09 novembre 2005


CHAPITRE VI



Ce matin-là, le soleil rayonnait sur le massif de la Bloss…
Cuchùlainn s’était levé le premier à l’aube. Il avait pris un sac et y avait enfourné un morceau de pain et de l’eau en guise de petit déjeuner ; puis il avait quitté le couvent pour se rendre à la forge.
Il voulait se donner une nouvelle chance de réussir, et pour lui, le plus tôt était le mieux…
Lebeau s’était levé à peine une demi-heure plus tard. Ayant constaté l’absence de son ami, il décida de se réveiller en empruntant le parcours de santé.
La rosée perlait sur les hautes herbes de la Grossmatt lorsque le cajun entama son footing…

Deux heures plus tard, alors que le clocher de l’église sonnait neuf heures, Lebeau, douché et rassasié par un petit déjeuner pris dans la salle des pèlerins, fit quelques pas le long de la promenade qui menait au nord du couvent, vers les chapelles des Larmes et des Anges.
Accoudé à la rambarde de sécurité, il laissa son regard vagabonder sur la plaine embrumée et sur les massifs qui s’étendaient à ses pieds.
Malgré le rideau de brume qui lentement se levait, il pouvait distinguer les deux ruines des Châteaux d’Ottrott, le Rathsamhausen et le Lutzelbourg ; la saignée creusée par l’homme dans le flac de la montagne et qui avait donnée vie aux carrières de Saint-Nabor.
Il respirait à pleins poumons l’air frais qui venait du nord, une légère brise soufflant sur la plate-forme.
Malgré ses efforts pour limiter l’afflux jusqu’au couvent, les touristes arrivaient, toujours aussi nombreux, dépassés en nombre par les pèlerins venus renouveler leur dévotion à la sainte patronne de l’Alsace.
Il avait le sentiment sincère d’être protégé en ce lieu, et il pensa que tous les visiteurs venus ici pour contempler ce spectacle unique, devaient ressentir la même chose que lui. Toute la montagne était entourée par le mur Païen, et par les châteaux disséminés un peu partout; qu’il s’agisse des Dreistein , du Hagelschloss ou encore du Landsberg, fief de ses ancêtres avant que ces derniers n’émigrent vers le Nouveau monde...toute la montagne avait été baignée par le sang des combats, par le mystique et par le sacré.
Oui, ils seraient en sécurité dans l’enceinte du Mur…du moins tant que Reinhardt ne les trouve pas.

C’est alors que perdu dans ses pensées, l’esprit apaisé pour la première fois depuis son retour sur ces terres, il se mit à penser à elle...
Morgane.
Durant toute sa longue vie, les femmes s’étaient succédées les unes aux autres, et à chaque fois leur mort avait mis un terme à la romance qu’il s’était efforcé de vivre avec elles. Mais de toutes ses aventures passées ne restaient plus aujourd’hui que de pâles souvenirs, comme ces photographies jaunies par le temps, qui inexorablement s’effacent sans qu’on n’y puisse rien…
Malgré le temps, Morgane demeurait à ses yeux la seule femme existant au monde pour lui. Peut-être était-ce parce qu’elle était la dernière femme à avoir croisé sa route...ou alors parce que de tous les membres de la Guilde elle avait été l’une des rares à partager ses secrets...à moins qu’elle ne l’ait tout simplement ensorcelée, comme le faisaient jadis les fées peuplant l’Ile sacrée d’Avalon ?
Dès leur première rencontre, il était tombé amoureux de cette femme, et il avait l’impression que jamais encore ça ne lui était arrivé par le passé. Son nom suffisait à aiguiser ses sens au plus haut point: Morgane… Le nom d’une fée, le symbole d’un idéal, d’un monde légendaire auquel il aurait tout sacrifié pour appartenir ne serait-ce qu’un an de sa vie. Synonyme de vie, d’espoir, de magie.
Morgane...Dieu seul à présent savait où elle pouvait se trouver. Sans doute était-elle encore de ce monde.
Il était là, se croyant seul à accompagner du regard le réveil de la nature, lorsqu’une voix familière le fit sursauter:
- Bonjour, j'espère que je ne dérange pas...
Il se retourna.
Elle était là. En chair et en os.
Morgane.
Ainsi sa prière venait d’être exaucée! Le plus fantastique des hasards venait de jouer en sa faveur.
- C’est bien toi ? Demanda-t-il d’une voix feutrée, craignant de briser une illusion provoquée par l’envie qu’il avait de la savoir auprès de lui. Il ne prononça pas de nom, encore en proie au doute et par peur de voir ses espérances déçues par le son de sa voix brisant le sortilège qui avait conduit la jeune femme jusqu’ici.
- Morrigann a insisté pour que nous vous rejoignions ici. J'étais sûre que ça te ferait plaisir de nous savoir ici. Tu vas bien ?
Sa voix n’était pas celle de ses songes. Il cligna des yeux plusieurs fois avant de reconnaître celle qui s’adressait à lui.
C'était Florence.
Le voile de ses songes si dissipa et le visage de la voleuse lui apparut dans la lumière du jour. Au loin Morrigann descendait les marches de l’esplanade. Protégée par son sortilège, elle ne provoqua pas de réaction chez le cajun.
- Ton cousin me charge de te dire qu'il souhaiterait entrer en contact avec toi assez rapidement, reprit Florence, tandis que Lebeau et Morrigann se saluèrent. Mais j’ignore si cela a un rapport avec ce qui nous concerne en ce moment. En tout cas, ça semblait urgent, d’après ce qu’il m’a dit.
Le visage du cajun s’assombrit.
- Tu es seule ? Et où sont Choco et Malik ?
- Je n’ai aucune nouvelle depuis trois jours...j’ai eu peur, alors je suis venue. Ai-je eu tort ?
Lebeau lui déposa un baiser sur le front. C'était une habitude qu'il avait prise avec toutes les voleuses de son clan, un geste paternel dénué de tout sentiment amoureux. L’accolade était de rigueur entre les hommes de la Guilde ; par ce geste il instaurait une sorte de tradition qui, il l’espérait, lui survivrait par delà les années.
- Tu as bien fait, ma chère. Ici au moins, vous ne craignez rien. C’est un Sol Sacré, et je ne pense pas qu’il violera la Règle...mais en ces temps troublés, nous ne sommes hélas plus sûrs de rien.
Ces paroles s’adressaient aussi bien à Morrigann qu’à lui. Par ces mots il lui fit comprendre que même la Tradition ne pouvait leur garantir la paix.
- Où est-il, Lebeau ?
- Il est parti ce matin pour la montagne. Tu le trouveras près de la grotte…
Morigann adressa un signe de tête en guise de remerciement puis quitta l’esplanade des chapelles.
Restés seuls, les deux voleurs firent quelques pas en direction de le chapelle des Larmes.
Florence la première rompit le silence :
- Rémy...
- Oui ?
- Pourquoi Reinhardt en veut-il autant à Cuchùlainn ? Je sais que c’est un Immortel, mais ça n’explique pas tout. Quand tu me racontais tes précédents combats, aucun de tes adversaires aussi acharnés fut-il ne t’avait harcelé de cette manière.
Lebeau s’assit sur un banc, le dos contre l’un des tilleuls de l’esplanade et sortit un petit cigare qu’il alluma au moyen d’une allumette américaine.
- C’est une longue histoire...
- J’ai tout mon temps.
Il regarda danser les volutes qui se firent emporter par la brise.
- Ca ne concerna pas les affaires de la Guilde. Je ne vois pas pourquoi je t’en dirais plus que ce que tu ne sais déjà…
- Je ne suis pas qu’une simple voleuse de ton clan, Rémy Lebeau ! S’emporta la jeune femme dont les larmes envahissaient les yeux.
En constatant qu’il l’avait blessée, il ferma les yeux en signe d’acquiescement :
-J’ai rencontré Reinhardt pour la première fois en 1894. Il était alors un tout jeune Immortel, et il n’avait qu’un désir: affronter tous les nôtres jusqu’à ce qu’il retrouve l’assassin de sa femme...
- Sa femme a été tuée par un Immortel ?
- Sa femme était une Immortelle. Une sorte de garçon manqué en qui nous avions toute confiance...toujours est-il qu’elle commença par se lier d’amitié avec un des nôtres, un musicien. Ils devinrent si proches qu’il lui demanda de l’assister dans son travail de composition. Le temps aidant elle en tomba follement amoureuse. Ils vécurent ainsi une bonne moitié du 18ème siècle. Mais cette femme s’était forgée une réputation de profiteuse et de pilleuse par le passé ; et bien qu’elle s’efforça de s’acheter une conduite, le naturel refit surface un sombre matin de novembre...
- Qui était-ce ?
- L’histoire l’a retenue sous le nom de Charlotte Guest, la Dame de Pourpre. Elle aurait pu faire parti de notre Guilde, si elle n’avait pas été doublée d’une tueuse hors paire. Toujours est-il que les hommes n’ont retenus d’elle que sa cupidité et son orgueil. Mais revenons-en à notre histoire...
Comme je te le disais, notre ami musicien était Immortel lui aussi...les deux vivaient donc heureux...mais le destin rattrapa Charlotte, et elle ne pu se refuser à lui. Aussi vola-t-elle un précieux manuscrit rouge appartenant à son compagnon, dans lequel il avait rédigé une bonne centaine de morceaux d’orgues ainsi que des notes sur l’évolution de la musique. L'Immortel dont elle partageait la vie était un précurseur en matière musicale. Puis elle disparut. L’homme se jura alors de ne plus jamais ouvrir son coeur à une femme. Aujourd’hui, heureusement, il a rompu ce serment...
- Cuchùlainn…
Lebeau hocha la tête et reprit :
- Il retrouva la trace de Charlotte des années plus tard, en 1849. A cette époque elle avait déjà éditée le manuscrit à son nom, et elle était devenue très riche. Elle avait épousé un baron Allemand du nom de Walter Reinhardt, et tous les deux s’étaient installés en Bavière, près du lac Chiemsee.
Cuchùlainn fit savoir à Charlotte qu’il désirait la revoir, sans aucune intention belliqueuse...il lui avait menti. Elle mourut dans un duel au fond du parc de sa propre demeure, presque sous les yeux de son mari. Quand ce dernier découvrit le corps de sa femme, il s’effondra de chagrin. Jurant sur la Bible qu’il lui survivrait par-delà la mort, il s’enfonça une dague dans le ventre, et agonisa auprès de sa bien-aimée.
Il se réveilla quelques heures plus tard, Immortel lui aussi...le destin avait voulu que sa prière soit exaucée, au grand malheur de Cuchùlainn. Ses démons intérieurs firent de lui un instrument de vengeance, gouverné par la haine et aveuglé par la colère. Il devint un homme vidé, mû par la vengeance. C’est ainsi qu’il partit à la recherche de Cuchùlainn.
Lors d’un de ses nombreux voyages, nous nous rencontrâmes. Je commis alors l’erreur de le former au combat, et de lui apprendre tout ce que jadis on m’avait enseigné. Il me posait des questions sur nous, sur ceux que j’avais déjà rencontrés. C’est à ce moment que je lui ai parlé de Cuchùlainn…un soir, il me provoqua en duel, et me dévoila ses desseins en ce qui concernait mon vieil ami. Je le blessai, l’éventrant avec mon épée. Alors qu’il agonisait à mes pieds, je lui avouais que moi vivant, il n’aurait jamais la tête de mon ami. Ma trop grande faiblesse fut de lui laisser la vie sauve, mais au fond de mon coeur je ne pouvais me résoudre à tuer un homme que j’avais formé. Depuis il cherche à se venger et à venger la mort de Charlotte.
Ce n'est que depuis quelques temps, avec les problèmes de rébellion au sein de la Guilde des Voleurs qui me forcèrent à revenir en Alsace, que j’appris les desseins de Reinhardt. J'en parlai à Lièvre, qui constitua une petite équipe avec les meilleurs voleurs de la Guilde pour pister Reinhardt et découvrir sa nouvelle identité et ses activités. Notre quête a conduit jusqu’à Strasbourg…Lièvre était chargé de veiller sur Cuchùlainn jusqu’à mon arrivée ainsi que d’espionner Reinhardt. Et depuis mon passage à Colmar cette fameuse nuit, tu fais partie de cette équipe de pisteurs...quant à ce qui s’est passé entre nous… je suis désolé de t’avoir mêlé à ça. Tu n’étais pas prête.

Florence avait écouté l’histoire sans mot dire.
Lorsqu’il eut fini, elle se leva et fit quelques pas.
- Fred…Cuchùlainn ne sait pas que Reinhardt était le mari de Charlotte, n’est-ce pas ?
- Pas plus qu’il ne sait que c’est moi qui ait appris à Reinhardt tout ce qu’il sait. C’est pour ça que je le protège, que je cherche à le remettre sur pied. C’est un moyen pour moi d’expier ma faute... il est le seul d’entre nous suffisamment puissant pour tuer Reinhardt. Moi, je ne peux pas l’affronter; car connaissant toutes mes techniques, il me battrait, je pense...il ne vit que pour la mort de Cuchùlainn, alors tu penses bien qu’il doit être super entraîné de son côté !
- Tu remets donc Cuchùlainn sur les rails pour ce combat, c’est ça ?
- C’est mon ami... sa technique peut venir à bout de Reinhardt sans aucun problème. Seulement pour ça, il faut qu’il retrouve ses sensations, que le temps a quelque peu endormies.
Florence sentit sa main sur son épaule. Elle frémit, souriant à son ami.
- Et c’est pour ça que vous vous êtes isolés ici, tous les deux, en vue de cette rencontre...
- Cuchùlainn a vécu ici, il y a très, très longtemps. Son Maître repose ici. Puis il y est revenu avec un disciple. Cette montagne a toujours signifiée quelque chose pour lui, comme pour moi. J’ai pensé que le replonger dans l’univers de sa jeunesse le revigorerait et le stimulerait...mais apparemment je me suis trompé.
- Pourquoi dis-tu ça ?
- La forge de son épée n’avance pas...il semblerait que le secret du fer et du feu ne lui soit pas totalement revenu en mémoire.
En entendant le mot épée, Florence se redressa subitement, pâle comme un linge...
Lebeau le remarqua:
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Tu as dis épée...
- Oui, la sienne s’est brisée lors de l’affrontement entre Reinhardt et lui. Et comme tu n’ignores pas que nos affrontements se règlent à l’épée, il lui faut à nouveau une arme. Pourquoi ?
La jeune femme sentit ses jambes trembler, mais dans un effort de constance elle parvint à se maîtriser.
- J’ai failli oublier...il faut que je te dise quelque chose de très important...
- Parle.
- Oh mon dieu, songea-t-elle. Il va me tuer si il apprend que j’ai attendu si longtemps avant de le lui dire.
Ses yeux avaient rougi; Lebeau devina qu’elle allait lui annoncer quelque chose de grave.
- Pardonne-moi, je sais que tu es le chef de la Guilde, mais je pensais pouvoir te cacher cette information, afin de te préserver d'un quelconque danger...vous ne vouliez pas être dérangés, ici...
- Parle !
Lebeau la secoua ; les larmes montèrent aux yeux de la jeune fille…



Les coups de pioche raisonnèrent dans la nuit.
Les ouvriers ne comprirent pas pourquoi l’archéologue leur avait soudain demandé de creuser dans le mur de la crypte, juste sous l’autel. Le contrat ne mentionnait pas de travaux dans cette partie de la Cathédrale, les fouilles se limitant à la zone située sous l’horloge astronomique. Néanmoins ils avaient obéi, de peur de se voir jeter à la porte.
Le chef des fouilles trépignait d’impatience.
Nerveusement, il tapotait du pied sur le dallage, frémissant à chaque coup de pioche. L’inconnu qui était à ses côtés semblait plus calme; les ouvriers ne l’avaient jamais vu sur les lieux des fouilles avant ce soir. Mais il semblait proche de leur chef, car souvent ils avaient échangé des mots concernant l’endroit qu’ils creusaient, paraissant s’accorder sur le lieu et sur l’importance de l’opération.
Puis les coups de pioche cessèrent. Un des ouvriers vint voir Reinhardt:
- Il semblerait qu’on soit tombé sur un cercueil...peut-être faudrait-il arrêter de creuser ?
Mais les yeux de Reinhardt se mirent soudain à briller d’une étrange lueur.
- Non, dit-il à l’ouvrier. C’est ce que nous cherchons ! Continuez jusqu’à ce que le cercueil soit dégagé. Après, vous nous laisserez seuls.
- Mais...vous ne comptez quand même pas ouvrir ce...
Reinhardt vint se placer sous ses yeux. Plus grand que l’ouvrier d’une demie tête, il le toisa avec un regard si noir qu’il fit perdre toute contenance au malheureux:
- Je vous paye triple pour ce travail, articula lentement l’allemand d’une voix calme. Alors n'essayez pas de contrecarrer mes projets, sans quoi vous vous retrouveriez immédiatement dehors. C'est bien compris ?
- Très bien, patron.
Ils se remirent à l’ouvrage. Le plus calme des deux hommes sourit:
- Tu as su te faire respecter...félicitations !
- Garde tes sarcasmes et ton agressivité pour plus tard, ami...et prend part à cette résurrection...

Un quart d’heure plus tard, Reinhardt et Rodrigues se retrouvèrent seuls dans la crypte, devant le cercueil de bois vermoulu.
L’allemand jubilait.
- Vous voulez que je vous l’ouvre ? Demanda Rodrigues.
- Vas-y...et en douceur !
Le Portugais s’agenouilla sur le dallage de l’autel. Il se pencha ensuite sur le sarcophage et en souleva le couvercle dont les serrures rouillées et rongées par l’humidité avaient cédées.
Il en exhuma un linceul noirci par le temps.
Son contenu n’avait pas de forme humaine, il ne s’agissait donc pas d’un corps. Néanmoins il devait peser un certain poids, car Rodrigues eut un peu de mal à le sortir.
Reinhardt trépignait derrière lui.
- Enlève le drap, vite !!
Alors pour la première fois depuis près de deux siècles, l’épée sacrée de Cuchùlainn Mac Datho revit la lumière de la nuit.
Reinhardt l’empoigna. Pas une trace de rouille, un peu comme si le temps l’avait respectueusement ignoré. Elle était comme neuve, ses deux lames brillant sous les luminaires de la crypte.
- Tir Inna M’Béo...enfin je te tiens, ma belle ! Avec toi, il me tombera tout rôti dans les bras...je tiens enfin ma vengeance ! Patience, Charlotte...ton meurtrier te rejoindra bientôt, ma belle !
Une larme vint perler au coin de son oeil.
Rodrigues s’approcha de Reinhardt qui ne pouvait détacher ses yeux de l’épée. Sa voix sembla surgir d’outre-tombe:
- Trouve-le moi, Luis...et fais vite...il ne doit pas se cacher bien loin, avec la femme sur les bras et le cajun, il ne peut agir en toute liberté. Trouve-le moi et rabats-le vers moi.
- C’est comme s’il était là !
- J’y compte bien, mon ami...quant à Rémy, dispose de lui comme bon te semblera...une promesse est une promesse.
Il éclata d’un rire gras, ivre de joie, en brandissant l’épée au ciel tandis que le Portugais s’éloignait déjà accomplir sa sombre mission, un sourire dément sur les lèvres....


Cuchùlainn jeta une nouvelle fois le morceau de fer dans l’âtre.
Le visage trempé de sueur, il s’épongea le front du revers de sa manche et s’assit sur un rocher. Il fixa le feu qui brûlait, un air de défi au fond des yeux.
- Tu n’acceptes pas de communier avec moi parce que tu sais qu’il manque quelque chose en moi, pas vrai ? Mais je trouverai ce qui ne va pas, et cette fois, nous la forgerons, cette épée !
Les flammes dansaient avec un air de défi. Cuchùlainn savait bien que le feu n’était pas vivant, mais il lui semblait qu’il le comprenait.
Il enleva son tablier de cuir et le déposa dans la grotte, à côté de son sac de couchage.
Il allait bientôt être l’heure pour lui de se farcir un nouveau parcours de santé. Et Rémy lui avait demandé une certaine ponctualité qu’en d’autres occasions il aurait ignoré avec joie.
Mais cela faisant parti de sa remise en forme...
Depuis son arrivée, il avait constaté des progrès; il respirait plus aisément, et il n’était presque plus essoufflé lors de leurs combats.
Mais avant de rejoindre le cajun, il désirait se retirer sur le rocher du Maennelstein, face à la plaine, comme jadis le faisait son ami Guerr, le druide ; pour méditer et communier avec la Terre.

C’est en marchant qu’il vit au bout du chemin ce qu’il prit tout d’abord pour un mirage. Mais il eut beau se frotter les yeux, la silhouette qu’il voyait ne disparaissait pas. Lebeau lui avait souvent parlé des légendes qui peuplaient cette montagne sacrée, et depuis son retour il avait été en contact plusieurs fois avec le petit peuple muet qui l’avait soutenu dans son effort.
Il n’ignorait donc pas la présence de la Déesse Mère en ces lieux enchanteurs. Et pourtant, il ne pouvait croire en un miracle, en considérant la silhouette qui se dessinait sur le rideau de la forêt.
Il osa prononcer son nom, mais doucement, par peur que le son de sa voix ne la fasse s’évanouir dans la nature, retourner dans ses rêves:
- Morrigann…
- Bonjour, Frédéric...tu as l’air en forme...
Elle courut vers lui et il se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Les mots étaient devenus superflus entre eux. Ils communiaient avec leurs coeurs.
A ce moment-là, le feu se raviva, et une flamme couleur d’or s’éleva vers le ciel.


Florence aurait souhaité plus que tout faire l’amour dans la petite chambre que la jeune femme avait louée au couvent. Malgré le temps, son coeur n'avait pas réussi à se vider des sentiments qu'il lui inspirait. Ce qui la peinait, c'était de constater que lui n'éprouvait plus rien pour celle qui jadis avait été sa voleuse préférée.
Il lui avait tout appris, et au fil des années elle avait grandi au sein de sa guilde, de sa famille, lui ne changeant pas. Sa passion pour lui se mua en admiration puis en amour, un amour auquel il répondit un soir alors qu'ils rentraient d'un vol à la Nouvelle-Orléans. Ce bonheur dura quelques mois. Mais Rémy semblait obsédé par le souvenir d'une autre femme…un jour elle lui en avait fait le reproche. Il lui fit comprendre qu'elle était libre de s'en aller, et elle le prit au mot, blessée dans sa fierté et son orgueil. Elle lui demanda cependant qui était cette mystérieuse femme contre qui les autres seraient à tout jamais impuissantes; tout ce qu’il lui répondit fut ceci:
- Pas une femme, une fée...
Depuis le temps passa, de l'eau coula sous les ponts; et la passion qu'elle croyait éteinte se ravivait à son contact.
Elle était assise devant une petite coiffeuse, en train d’enfiler un tee-shirt blanc. Elle ne s’était pas changée depuis deux jours, depuis qu’elle était montée à Strasbourg entraînée de force par Morrigann…
Lebeau était accoudé au rebord de la fenêtre, un cigare entre les lèvres. Il n’avait pas dit mot depuis plus d’une demi heure.
Il paraissait songeur, et quelque chose le travaillait, cela se voyait à son front plissé. Florence devina qu’il devait s’agir de ce qu’elle lui avait annoncé ce matin.
- Que vas-tu faire, maintenant ?
Il se redressa et passa une main dans ses cheveux blonds, s’attardant sur l’anneau d’or qui brillait à son oreille, signe de son rang et de son pouvoir.
- Je vais retourner à Strasbourg. Si Reinhardt est en effet en possession de l’épée de Cuchùlainn, alors ce sera l’affrontement inévitable...à moins que je ne réussisse à m’en emparer sans qu’il ne s’en aperçoive...ce sera assez difficile, à mon avis.
Il lui adressa un sourire pincé.
Florence secoua la tête: ce sourire, elle le connaissait trop bien. Il signifiait que Rémy n’avait pas du tout envie de plaisanter ou de rire, que la situation était vraiment très grave, en ce moment. Elle se sentit coupable et chercha à rassurer son chef et mentor:
- Non, tu es le meilleur voleur de cette planète, mais si tu pénètres chez Reinhardt, il te repérera aussi sec; tu es Immortel, toi aussi !
- C’est pour ça que je compte sur Choco et Malik pour m’aider... si je les retrouve ! Lièvre doit forcément savoir où ils sont. J'espère seulement qu'il n'est pas déjà retourné à la Nouvelle-Orléans. Sa mission devait prendre fin au moment où je rencontrais Cuchùlainn. Son portable ne répond plus, il l’a sans doute éteint. Toujours est-il que je ne parviens pas à le joindre et ça me tracasse.
- J’ai peur pour eux, murmura la jeune fille; et toi aussi...tu vas prendre de gros risques en redescendant là bas, tu le sais ?
- Oui, je ne suis plus un enfant. Et en plus, cette fois, tu es au courant de mes activités, alors fini l’imagination galopante !
Il la taquinait. Mais en observant la lueur de ses yeux, il comprit qu'elle allait se jeter sur lui pour l'empêcher de partir si il ne mettait pas immédiatement fin à leur discussion.
- Il faut que je m’en aille, à présent. Veille bien Morrigann en mon absence.
Remarque superflue, songea-t-elle : ce sont eux qui veilleront sur moi, plutôt !
Elle chercha ses lèvres, mais il passa à côté d'elle, résolu.
Elle s'inclina, vaincue. Retenant une larme, elle le laissa franchir le pas de la porte.
- Sois très prudent, Rémy Lebeau...
Mais son murmure ne rencontra que le vent, Rémy ayant déjà disparu dans l’escalier le conduisant au rez-de-chaussée.

Cuchùlainn, de retour au couvent, retrouva son ami dans la chapelle de la Croix, devant le sarcophage du père d’Odile, Adalric duc d’Obernai.
Il était assis sur un banc, fixant silencieusement le tombeau; Cuchùlainn vint s’asseoir à côté de lui:
- Florence m’a dit que tu allais partir...
- Je dois redescendre pour affaire; je ne serai pas de retour avant demain soir. Les filles resteront ici jusqu’à ce que tout soit terminé et normalement elles ne te gêneront pas dans ton travail.
Cuchùlainn ne répondit rien.
Un long moment passa avant que le guerrier Celte ne reprenne la parole:
- Tu me caches quelque chose, mon ami, je le sens...
Lebeau se leva:
- Je vais te révéler quelque chose de grave...cela t’apportera peut-être ce qui te manque pour que la communion entre le fer et le feu soit possible...c’est à propos de Reinhardt...il est temps que tu saches la vérité...ou du moins celle qui te concerne.


Debout sur le rocher où jadis se dressait une ancienne chapelle aujourd’hui rasée, Morrigann et Cuchùlainn virent passer la BMW du cajun. Le soleil était à son zénith, et Cuchùlainn s’apprêtait à faire naître sa nouvelle épée, fort des révélations faites par son ami.
Lorsque la voiture arriva à leur hauteur, il crut percevoir un petit signe amical de la part du conducteur; geste auquel il répondit par un salut de la main…

Il était une heure trente lorsque Rémy arriva sur le quai Finkwiller, à Strasbourg. Il gara sa voiture devant le magasin d’antiquité tenu par son ami et en descendit prudemment, regardant à gauche et à droite afin d'essayer de capter une éventuelle présence, amie ou ennemie.
Aucun Immortel ne traînait dans les parages.
Il entra dans la cabine téléphonique qui se trouvait en face de la boutique, à côté de la caserne des pompiers. Il composa un numéro rapidement, attendit deux, puis trois sonneries et tomba sur un répondeur automatique.
Il y laissa un message et sortit de la cabine.
Un vent cinglant, annonciateur d’un orage futur lui fit relever le col de son manteau et il sortit de sa poche un cigare qu'il alluma.
Commença pour lui une attente qu'il espérait de courte durée…

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