans le rétroviseur à l’adresse d’Esméralda qui esquissait un sourire à l’idée de voir son chef de Guilde, respecté et craint par tous les voleurs, se faire tenir tête par une petite vieille au téléphone.
- Je vous demande juste de les prévenir qu’un danger les menace ! Accordez-moi au moins cette grâce !
- Pour la dernière fois, je vous répète que nous nous sommes engagées à ne pas nous occuper...
-...de la vie privée, et gnangnangnan et gnangnangnan !
Lebeau jeta le téléphone de rage contre la boîte à gants et se tourna vers Cuchùlainn.
- Rien à faire; on n’arrivera pas à les joindre avant que Reinhardt n’arrive là-haut ! Saleté de bigote!
- T'en fais pas, on y sera bientôt, lui répondit Cornélius en accélérant dans les premiers lacets.
- Oui, mais ralentis quand même un peu, je te prie...
Esméralda attira l’attention de son compagnon sur un objet qui reflétait la lueur de ses phares au milieu d’un lacet:
- Ralentis, on te dit ! Je ne sais pas ce que c’est, mais à mon avis ça n’a pas sa place sur la chaussée...
La voiture s’arrêta et Lebeau se pencha par-dessus la portière:
- C’est un des panneaux interdisant l’accès au couvent. Il a du dégringoler d’un des lacets plus haut...pourvu qu’il ne soit pas déjà trop tard ! Fonce, mon vieux!
- C’est parti, accrochez-vous!
Cuchùlainn agrippa l’appuis tête du siège de Lebeau lorsque la voiture se mit à sursauter.
Esméralda reconnut la manière de son ami de prendre les virages de manière très sèche, et de manquer plusieurs fois de les précipiter dans le ravin. Mais par chance, les pneus semblaient coller à la route.
Bientôt ils arrivèrent en vue des panneaux écrasés par le passage de Reinhardt.
- J’avais raison, maugréa Lebeau. Il est déjà arrivé.
- Encore quelques minutes et nous serons au couvent, un peu de patience !
La voiture passa devant un petit croisement entre le chemin de terre qui conduisait les marcheurs au mur Païen.
- Stop !
Cuchùlainn ordonna à Cornélius d’arrêter la voiture, ce qu’il fit d’un coup de frein à main.
- Tu as vu quelque chose ? Demanda Esméralda.
Cuchùlainn saisit son épée et se leva:
- Je vais monter par le GR, lança-t-il à Lebeau. Comme ça j’aurai plus de chance de le coincer s’il compte se rendre à la grotte des Druides ! J’y serai probablement avant vous. Montez au Couvent et si jamais il y est, rabattez-le vers moi. J’espère que Morrigann aura eu la présence d’esprit de se rendre à la grotte !
Et sans attendre de réponse de son ami, il sauta du véhicule en marche.
Après un salto, il parvint à se réceptionner sans mal sur le macadam.
Surpris lui-même de sa performance il entama l’ascension de la montagne, laissant les deux voleurs et l'Immortel continuer leur route…

La lune perçait à travers les arbres, et Cuchùlainn salua cette faible lueur qui allait le guider dans son ascension. Il pu ainsi distinguer le sentier qui serpentait entre les racines et les buissons de myrtilles.
A cet endroit du GR, la montée était assez sèche, et Cuchùlainn commençait à transpirer.
Le poids de l’épée qu’il tenait fermement à la main ne se faisait pas encore trop sentir, mais il savait que cela ne tarderait pas.
Soudain, il perçut une forme qui se dessinait au milieu du chemin, sous les sapins : il reconnut le Kiosque Jadelot.
Encore une petite dizaine de minutes et il serait au Maënnelstein.
La porte du Kiosque était fermée de ce côté du chemin. Cuchùlainn longea les murs octogonaux jusqu’au balcon qui donnait sur l’ouest et la montagne endormie. Il enjamba le balcon et traversa le kiosque pour ressortir sur la partie la plus pentu du chemin.
- Allez, mon vieux : t’y es presque, s’encouragea t-il en reprenant sa course.
Le visage de Morrigann l’obsédait. La peur qu’il lui soit arrivé malheur décupla ses forces et il accéléra encore dans la montée...



Florence entendit des pneus crisser sur le parking.
Elle s’approcha de la fenêtre, surprise de constater la présence d »’une voiture à cette heure-ci, alors que normalement la route avait été barrée par Lebeau.
Elle avait tout d’abord songé à un éventuel retour de son chef ou de Cuchùlainn, mais le bruit inhabituel la fit très vite changer d’avis: même pressé, Lebeau ne faisait jamais un tel boucan en stationnant sa voiture: il tenait trop à ses pneus !
La jeune femme écarta doucement le rideau et sursauta: un homme venait de sortir une épée de son coffre de voiture, et il se dirigeait à présent vers la porte du couvent.
Par chance, les soeurs la fermaient à partir de minuit les soirs de saison, pour éviter toute surprise désagréable pendant la nuit. Cela lui laissait un temps de répit, songea-t-elle.
Elle s’approcha du lit où dormait Morrigann. Se penchant vers elle, elle lui secoua les épaules :
- Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Sursauta Morrigann en se redressant ?
Elle se frotta les yeux embués par le sommeil:
- Florence ? Que se passe-t-il ?
- Il est arrivé ! Je crois qu’il nous cherche...habille-toi en vitesse, il faut qu’on décampe d’ici avant qu’il nous trouve !
- Qui, il ?
- Ton archéologue.
- Reinhardt est ici ? Mais alors, il a...
Florence la coupa, s’interdisant toute pensée négative:
- Ca veut dire que les garçons ne l’ont pas encore rencontré, rien de plus pour le moment. Allez, viens! Il faut qu’on déguerpisse au plus vite.
Morrigann ferme les yeux et se concentra. Pourquoi ne percevait-elle pas sa présence ?
Florence ouvrit la porte de la chambre et se mit à l’affût du moindre bruit inhabituel. Soudain un cri perçant la fit sursauter : elle se retourna et vit Morrigann en transe.
- Le sortilège ne me protège plus ! Constata la jeune femme en se levant. Il va me sentir si il vient par ici !
Les deux jeunes femmes quittèrent la chambre et s’enfoncèrent dans la pénombre du couloir.
Morrigann empêcha Florence d’allumer un des minuteurs du couloir, et se frayant un chemin dans l’obscurité elles descendirent au rez-de-chaussée par l’escalier.
Arrivées à la porte qui fermait l’aile qu’elles occupaient, Florence fit tourner le loquet en espérant qu’il ne fut pas fermé à clé. Par bonheur, il n’en était rien, et elles se retrouvèrent dans la cour des Pèlerins.
Le bruit de l’épée de Reinhardt contre la porte de bois du porche fit sursauter Morigann qui s’approcha de Florence:
- Et maintenant, on va où ? Il nous coupe toute retraite en dehors de l’enceinte du couvent!
- Viens ! On file vers les chapelles !
Emboîtant le pas à son amie, elle couru en direction de la petite porte située entre l’église et la grande salle des Pèlerins, qui donnait sur le cloître.
De là, elles pourraient entrer dans le déambulatoire et ressortir par derrière, vers la chapelle des Larmes et la chapelle des Anges.
Le bruit de martèlement avait réveillé des adorateurs perpétuels qui passaient la semaine au couvent, et des cris d’indignation et de colère se firent bientôt entendre. Deux pèlerins étaient descendus, armés de bâtons ramassés dans la cour, et se dirigeaient vers le portail. Mais lorsqu’ils arrivèrent sous le porche, ils n’eurent pas le temps d’esquiver la garde de l’épée de Reinhardt qui vint s’écraser sur leurs crânes.
L’archéologue regarda un instant les corps s’affaisser sur les pavés, puis il reprit sa folle course en direction des chambres des pèlerins…

Florence essaya d’ouvrir la porte du déambulatoire.
Fermée!
- Il est rentré ; annonça Morrigann qui se concentrait pour tenter de localiser Reinhardt sans que lui ne parvienne à la détecter. C’est le moment de filer d’ici !
- Pour aller où, tu as une idée ?
- La grotte des Druides ! Je suis sûre que Cuchùlainn nous y retrouvera.
Florence la rejoignit:
- En espérant que ce ne soit pas lui qui nous retrouve avant ! Allons-y...
Respirant un grand coup, les deux jeunes femmes s’élancèrent à travers l’esplanade.


Reinhardt ouvrait d’un coup de pied toutes les portes du premier étage de l’hôtellerie, rencontrant des tonnerres de reproches et des jurons, en alsaciens pour la plupart.
Mais les esprits se calmaient très vite à la vue de l’arme que l’étranger tenait dans sa main droite. Lorsqu’ils le virent, certains pèlerins assez âgés se sentirent mal, et l’un d’eux faillit avoir une crise cardiaque en voyant la silhouette de l’allemand se dessiner dans l’encadrement de la porte de sa chambre.
Il arriva en vue de la chambre numéro huit. Mais il ne s’y rendit pas; la porte était entrebâillée, les deux femmes avaient dû prendre la fuite.
Rageant, il se mit à courir dans le couloir lorsqu’il s’arrêta soudain devant une fenêtre donnant sur la cour: il eut juste le temps d’apercevoir une ombre entrer sous le porche et qui filait en direction de la sortie. Rebroussant chemin, il traversa le couloir et entra dans ce qui fut leur chambre, il ouvrit la fenêtre en cassant un carreau.
Il les vit courir vers le chemin conduisant au mur Païen.
Un sourire naquit sur ses lèvres dans sa barbe :
- Courez, mes jolies...vous ne m’échapperez pas ! Je sais où vous vous rendez, et j’y serai pour vous attendre !
Il sortit de la chambre d’un pas rapide, mais sans courir, visiblement sûr de lui…


Morrigann et Florence arrivèrent au pied du gigantesque rocher au sommet duquel démarrait le chemin de Croix, et derrière lequel des vestiges du mur Païen étaient éparpillés suite aux aménagements effectués pour la commodité des visiteurs et l’aménagement d’un parking.
- Stop, souffla Florence, je suis claquée ! On fait une pause !
Morrigann se retourna:
- Pas question ! Il est peut-être juste derrière nous, on en sait rien ! Il faut continuer jusqu’à la grotte ; là-bas, on se reposera ! Encore un peu de courage.
- Justement, on ne sait pas si il nous court après.
- Ce n’est pas une raison pour lui laisser de précieuses secondes...allez !
Elle prit la main de son amie, et toutes les deux continuèrent à courir.
Mais au bout d’une centaine de mètres ce fut Morrigann qui s’arrêta; elle fit signe à Florence de ne pas bouger et de ne plus faire de bruit.
- On s’arrête, alors ? Hoqueta t’elle entre deux soupirs.
- Chut...
Une légère brise soufflait dans les branches des arbres, mais Morrigann était persuadée d’avoir entendu le bruit d’un moteur de voiture.
- Peut-être qu’il s’en va...lui souffla Florence. Il renonce…
- Non, le bruit semble monter vers le couvent, plutôt...
- Tu dois confondre avec le vent, lui dit son amie. En route !
- Oui...
Les deux femmes passèrent devant les rochers géants qui marquaient le début du mur continu jusqu’au Maënnelstein; Florence se retourna une dernière fois, mais elle n’entendit plus que le vent dans les feuillages.
- Tu sais où on va ?
- On va couper à travers le sommet de la montagne, en passant par le rocher du canapé. C’est un raccourci.
Emboîtant à nouveau le pas à Morrigann, Florence se remit en marche, peinant à trouver son souffle…


- Là ! C’est sa voiture ! Cria Esméralda en arrivant sur le parking du couvent. Je la reconnaîtrai entre mille: c'est bien celle qui m'a dépassée tout à l'heure !
Lebeau sortir de la voiture tandis que Cornélius vint se ranger à droite de celle de Reinhardt.
Esméralda sauta par-dessus bord et les trois entrèrent sous le porche. Lebeau manqua de trébucher sur les deux corps des pèlerins étendus sur le sol. Il se pencha pour examiner les blessures lorsque Cornélius le rejoignit.
- Ils n’ont pas de commotion, apparemment, diagnostiqua le cajun à l’adresse d’Esméralda qui se pencha à son tour sur les corps. On les a assommé, de toute évidence. Je te les confie, soigne-les bien et préviens tout le monde de rester enfermé, y compris les sœurs.
- Ok, et j’irai m’excuser pour toi auprès de la soeur que tu as eu au téléphone.
- C’est ça...
Au passage, elle embrassa fougueusement Cornélius qui l’éteignit de toute sa force.
- Sois prudent, toi...
- Fais-moi confiance, voleuse...
- Bon, on file, grand ! Ordonna Lebeau à l’adresse du géant blond.
Esméralda resta seule avec les deux blessés alors que les deux hommes quittaient à leur tour le couvent en direction du Maënnelstein.

Ils se retrouvèrent sur le parking et Lebeau s’arrêta pour réfléchir:
- Voyons...si j’étais Florence, et que Reinhardt me pistait...par où irais-je ? Vers la fontaine ? Non...c’est bien trop dangereux de nuit...en plus, on est visible de trop loin...
Il se tourna vers Cornélius:
- Elles sont parties à la grotte des Druides.
- Dans ce cas, elles ont dû passer par le sentier des grands rochers...elles mettront au moins une demi-heure avant d’y arriver.
- Morrigann connaît le raccourci du rocher du canapé. Reinhardt, j’en doute.
- Allons-y !
Ils s’élancèrent sur les traces des fugitives, persuadés qu’ils avaient raison.
Mais Rémy fit soudain volte-face, retourna à la voiture d’Esméralda et s’empara de Tir Inna M’Béo.
Elle pesait lourd, et il ne se vit la transporter que sur son dos. Aussi déchira-t-il son trench coat pour en faire des bandes qu’il noua les unes aux autres avant d’attacher l’épée de son ami en bandouillère.
- On nous l’a déjà piqué une fois, faudrait pas qu’ ça se renouvelle ! Cuchùlainn a pris avec lui l’épée qu’il vient de forger, mais je suis sûr que celle-ci nous sera utile...
- Laisse-là moi, lui dit Cornélius. J'aurai moins de mal que toi à la transporter !
Sur ces mots, le grand blond s'empara de l'épée qu'il plaça sur son dos à côté de la sienne.
- C’est vrai qu’elle est lourde. Bien, on est parti ?
- On est parti !
Cette fois-ci, ils coururent pour de bon en direction de la grotte des Druides.

Quelques adorateurs perpétuels portèrent assistance à Esméralda pour porter les deux blessés dans la salle des Pèlerins.
Des soeurs, alertées de ce qui se passait au sein de leur couvent étaient venues les rejoindre; et à présent on administrait les premiers soins aux deux malheureux.
Esméralda se tenait à l’écart.
Après leur avoir expliqué succinctement la situation, elle laissa les soeurs s’occuper de tout le monde, et elle quitta la salle des Pèlerins.
Les gendarmes avaient été appelés, et ils ne tarderaient pas à arriver au couvent. Si possible, la jeune femme préférait autant que possible ne pas avoir à faire à eux.
Elle entra alors dans l’église où se trois adorateurs priaient en silence leur tranche horaire avant de se faire relever par d’autres des leurs.
La jeune femme se signa et marcha doucement le long de l’allée centrale.
Puis elle bifurqua vers un des autels des saints auxiliaires, et s’arrêta devant un chandelier au pied d’une statue représentant la Vierge tenant l’enfant Jésus.
Elle sortit une pièce de monnaie de la poche de son blouson et la glissa dans la fente du tronc prévu à cet effet. Le tintement de la pièce attira l’attention d’un des adorateurs qui retourna aussitôt à sa méditation.
La jeune femme aurait très bien pu se contenter d'allumer une bougie, mais elle avait toujours respecté le caractère sacré de la religion, bien que par sa vie et ses activités elle ne soit pas amenée à fréquenter beaucoup d'églises.
Esméralda alluma donc un cierge qu’elle déposa sur le présentoir. Puis elle ferma les yeux et dit en murmurant:
- Notre Dame des Voleurs Perdus, protégez votre enfant...
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle eut l’impression que sa bougie brûlait plus fort que les autres, comme si elle attirait à elle les autres petites flammes dont les lueurs dansaient sur le mur.
Elle resta là, assise dans l’église silencieuse, à regarder brûler sa bougie, et attendant l’issue de la bataille.
Quelques instants plus tard, elle s’endormit sur le banc de l'église, épuisée nerveusement par cette folle nuit.
Un des pèlerins venu remplacer les trois adorateurs enleva sa veste et couvrit ses épaules pour ne pas qu'elle prenne froid.



Florence et Morrigann avaient ralenti leur course, fatiguées. Elles marchaient à présent d’un pas rapide.
Morrigann scrutait la forêt, et il lui sembla que les arbres commençaient à se clairsemer. Bientôt elles arrivèrent en vue de la clairière qui devançait le rocher du Maënnelstein.
Elles étaient en sécurité, maintenant.
- On y est ! Cria Morrigann. Je vois le Kiosque. Une fois là-bas, il ne nous faudra pas plus de dix minutes pour rejoindre la grotte. Courage !
- Ici ce sera bien, protesta Florence en reprenant son souffle et en désignant le kiosque. On va s’y planquer et souffler un peu. Après on se dirigera vers la grotte des Druides, mais pour l’instant il faut que je me repose.
Gagnées par l’euphorie et le sentiment qu’elles étaient désormais à l’abri de tout danger, elles cessèrent de courir pour marcher vers le kiosque en tentant de ralentir leur respiration.
Soudain, Florence prit le bras de Morrigann et s’arrêta:
- Regarde là-bas, on dirait qu’il y a quelqu’un devant le kiosque...
Une silhouette se tenait debout sur le rocher.
De loin, et la nuit, aucune des deux ne parvenait à distinguer de qui il pouvait s’agir. Morrigann ressentit l’Accélération:
- Je suis sûre que c’est Cuchùlainn. Il nous a trouvé ! Fred, c’est nous !
- Attends ! Ne cours pas...
Trop tard; la jeune femme courait vers son fiancé en appelant son nom.
Florence poussa un cri en voyant l’épée dans la main de l’homme. Sa forme...
Ce n’était pas celle de Cuchùlainn.
L’homme était trop grand pour être Cuchùlainn.
Florence comprit trop tard qu’elles venaient de tomber dans les mains de celui qu’elles avaient cherché à fuir.

Morrigann s’immobilisa brusquement en reconnaissant l’homme qui se tenait debout sur le rocher. Tétanisé par le choc, elle ne pouvait plus faire un pas de plus; Florence la rejoignit, et toute deux se tinrent la main.
L’homme éclata de rire, un rire qui raisonna dans la nuit et qui fit frissonner les deux femmes.
- Bonsoir, mesdemoiselles...je suis très content de vous voir...et de vous revoir, chère Oriane. Cela faisait longtemps, vous ne trouvez pas ? Quelques jours, me direz-vous, mais que sont deux jours en comparaison d’une éternité à attendre celle qui fait battre votre coeur ?
La jeune femme se ressaisit:
- Pas assez longtemps à mon goût, assassin !
Reinhardt se défendit:
- Assassin, moi ? Comme vous y allez ! Je n’ai à ma connaissance encore tué personne ! Et si vous vous tenez à carreau, je ne pense pas commencer cette nuit !
Florence s’avança:
- Comment avez-vous fait pour arriver ici avant nous ?
- Je connais les mille et un sentiers de cette montagne. Apprenez que vous avez perdu une vingtaine de minutes à prendre le chemin des grands rochers...moi, je me suis contenté de couper par le sentier du souvenir...surprises ?
- Pas vraiment, répondit Florence avant d se tourner vers Morrigann:
- File pendant que je l’occupe, murmura-t-elle.
- Pas question de te laisser seule avec lui, s’indigna-t-elle. Tu rigoles ou quoi ?
Reinhardt s’avança vers les deux femmes qui firent quelques pas en arrière:
- Toi, la brune, je n’ai rien contre toi, tu peux partir...c’est la femme du Barbare que je veux !
Florence serra les poings:
- Et puis quoi encore, une pipe ? Si tu crois que je vais m’en aller et laisser mon amie toute seule, tu rêves !
Reinhardt s’approcha d’elle et la gifla, l’envoyant chuter lourdement sur le sol. Morrigann se jeta sur lui en criant:
- La touche pas! Si c’est moi que tu veux, je suis là ! Ne la touche plus jamais sale monstre !
L’allemand lui saisit le poignet gauche et le tordit de façon à lui arracher un cri de douleur.
- Voilà qui est mieux, murmura-t-il d’une voix mielleuse à l’oreille de la jeune femme. Tu vas enfin payer mon tribut, que j’attends depuis des siècles ! Tu vas mourir comme est morte Charlotte des mains de ton amoureux...
Il la jeta violement sur le sol, à côté de Florence qui se tenait la mâchoire. Il contempla les deux femmes et se remit à rire:
- Seule et sans arme…avant que tu meures, je voudrais savoir comment tu as fait pour que je ne te reconnaisse pas lors de notre entretien devant la Cathédrale.
Morrigann esquissa un sourire ironique :
- J’ai été élevée en Avalon… un sortilège de protection m’a jusqu’ici dissimulée à tous.
Reinhardt ricana :
- Mes compliments…puisque je n’ai pas réussi à tuer Cuchùlainn, j’aurais au moins la satisfaction de le priver de ce qu’il m’a ôté. Et ta magie sera mienne, sorcière! Que ton sang se mêle à celui de Charlotte…
Levant son épée vers le ciel, il s’apprêta à la guider vers le cou de Morrigann dans un râle féroce, à moitié couvert par les cris de détresse des deux jeunes femmes.
- Il ne peut en rester qu’un…
Son geste sur arrêté par une pierre lancée sur sa tempe. C’était Florence.
Il se précipita sur la jeune femme et la frappa du revers de son épée, l’abandonnant inconsciente sur le rocher.
- Voilà pour toi, salope…
Puis il revint vers Morrigann et s’apprêta à l’immoler sur la pierre humide du Maënnelstein.
Mais au moment de frapper, il s’immobilisa, et tourna la tête en direction du kiosque.
Il venait de ressentir la présence d'un autre Immortel.
C’est alors qu’une voix se fit entendre:
- Reinhardt ! Arrête, espèce de lâche ! Une fois encore tu profanes un sol Sacré !
L’allemand s’écarta des deux femmes et vit s’approcher une silhouette qui sortit de l’ombre des arbres:
- On dirait que je vais enfin pouvoir achever ce que j’ai commencé, fit il en souriant. Approche, Lebeau, je t’attends !
Derrière le cajun se tenait Cornélius.
- Je vois que tu n’es pas venu tout seul…
Cornélius s’avança vers Reinhardt qui s’éloigna des deux femmes. Morrigann se releva péniblement et vint s’abriter derrière le géant. Ce dernier se pencha sur le corps inanimé de Florence. Constatant qu’elle reprenait ses esprits, il dégaina son épée et fit signe à Lebeau:
- Elles ne craignent plus rien, à présent. Fais ce que tu as à faire et finissons-en.

Florence se releva, aisée par Morrigann. Un mince filet de sang coulait de sa tempe bleuie, et elle reconnut Lebeau.
Ce dernier s’approcha d’elle tout en gardant un œil sur Reinhardt et il posa la main sur son épaule. La jeune femme la lui serra de toute ses forces et vint se blottir contre sa poitrine. Elle pleurait.
Lebeau considéra Cornélius dont la massive silhouette les recouvrait de son ombre protectrice, puis il la regarda avec la tendresse d'un père retrouvant sa fille saine et sauve.
Refusant de se laisser troubler par l’étreinte de la jeune voleuse, il s’en défit et l’examina rapidement:
- Tu peux marcher ? Lui demanda-t-il doucement.
- Je crois que ça va aller...
- Bien, dans ce cas, retournez vite au couvent; Esméralda vous y attend. Elle vous protègera en cas de danger.
Morrigann dévisagea le cajun:
- Et toi, que vas-tu faire ?
Florence lui prit le visage entre ses mains:
- Tu ne vas pas te battre contre lui ? Oh non, Rémy...ce serait pure folie !
-Partez, cria-t-il sèchement à Morrigann. S’il-te plait, emmène-là avec toi et quittez cet endroit ! Elle devient hystérique et ça m’énerve.
Morrigann acquiesça. Ellela prit alors par les épaules:
- Florence, écoute-moi... Rémy sait ce qu’il fait...et Cornélius reste à ses côtés. Si nous restons, nous risquons de le déconcentrer...viens...
- Mais...
- Il ne mourra pas, je te le promets...il aime trop la vie, il reviendra victorieux de son duel. A présent laisse-le.
Florence accepta de suivre son amie à contrecoeur, laissant Lebeau et Reinhardt se mettre en garde pour leur ultime combat. Elles rejoignirent Cornélius qui ne quittait pas les deux hommes du regard.
- Partez, comme il vous l'a dit. Ici, vous ne nous serez d'aucune utilité, je le crains. Morrigann a raison, ce qui va se passer ici ne vous concerne en rien. Moi je vais rester, au cas où le vainqueur ne serait pas celui que nous espérons tous...
Florence dévisagea le colosse aux cheveux courts:
- Il va gagner, n'est-ce pas ?
Mais elle fut surprise par la froideur du regard de Cornélius.
- Rémy Lebeau est un Immortel des plus puissants. Seul l'avenir nous dira si cela suffira à lui assurer la victoire. Partez, maintenant...

Reinhardt fixait le chef de la Guilde des Voleurs dans les yeux.
A la faveur de la nuit, il avait de grandes chances de remporter son combat, habitué à se mouvoir dans l’obscurité. Il serra la garde de son épée contre son poignet fermé sur son manche et leva sa lame au ciel:
- Cette fois-ci, Lebeau, pas de fuite ni d’abandon ! Plus de Goldberg pour te sauver la mise. Tu mourras de mes mains!
- Et tu crois que cela ramènera Charlotte du pays des morts ? Tu es complètement fou, ma parole !
Reinhardt cria:
- Assez ! Ne souille plus ni son nom ni sa mémoire, espèce de sale bâtard !
Puis il se rua sur Lebeau à coup d’épée incisifs.
Parant tant bien que mal les assauts dont la puissance était décuplée par la rage, il se retrouva vite en mauvaise posture, subissant plus qu’il ne dominait. Mais il tenait bon.

Cornélius, l'épée prête à bondir, suivait le combat sans mot dire. Il constatait lui aussi les difficultés de Lebeau, mais se forçait à ne pas intervenir dans le duel à mort que se livraient les deux hommes.
Le cajun, qui parvenait à grand renfort d’esquives à se maintenir au niveau de Reinhardt, continuait de le harceler:
- Elle est morte, Walter, reprit-il en donnant un coup d’estoc qui fut détourné par la lame de son adversaire; on ne vit pas avec des souvenirs ! Elle était des nôtres, elle allait mourir un jour ou l’autre, comme nous ! Je te l'ai déjà dit, non ?
- Tais-toi ! Rugit-il en bavant de rage; ce soir, c’est toi qui vas donner ta vie pour elle !
Il recommença à attaquer Lebeau avec rage.
Les coups se mirent à pleuvoir sur la lame du voleur qui reculait imperceptiblement. Mais il revint à la charge en puisant dans ses réserves. Il parvint à esquiver un coup de front et à entailler le poignet gauche de son adversaire.
Reinhardt cria sur le coup, puis il lécha la plaie, s’abreuvant de son propre sang en riant:
- Pas mal, Lebeau...tu es l’un des rares qui soit parvenu à me toucher... et le dernier, je te le garantis!
Mais au moment où il s’apprêtait à riposter, un cri se fit entendre, stoppant net les deux combattants dans leurs assauts:
- Assez !
La voix venait de derrière Cornélius qui ne broncha pas. Il ferma les yeux et salua d'un geste de la main l'arrivée du nouveau venu.
- Enfin te voici...
Reinhardt s’immobilisa, tandis que Lebeau baissa sa garde.
- Ouf, tu arrives à temps, toi...
Cuchùlainn fit son apparition sur le rocher.

Florence s’arrêta et se retourna en direction du rocher du Maënnelstein.
Les bruits du combat avaient cessé, et l’angoisse s’empara de son esprit. Morrigann s’approcha d’elle et lui prit la main:
- Il est arrivé…Cuchùlainn est sur le rocher.
Florence vit qu’elle pleurait.

Cuchùlainn se tenait droit, sa nouvelle épée à la main.
Marchant doucement vers l’allemand, il vint se positionner juste devant son ami.
- Le sang a déjà trop coulé sur ces terres qui sont miennes...je ne tolèrerai pas qu’un de mes amis abreuve ce sol avec le sien.
Puis à l’adresse de Lebeau:
- Ce combat n’est pas le tiens, mon ami. Laisse-moi enfin régler mes problèmes.
Le cajun s’inclina, s’apprêtant à rejoindre Cornélius.
- Permets néanmoins que je reste. Je veux que ce combat soit loyal et sans tricherie. Aussi me porterai-je garant de l’intégrité de chacun. Cornélius et moi serons les témoins de votre affrontement.
Cornélius s'approcha à son tour.
- Je reste, moi aussi, afin d'assister à ce combat qui nous garantira enfin la paix, qu'elle qu'en soit l'issue. Nous veillerons à ce que plus jamais il n’y ait de danger pour personne...
Détachant l’épée qu’il avait dans le dos, il la tendit à Cuchùlainn en disant:
- Cuchùlainn MacDatho de Leinster, voici ce qui t’appartient !
Mais le Celte se contenta de répondre par un sourire.
Puis il se tourna vers Reinhardt:
- Cette épée est sacrée ! Elle porte le nom de la Déesse de la Terre, et celui de ma mère. En l’exhumant de sa châsse où elle devait reposer pour l’éternité, tu m’as offensé, ainsi que les Dieux qui veillaient sur son sommeil. Je vais devoir te tuer pour laver cet affront par ton sang.
Reinhardt se mit à ricaner:
- Oh, oh ! Cuchùlainn le valeureux accepterait de se battre sur un sol Sacré, enfreignant ainsi la Règle ! Pour une première, c’est une première !
- Tu as le premier renié ce principe élémentaire, plongeant ainsi les Immortels du monde entier dans l’insécurité et le doute. Par ta faute, nous ne serons plus en sécurité nulle part, car la Règle a été enfreinte. Mon épée sacrée est la seule digne de répandre ton sang sur cette terre souillée, afin de la purifier à jamais. Désormais ce monde ne connaîtra la paix que lorsque tu l’auras quitté.
-Assez parlé s’impatienta Reinhardt; venons-en au fait ! Cette nuit est ta dernière sur cette terre !
- Très bien !
Il lança sa nouvelle épée à Cornélius:
- Sa création ne fut pas une partie de plaisir...penses-tu qu’elle fera l’affaire ?
Le géant la soupesa et la lui rendit en souriant:
- Combat l’esprit tranquille.
Un lourd silence s’abattit sur la Bloss. Le vent suspendit son souffle, et les deux guerrier se mirent en position.

Demeurant à l’écart, devant l’entrée du kiosque, Lebeau croisa les bras et se prépara à suivre le combat de son ami.
Cornélius à son côté serra les poings, anxieux. Puis il sortit son épée de son fourreau et vint la planter en terre, juste devant lui. Il s’assit ensuite et entama une prière celtique en fermant les yeux.
Mais il ne tarda pas à les rouvrir lorsqu’il entendit le premier fracas des lames qui s’entrechoquèrent...
Ce fut Cuchùlainn qui frappa le premier.
La lame jaillit de son dos tel un éclair et vint s’abattre sur celle de Reinhardt qui para le coup avec difficulté. Puis s’en suivit un enchaînement d’attaques-parades de la part des deux combattants, sans qu’aucun des deux ne prenne l’ascendant sur l’autre.
Les lames s’entrechoquèrent, faisant jaillir des gerbes d’étincelles qui éclairaient faiblement l’ère de combat. Reinhardt ne paraissait pas émoussé outre mesure de son précédent duel, et Lebeau était impressionné par sa résistance.
La haine donnait un pouvoir considérable ; songea-t-il. Mais le prix n’est-il pas trop élevé…
Reinhardt parvint à bloquer la lame de son adversaire dans sa garde, et une épreuve de force opposa les deux hommes.
- Tu vas payer pour la mort de ma femme, lança-t-il à Cuchùlainn dont le visage était à quelques centimètres du sien.
- Charlotte m’avait volé mon bien le plus précieux après s’être moquée de moi. Sa mort ne fut que justice.
- Silence !
- Non, Reinhardt; la vérité, si cruelle soit-elle, reste la vérité. Tu ne la changeras pas en ordonnant le silence.
- Jamais plus tu ne souilleras sa mémoire, bâtard ! Jamais !
Reinhardt rompit l’épreuve de force et se rua sur son adversaire. Les coups étaient d’une violence inouïe et Cuchùlainn parvenait à tous les parer ou à les esquiver. L’entraînement de Lebeau portait ses fruits, et il se souvint brièvement de ses courses, de ses duels fictifs, des réticences qu’il émettait à devoir sans cesse effectuer le parcours de santé.
Tout cela, il s’en rendait compte à présent, avait contribué à lui redonner sa fougue et sa jeunesse perdue dans les méandres des siècles écoulés...
Maintenant il se sentait capable de venir à bout de n’importe quel adversaire !

Les coups continuaient de pleuvoir.
Mais Cuchùlainn commençait à prendre l’ascendant sur Reinhardt. Ce dernier devait s’en rendre compte, car plus il s’acharnait avec hargne, plus ses coups devenaient imprécis, gauches. Cuchùlainn lui porta un coup qui lui fit tomber sa lame au sol. Il la tint ainsi par force et défia Reinhardt de se défaire de l’étreinte:
- Tu ne te bats pas pour l’honneur d’une femme, mais bien pour ta vengeance personnelle ! Je ne peux te laisser en vie car tu représentes un danger pour nous tous…
Reinhardt se tourna vers lui :
- Ah, tu crois que j’ai perdu, c’est ça ? Attends un peu…
Et aussitôt il cracha sur le visage de son adversaire et parvint à se dégager de son étreinte.
Puis d’un croc-en-jambe, il parvint à faire chuter le Celte.
- Traître, maugréa t-il.
Reinhardt s’acharna à le rouer de coup de pied, mais Cuchùlainn parvenait à les éviter en roulant sur le sol.
Cependant il déviait vers le bord de la falaise, et il lui fallait se redresser. Aussi attendit-il un pied de Reinhardt pour s’en emparer et le faire tomber du même coup. Les deux hommes parvinrent à se relever ensemble, mais ce fut Cuchùlainn le plus rapide. D’un coup de pied, il frappa le poignet de Reinhardt, celui qui tenait l’épée, et l’allemand lâcha son arme en poussant un gémissement. Cuchùlainn remarqua alors l’entaille sur le poignet de son adversaire.
Lebeau l’avait bien aidé, semblait-il.
Reinhardt courut vers son épée. Mais alors qu’il allait s’en saisir, il se prit le pied dans une faille entre deux rochers, et se tordit la cheville.
Cuchùlainn bondit rapidement et vint frapper dans l’épée qui tourbillonna jusqu’aux pieds de Cornélius.
Puis il posa sa lame sur l’épaule de Reinhardt.
Vaincu, l’allemand ragea une dernière fois :
- Tu as gagné, Cuchùlainn…finissons-en…vite ! Je vais enfin rejoindre celle que tu m’as enlevée il y a un siècle…
Le Celte le regarda.
Il lut toute la haine que Reinhardt pouvait lui porter dans le regard de feu qu’il lui lançait.
Alors il leva sa lame :
- Il ne peut en rester qu’un !
Puis elle retomba.
Sur le côté.
La tête se détacha de son corps, et vola un bref instant, avant de disparaître dans le vide.
L’enveloppe de Reinhardt s’affaissa lentement, retombant sur la roche froide. Pas une goutte de sang ne sortit de sa gorge. Cuchùlainn lâcha son épée et tomba à genoux, prêt à recevoir son dû.
Le vent se leva, brusque et fouettant. Il vint entourer le vainqueur.

Du corps sans vie se mirent à jaillir des serpentins bleus, qui rampèrent le long du rocher avant de tournoyer autour de Cuchùlainn. Puis ce dernier poussa un grand cri, déchaînant ainsi les forces qui sommeillaient en lui, et accueillant le Quickening de Reinhardt.
Le kiosque trembla, et Lebeau recula, avant de recevoir son toit sur la tête, arraché par la tornade provoquée par son ami. Des éclairs zébrèrent le ciel, rendant la nuit aussi claire que le jour l’espace d’un instant. Puis ils vinrent frapper Cuchùlainn à chacun de ses cris. Levant la main au ciel, il attira la foudre dans un ultime coup de tonnerre.
Cornélius assista au spectacle sans bouger. Au fond de son cœur une joie immense avait succédé à l’angoisse du combat
Puis le vent tomba, et se fut le silence.
Emergeant de sous les décombres du toit, Lebeau se frotta le sommet du crâne où une bosse venait de naître.
Cornélius l’aida à s’en extraire, puis tous deux partirent à la rencontre du vainqueur.

Cuchùlainn se tenait debout au bord du rocher, face à la vallée.
Sans mot dire il saisit l’épée sacrée et se tourna vers ses amis.
Son visage avait de nouveau changé. Quelque chose dans sa personnalité avait été détruit par Reinhardt, mais c’était toujours le même homme, tranquille et serein. La peine se lisait encore dans son regard. Aussi, lorsque ses deux amis vinrent l’entourer, il pensa à voix haute :
- Autrefois, Guerr, un vieux Druide, venait tous les jours ici pour contempler le lever du soleil. Il était persuadé que quelque chose de divin animait cet événement quotidien.
Lebeau fixa la ligne de l’horizon. La silhouette de la Fôret Noire commença à se couvrir d’un mince fil d’or. Le soleil n’allait pas tarder à se lever.
Cuchùlainn s’assit en tailleur et invita ses compagnons à en faire de même :
- Restez avec moi, et contemplons ce magnifique don que nous font les Dieux…en mémoire de mon ami Guerr. Peut-être me pardonnera-t-il d’avoir souillé cette terre sacrée du sang de cet homme…

Et ils demeurèrent tous les trois silencieux, à regarder l’astre du jour chasser les démons de la nuit, comme si ses rayons tombaient à point pour purifier cet endroit sacré du crime qui venait d’y être commis.
Lebeau sentit la chaleur douce et matinale du soleil le pénétrer tout entier, le revigorer corps et âme.
Cuchùlainn ferma les yeux, et une larme vint mourir au creux de ses lèvres…

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